Les aléas divers subies par cet ouvrage sur les scènes lyriques sont oubliés. S’il a fallu attendre les années 50 pour, entendre d’abord, et voir éventuellement ensuite des Idoménée comme on pouvait les espérer, voilà l’occasion ici même, au Théâtre du Capitole, de s’enthousiasmer, des yeux et des oreilles surtout, avec cet ouvrage de Mozart. Quatre représentations encore à l’affiche.
Signalons d’entrée, ni monstre marin, ni mer déchaînée sur scène avec des toiles agitées par des figurants camouflés pour nous faire traverser les terreurs d’Idoménée et la main mise d’un Neptune sur les flots. Et signalons, en support, mon article d’annonce.
Notons la sobriété finalement dans le spectaculaire dans le choix des éléments constitutifs du côté théâtre de cet Idomeneo, re di Creta. On ne s’embarrasse pas d’accessoires sur scène. C’est vrai aussi qu’il fallait oser percher en permanence les principaux chanteurs sur des structures qui les supportent et les rendre ainsi tributaires de leur déplacement, mues par des figurants que l’on devine. Et, à mon goût, ça marche. Espaces et lieux se délimitent sans qu’on ait grand-chose à voir, et c’est tant mieux. Aucun embouteillage sur le plateau et aucune collision. Le parallèle voulu par le metteur en scène (voir l’annonce) ne gêne absolument en rien le déroulement du spectacle de cet opéra de Mozart. Le décor dans son ensemble est beau, et les costumes, mine de rien, énormément travaillés, sont beaux, aussi. Un décor efficace, avec des jeux de lumières de Yukiko Yoshimoto énormément travaillés, facilités par l’emploi d’un papier japonais (washi), tout est prêt pour que musique et chant s’expriment sans nous heurter et nous distraire de trop, sans nuire à Mozart : l’essentiel n’est-ce pas. De plus, on a comme l’impression que le metteur en scène est en même temps chorégraphe et s’applique à faire que chaque geste chaque déplacement est comme inscrit dans la partition. Satoshi Miyagi connaît lui aussi… sa partition.
On l’a dit, le grand gagnant, c’est bien la musique. La direction à la fois dramatique et symphonique de Michele Spotti brise toute impression de statisme et fait de la musique ou plutôt de l’orchestre un protagoniste essentiel de la tragédie, intermèdes musicaux compris. L’orchestre de cet Idomeneo rayonne. Il est devenu personnage de l’opéra, ce qu’il ne cessera plus jamais d’être par la suite dans les ouvrages lyriques à venir. Qui pourrait maintenant affirmer que la fosse du Théâtre du Capitole ne peut jouer un Mozart au top? Le public “capitolin“ a des oreilles : il a acclamé la fosse.
Malgré la soldatesque visible sur scène, l’ancrage dans un temps donné, l’idée manifeste du metteur en scène, Satoshi Miyagi et de ses acolytes n’accapare pas le propos, ne détourne pas le livret, en un mot, laisse l’ouvrage se dérouler sans gêne. Opera seria, grandeur immobile de la tragédie classique, peu importe le débat. Pas d’agitation incongrue chez les protagonistes, un parti-pris assumé, uniquement une sorte de théâtralité bienvenue dans la gestuelle.
Le choix de la version impose un ténor dans le rôle d’Idamante, un rôle maintenant distribué aussi aux voix féminines puisque plus de castrats. Après prestation suivie, qui, mieux que Cyrille Dubois peut en assumer toutes les difficultés, d’un bout à l’autre de l’ouvrage ? L’interprétation et les qualités vocales font merveille. Quelle tessiture exigée !! et en plus dressée sur sa structure à deux mètres du sol ! Une véritable performance, mais il ne sera pas le seul! La juvénilité impulsive et la tendresse du personnage sont au rendez-vous, et ça compte. Sûr qu’en son temps, un Pavarotti ou un Simoneau auraient décliné l’offre.
Il faudra peut-être se familiariser avec le nom de Ian Kosiara, un jeune ténor qui fait irruption sur scène – haut perché – et qui est Idomeneo. Un Idomeneo qui ne manque ni d’autorité, ni de vaillance, à la présence physique on dira adéquate, une grande force scénique qui se dégage, un plein de noblesse et de tragique, un Fuor del mar en une prise de risque fort réussie.
Autre heureuse surprise avec l’Arbace de Petr Korakonec surtout que la production lui laisse ses deux arias dont il fait sien. Un choix judicieux encore avec cette ligne de chant réjouissante. Excellent interprète, Arbace est bien là avec ses airs indispensables à l’équilibre du livret, soulignant bien toute l’inquiétude inhérente à ce rôle de confident.
Un quatuor de ténors à la manœuvre étourdissant car s’y joint Kresimir Spicer dans le rôle efficace du Grand Prêtre. C’est un accord parfait avec la musique de Mozart en ces moments.
Mais, où sont les femmes ? Elles sont là, et bien là.
Une Ilia frémissante, c’est Marie Prevost, une Ilia idéale ? En tous les cas, la pureté quelque peu immatérielle, séraphique est sur le plateau. Sans extravagance. Ilia n’est pas, ne doit pas être une créature évanescente. Elle existe bien, elle est amoureuse, jusqu’au sacrifice, ce qui exige de la consistance. On peut rajouter la performance qui consiste à chanter dans une situation d’équilibre précaire!! Quant à Elettra, plus que touchante quand elle chante son bonheur, et puis foudroyée par le désespoir quand l’histoire, le devenir bascule, et Andreea Soare a les moyens de montrer sa colère et son désespoir mêlés. Elle se précipite fort bien dans la folie : Impressionnante Andreea Soare. Une belle composition, douloureuse et enflammée. Acclamation méritée.
Il aurait fallu, pour chacun, signaler les qualités du chant mozartien dans la souplesse de sa courbe, dans l’expression des récitatifs, superbement présents, les vocalises jamais forcées. Un travail évident et complice avec Michele Spotti, à n’en pas douter. Et l’oreille implacable d’un certain Christophe Ghristi.
Autre triomphateur de la soirée, Joël Suhubiette et son Chœur Les éléments, homogénéité, couleur, ampleur, qualité dramatique -, un ensemble qui participe à la réussite de cette ouvrage lyrique sur le plateau de la scène “capitoline“.
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photos © Mirco Maglioca