Guillaume Lopez (1), « passeur de mémoire et de frontières », est un musicien et chanteur imaginatif qui questionne ses identités multiples et mêle à chacune de ses créations les voix et les musiques de l’Espagne et de l’Occitanie de ses origines, mais aussi celles du monde méditerranéen.
Accueilli en résidence au COMDT du 17 au 19 juillet 2023, il nous invite actuellement à découvrir sa première création en solo, Buf e Votz (souffle et voix) qui révèle l’authenticité et la simplicité de l’homme.
Avec sa voix, sa collection d’instruments à vent (flûtes, fifres, cornemuse, saxophone…), un sampleur (2) et quelques accessoires disposés sur scène, il nous propose un répertoire constitué de ses compositions originales et du répertoire traditionnel des Pays d’oc. Une occasion de plus pour le musicien toulousain de vous faire découvrir son univers, ses origines espagnoles, sa passion pour les voyages et les échanges qui ont façonné sa singularité.
Pour la première fois de sa vie, il est à la fois soliste et accompagnateur, chanteur et instrumentiste, raconteur, mais il n’est pas seul à la réalisation de ce spectacle: Alfonso Bravo, son fidèle sonorisateur, magicien du son, l’accompagne dans l’ombre; avec le regard extérieur de Lilian Derruau dit « Wally », chanteur.
Quel que soit le récital, Guillaume Lopez nous fait toujours visiter son propre territoire imaginaire, sans frontière, métissé d’Espagne, d’Occitanie et de Maghreb…, entre musiques traditionnelles, musiques improvisées et chanson.
Guillaume Lopez a commencé la musique à l’âge de 8 ans par un cursus de musique classique en tant que saxophoniste, puis, grâce à son oncle, il a goûté aux musiques traditionnelles : «, Je découvrais une musique que l’on joue pour que les gens s’amusent et fassent la fête »; c’est ce qui l’a séduit, et pour lui « le partage reste primordial ».
Quand il a commencé à bourlinguer en musiques, il a eu pour phares aux influences primordiales Alem Surre-Garcia, écrivain, chantre des Orients d’Occitanie, et Christian Vieussens, peintre-musicien aux couleurs chatoyantes, flûtiste et compositeur à la fois reconnu dans les musiques traditionnelles, le jazz et la musique contemporaine. Tous deux lui ont transmis l’envie de donner un sens à sa musique et celle d’avoir une pratique cohérente à un discours, à un territoire.
Puis Thierry Roques avec lequel il joue beaucoup aujourd’hui, et depuis 20 ans. Cet accordéoniste exceptionnel (qui a accompagné Djamel Allam, Alain Leprest, Romain Didier, Serge Reggiani…), fait figure de frère de scène, de complice dans la durée.
Sans oublier Christian Grenet, dont je vous ai parlé dans une précédente chronique culturelle sur ce Blog (3), que Guillaume rencontre à l’âge de 21 ans. Christian lui fait alors confiance en lui confiant la co-programmation de la Mounède, puis celle de l’Estivada de Rodez. « une belle époque, un apprentissage complet, on faisait la programmation, on nettoyait la salle, on tenait le bar, on accueillait les artistes… »
Présent à chaque concert, Guillaume « faisait le bœuf » avec tous les musiciens qui l’invitaient sur scène et il a tissé de solides amitiés qui perdurent toujours.
Sa démarche artistique réfléchie et assumée, s’est nourrie et enrichie de ses nombreuses rencontres: Cyrille Brotto, Bijan Chemirani, Kiko Ruiz, Laurent Guitton, Les Ogres de Barback, Saïd El Maloumi,, Nicolas Gardel… Autant de partages qui ont façonné sa musicalité et ouvert son territoire de jeu, sans restriction de style.
Et sa palette actuelle va des Balkans à l’Océan en passant par Casablanca et Grenade bien sûr.
Ce musicien-né s’exprime en plusieurs langues bien vivantes: « dans mon cœur et dans ma vie, le français, l’occitan, l’espagnol, et aussi le catalan, puisque j’ai un grand-père catalan, ont la même importance ».
Et cet artiste accompli reste en perpétuelle quête de rencontres et de prises de risques, car, comme il le dit: « J e n’ai pas de couleur préférée, j’aime quand les couleurs se mélangent de façon aléatoire ». Cet improvisateur imprévisible, mélodiste délicat et auteur singulier, se distingue par la diversité et l’originalité de ses nombreuses créations et collaborations musicales: Le Bal Brotto-Lopez, Sòmi de Granadas, Recuerdos, Medin’Aqui, Celui qui marche, Tres Vidas; et Anda-Lutz, qui résume sa trajectoire par ces mots: Anda en espagnol, pour le mouvement, Lutz, en occitan, pour la lumière.
Le film Anda Lutz a été projeté au dernier festival Peuples Musiques au Cinéma à Toulouse et sera projeté à l’Institut Français de Casablanca en septembre prochain.
Anda-Lutz – Extrait Live – « Aure »
S’il est gourmand de la diversité culturelle, il n’oublie jamais qu’il est un petit-fils d’immigrés espagnols, lui qui est né à Toulouse au pied de ces Pyrénées, lieu d’échange plutôt qu’une frontière. Dans Las simples cosas, il chante sur scène toutes les chansons de son grand-père José Lopez qui est décédé en novembre 2011 et « qui était un merveilleux chanteur ». Il chantait ce qu’il appelait « flamenco , plutôt des variétés des années 40 »,, des interprètes comme Antonio Molina ou Juanito Valderrama, qui ont chanté la guerre d’Espagne, l’exil, la difficulté de quitter son pays. « Quand mon grand-père chantait ces chansons, il pleurait. Il m’en a appris une dizaine. Je l’avais d’ailleurs enregistré, ce qui me permet de faire entendre sa voix sur scène, comme je fais entendre des récits de mon autre grand-père, dans lesquels il raconte la Retirada qu’il a vécue en 1939. Il est décédé en 2017 à l’aube de ses 95 ans ».
Ces récits familiaux, l’histoire de ces quatre grands-parents, Araceli et Francesc Vidal, Eduarda et José Lopez ont d’ailleurs donné naissance aux très beaux spectacle et album « Recuerdos-La Retirada et l’Exil » en 2015. Pour que l’on n’oublie pas tous les réfugiés républicains parqués dans les camps de concentration de Rivesaltes par exemple, les travailleurs forcés utilisés avec cynisme comme main d’œuvre gratuite par le gouvernement de Vichy et ceux que le président de celui-ci livrait docilement à la police de son ami Franco.
Loin de la nostalgie d’un passé douloureux et révolu, des artistes comme Guillaume Lopez ravivent une étincelle, -une iskra comme l’on dit dans la plupart des langues slaves pour désigner un germe de révolte-, celle de cette 2ème République, « non plus un régime politique liquidé par le franquisme, mais un ensemble de formes culturelles ayant su migrer et se perpétuer au cours des années ».
Mais, avec la musique protéiforme de Guillaume Lopez, nous sommes avant tout dans un esprit de fête, dans un espace d’échanges, passe-temps et passe-frontières.
Guillaume Lopez & Lo Bal del Lop
Pour le plus grand bonheur de ses auditeurs: je me rappellerai toujours de Giuseppina, cette vieille dame qui avait fui enfant avec son père l’Italie fasciste et la misère, qui pleurait de bonheur à chacune de ses venues en Gériatrie à la Grave, dans le cadre du Programme Culture à l’Hôpital, bien oublié aujourd’hui. Elle se rappelait de son Papa traversant les Alpes à pied, avec deux valises et son accordéon sur le dos: en jouer à chaque pause l’empêchait de pleurer…
À seulement 42 ans, Guillaume Lopez a déjà beaucoup roulé sa bosse en musique. Bien qu’il soit la plupart du temps sur la route pour donner des concerts, son occupation préférée quand il n’est pas sur scène, c’est… voyager; et son rêve le plus agréable d’avoir le temps de faire le tour du monde pour se familiariser avec le plus de gens et le plus de cultures possibles.
Boulimique musicalement, ce bon vivant a « des goûts simples »: son plat et sa boisson préférés sont un riz à l’espagnole avec un bon rouge du Médoc, et sa chanson préférée reste Le temps de finir la bouteille d’Allain Leprest.
Le temps de finir la bouteille
J´aurai rallumé un soleil
J´aurai réchauffé une étoile
J´aurai reprisé une voile…
Même s’il est profondément enraciné dans son terroir natal entre Espagne et Occitanie, et si son premier groupe s’appelait Los d’enloc, c’est-à-dire « ceux de nulle part », Guillaume Lopez rayonne de toutes les couleurs de ses origines et rencontres qui illuminent ses compositions. Et depuis 2005, de l’Occitanie à la Chine en passant par la Perse et l’Argentine, le Maroc et l’Espagne, il suit inlassablement son fil rouge que l’on retrouve de façon récurrente dans tous ses projets et qui assure la cohérence de l’ensemble; avec un point de repère connu de lui seul.
Avec Anda Lutz, ce projet très abouti, avec aussi la participation de l’Orchestre de Chambre de Toulouse et de l’Orchestre Philharmonique du Maroc, il a franchi une étape très importante où toutes ses influences se sont fondues: après s’être nourri des autres musiques du monde et les avoir confrontées à l’Occitan, c’est « un pont de mer bleue » comme chantait Llluis Lach, qu’il a lancé entre les deux rives de la Méditerranée. Avec un grand bonheur.
En effet, s’il déplore que la Culture soit de moins en moins la priorité de nombreux politiques, alors qu’elle est indispensable à la vie de chacun et au vivre ensemble, il espère par son travail artistique aiguiser la curiosité des jeunes en leur donnant l’envie de découvrir des musiciens, des peintres, des auteurs, autres que les plus médiatisés.
Après 17 disques, il a 2 enregistrements en préparation: un album de bal, du duo « Thouxazun » avec Clément Rousse, accordéoniste du Val d’Azun, et un album avec Thierry Roques qui résumera leurs 20 ans de complicité et plus de 600 concerts ensemble, avec des nouveautés bien sûr !
2024 verra aussi 2 nouvelles créations: un duo avec Thierry Roques encore mis en scène par Lilian Derruau, dit « Wally », en partenariat avec la Scène de Bayssan dans l’Hérault, et un projet Occitanie-Maghreb avec Abdel Bouzbiba, musicien narbonnais d’origine marocaine, de Fez, ex Du Bartas (magnifique groupe de fusion hélas disparu), et toujours Thierry Roques bien sûr.
Et quand il me fait lire Alba Fresca ce poème d’Alem Surre-Garcia, dans la tradition troubadouresque, je me dis qu’il convient parfaitement à Guillaume Lopez:
ALBA FRESCA
De jardin ne teni pas cap
alevat una flor pintrada
la peuna capitosa
D’amor ne teni pas cap
alevat lo remembre caput
un espet de lutz
D’ostal ne teni pas cap
alevat lo teu a mitat
fàcia un palais
De país ne teni pas cap
alevat lo teu amagat
al mièg de l’èrm
L’alba se’n va
tant umila tant discreta
tota abelida de frescor
AUBE FRAICHE
Je n’ai pas de jardin/sauf une fleur peinte/une pivoine capiteuse
Je n’ai pas d’amour/sauf un souvenir obstiné/un éclat de lumière
Je n’ai pas de maison/sauf la tienne en partage/en face d’un palais
Je n’ai pas de pays/sauf le tien caché/au milieu du désert
L’aube se retire/si humble, si discrète/toute embellie de fraîcheur
PS. Le 10 août à 20h, Guillaume Lopez sera à l’Abbaye cistercienne de Flaran, à Valence-sur-Baïse dans le Gers, pour son récital: Buf e Votz, en duo avec son sonorisateur Alfonso Bravo, comme expliqué plus haut.
À ne pas rater si vous passez par-là ou êtes libres ce soir-là…
Crédits Photo: Joachim Ducos sauf Colin Unal (photo 2).
25-VII-2023
Pour en savoir plus :
1- https://www.guillaume-lopez.fr
CAMOM Collectif Artistique et Musical Occitanie Méditerranée créé en 2007 pour diffuser les créations de la Compagnie Guillaume Lopez devenue Compagnie Anda Lutz (En avant la Lumière, du nom d’un de ses plus beaux disques).
lecamom@gmail.com 06 22 44 19 97
2- Un échantillonneur (ou sampler) est un instrument de musique électronique numérique capable d’enregistrer des échantillons sonores, puis de les reproduire.
3- Christian Grenet : https://blog.culture31.com/2023/03/11/la-mounede-une-odyssee-extraordinaire-a-toulouse/