Deux jeunes musiciens invités animaient le concert du 26 mai dernier de l’Orchestre national du Capitole. Le chef d’orchestre américain Ryan Bancroft, pour la première fois à Toulouse, et son compatriote le violoniste Benjamin Beilman, déjà découvert il y a quelques années à la Halle aux Grains, proposaient un programme de musique britannique de l’extrême fin du XIXème siècle et du début du XXème. Benjamin Britten et Sir Edward Elgar ont ainsi permis de révéler et d’admirer deux talents musicaux d’exception.
Ryan Bancroft, né à Los Angeles, a remporté à la fois le Premier Prix et le Prix du Public de la prestigieuse Malko Competition for Young Conductors en 2018 à Copenhague. Depuis, il a été nommé Chef Principal du BBC National Orchestra du Pays de Galles à partir de la saison 2020-2021 et Artiste Associé à la tête du Tapiola Sinfonietta de Finlande. Il en est devenu Artiste Associé dès la saison 2021-2022. Ce jeune chef, enthousiaste et habité par la musique qu’il dirige, ouvre son premier concert toulousain en accompagnant le tout aussi jeune violoniste Benjamin Beilman dans le Concerto en ré mineur de Benjamin Britten. Les habitués des soirées musicales de la Halle aux Grains se souviennent probablement de l’enthousiasme qu’a suscité son interprétation du Concerto de Sibelius le 14 avril 2017.
On retrouve les qualités découvertes jadis, peut-être même une maturité plus assumée encore, dans le jeu de Benjamin Beilman. Le Concerto en ré mineur de Britten est une œuvre techniquement exigeante. Tour à tour poétique, satirique et élégiaque, elle a été composée dans les circonstances dramatiques des menaces de la deuxième guerre mondiale. Profondément pacifiste, le compositeur s’exile aux États-Unis en avril 1939 en passant par le Québec où il achève son Concerto pour violon. Cette angoisse, ce désespoir parfois, lui dicte une partition où cohabitent des sentiments extrêmes.
Le rythme obsessionnel, initié par la timbale et qui parcourt les trois mouvements de l’œuvre, renforce encore l’impression d’angoisse sous-jacente. Soutenu, accompagné, provoqué parfois, par un orchestre aux accents toujours justes et profonds, Benjamin Beilman y déploie une sonorité intense, une palette de couleurs d’une étonnante richesse. Sa virtuosité parfaite s’écoute comme une gamme étendue de moyens d’expression. Les doubles cordes, les sons harmoniques, les pizzicati de la main gauche enrichissent le langage musical et expressif sans exhibitionnisme aucun. Le désespoir qui suinte de la cadence centrale constitue un sommet d’émotion. Comme une prière, la fin de l’œuvre se fond dans un silence recueilli et bouleversant.
Il faut un certain délai pour redescendre des hauteurs où cette musique entraîne chaque auditeur ! Après un silence prolongé, l’acclamation que reçoit cette exécution marquante rappelle le chef et le soliste jusqu’à ce que ce dernier offre un bis à la fois méditatif et virtuose. Le Recitativo et Scherzo-Caprice, de Fritz Kreisler permet de retrouver l’art violonistique accompli de Benjamin Beilman.
La seconde partie de soirée est consacrée aux quatorze variations qui composent cette étonnante partition écrite entre 1898 et 1899 par Sir Edward Elgar : les Variations Enigma. Cette œuvre d’une grande originalité suscite toujours la curiosité car chacune de ses variations brosse le portrait d’une personne amie d’Elgar, « énigmatiquement » représentée par ses initiales ou un pseudonyme. Une sorte d’équivalent musical des portraits de La Bruyère. Le fameux thème, partiellement dévoilé, se plie à tous les traitements imaginés par Elgar : la poésie, l’humour, la nostalgie ou l’éclat. La direction généreuse et souple de Ryan Bancroft permet à l’orchestre de soigner le détail autant que la grande forme, à la manière d’un puzzle qui révèle finalement un paysage grandiose.
Pour chaque portrait, les éléments qui permettent d’identifier le ou la dédicataire sont habilement divulgués. L’alto de la variation 6 « Ysobel », dédiée à l’altiste Isabel Fitton, joue parfaitement son rôle. C’est également le cas des vents qui moquent gentiment le rire de Dora Penny dans la variation 10. L’apothéose que constitue la célèbre (à juste titre) variation 9, « Nimrod », prend ici une dimension cosmique. Comme un somptueux lever de soleil, la longue phrase inonde le paysage d’une éclatante lumière. Rappelons que cette variation est dédiée au meilleur ami d’Edward Elgar, August Jaeger. Le nom « Nimrod » reprend celui du chasseur mythologique de l’Ancien Testament, Jaeger signifiant « chasseur » en allemand.
L’autoportrait final conclut sur une autre flamboyante séquence dans laquelle l’Orchestre, stimulé par l’enthousiasme communicatif de Ryan Bancroft, atteint des sommets d’incandescence. Splendide interprétation que rehausse une fois encore toutes les interventions solistes, notamment celles de Sarah Iancu au violoncelle et de Laura Ensminger à l’alto. L’accueil enthousiaste du public donne la mesure de l’impact de cette stimulante prestation.
Il faut également mentionner l’ovation que les musiciens ont réservée au chef invité à l’issue du concert. Un test hautement significatif ! On peut vraiment parler de révélation importante pour ce qui concerne Ryan Bancroft, et de confirmation du grand talent de Benjamin Beilman, deux personnalités que l’on souhaite revoir bientôt à Toulouse.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse