L’Orchestre national du Capitole de Toulouse invite trois artistes toulousains lors d’un concert unique à la Halle aux Grains, au cours duquel Pierre Bleuse dirigera des chefs-d’œuvre de César Franck et Thibaut Garcia jouera en création mondiale le Concerto pour guitare de Benjamin Attahir.
Trois artistes toulousains, ayant suivi leurs études musicales au Conservatoire de Toulouse, sont les invités d’un concert de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse qui sera retransmis sur France Musique, en direct de la Halle aux Grains. Le programme de cette soirée exceptionnelle est constitué de pages symphoniques de César Franck, dirigées par Pierre Bleuse, auxquelles s’ajoute la création de « El Biir », concerto composé par Benjamin Attahir pour le guitariste Thibaut Garcia (photo). Né à Toulouse en 1994, ce dernier avoue: «Je connais Pierre Bleuse personnellement, mais je vais jouer pour la première fois sous sa direction. Quant à la pièce de Benjamin Attahir, c’est le premier concerto écrit pour moi !»
Né à Toulouse en 1989, Benjamin Attahir assure, à propos de ses premières collaborations avec le guitariste et le chef d’orchestre: «Thibaut Garcia et moi souhaitions travailler ensemble depuis plusieurs années. Le moment promet d’être d’autant plus spécial que ma rencontre avec Pierre Bleuse a été très forte, humainement et musicalement. Il comprend intimement la partition, et a des intuitions très claires sur la façon de faire sonner les choses. Et comme j’ai un rapport direct avec les musiciens de l’Orchestre… Tout se passera naturellement.»
En ouverture de ce concert, Pierre Bleuse dirigera « le Chasseur maudit », de César Franck, compositeur né en Belgique et père fondateur de l’école française. Ce poème symphonique, sombre et fantastique, s’inspire de la ballade « Der wilde Jäger » (Le Chasseur sauvage), du poète romantique allemand Gottfried August Bürger qui décrit les mésaventures d’un comte rhénan poursuivi par les démons lors d’une chevauchée dominicale à l’heure de l’office. L’œuvre est créée avec un succès immédiat en 1883, à Paris, par la Société nationale de Musique, sous la direction d’Édouard Colonne. D’un seul tenant, parcourue par le thème récurrent du cor du chasseur, la partition est divisée en quatre sections : un Andantino quasi allegretto, un Allegro, un Lento et un Presto. « Le Chasseur maudit » est une des pages les plus wagnériennes du compositeur, où se perçoivent des réminiscences de « la Walkyrie » dans les traits de violon et dans les harmonies des cuivres.
La soirée s’achèvera avec la Symphonie en ré mineur de César Franck. Achevée en 1888, elle se caractérise par un chromatisme exacerbé, un lyrisme rare et une orchestration rappelant l’orgue – César Franck était titulaire de celui de Sainte Clotilde. Page majeure du romantisme finissant, elle allie la richesse de son matériau thématique au principe cyclique qui reste la marque de fabrique du compositeur d’origine belge. Comme Camille Saint-Saëns dans sa Symphonie n° 3 avec orgue, créée à 1886, et Vincent d’Indy dans sa Symphonie sur un chant montagnard français, créée en 1887, le compositeur délaisse dans cette partition tardive les quatre mouvements traditionnels. Dans sa symphonie, structurée en trois mouvements, l’Allegretto central fait à la fois office de mouvement lent et de scherzo.
L’œuvre adopte par ailleurs le principe cyclique systématisé par Franck, souvent repris dans la musique française à partir des années 1880, qui utilise un ou plusieurs thèmes reconnaissables dans les différents mouvements. Ce procédé participe à un cheminement dramatique et spirituel qui dessine au fil de la symphonie un parcours menant de l’ombre vers la lumière. Si le compositeur puise dans la tradition il n’en actualise pas moins les formes, et sa démarche influencera les ouvrages de Ernest Chausson, Paul Dukas, ou encore Albert Roussel.
Le compositeur Pierre de Bréville rapporte ces propos de César Franck: «C’est une symphonie classique. Au début du premier mouvement se trouve une reprise, comme on en faisait autrefois pour affirmer mieux les thèmes ; mais elle est dans un autre ton. Ensuite viennent un Andante et un Scherzo, liés l’un à l’autre. Je les avais voulus de telle sorte que chaque temps de l’Andante égalant une mesure du Scherzo, celui-ci pût, après développement complet des deux morceaux, se superposer au premier. J’ai réussi mon problème. Le Finale, ainsi que dans la Neuvième [Symphonie de Beethoven], rappelle tous les thèmes ; mais ils n’apparaissent pas comme des citations, j’en fais quelque chose, ils jouent le rôle d’éléments nouveaux.»
Présent lors de la création au Conservatoire de Paris, en 1889, Romain Rolland raconte : «Dans la salle, trois publics : des applaudissements frénétiques, peu nombreux ; de nombreux “Chut!” (ils sont rares, d’ordinaire, au Conservatoire). Ils partent surtout des premières loges. Pendant l’exécution, je voyais des auditeurs se boucher les oreilles avec affectation ; enfin, la masse du public, indifférente». Un autre auditeur parle de «musique aride et terne, sans… grâce ou charme…», témoignage des débats dans le milieu musical français, divisé entre rejet de la musique allemande de l’époque et admiration pour les travaux de Richard Wagner.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Halle aux Grains
vendredi 17 mars 2023 à 20h00
Orchestre national du Capitole