Le 6 mai dernier, le grand chef américain Joseph Swensen reprenait son exploration du monde musical et philosophique de Gustav Mahler qu’il ne cesse de visiter, d’approfondir. La 9ème symphonie du compositeur du « Chant de la Terre », au programme de cette soirée particulière, prolonge le cycle Mahler que Joseph Swensen a débuté en 2002 avec l’Orchestre national du Capitole. Ces vingt années de cheminement commun marquent la complicité touchante qui se perpétue entre ce chef atypique et les musiciens de notre orchestre.
Cette ultime symphonie achevée par Mahler coïncide avec une période particulièrement difficile dans la vie du compositeur. 1907 marque en effet la fin de son contrat de directeur de l’Opéra de Vienne, après dix ans de fonction, le décès de sa fille Maria, âgée de quatre ans, et la découverte de son état physique alarmant qui affecte considérablement toutes ses activités. Il n’assistera d’ailleurs pas à la création qui aura lieu le 26 juin 1912 à Vienne, sous la direction de Bruno Walter, plus d’un an après sa disparition.
La mort imprègne en effet toute l’œuvre, dès les première notes qui émergent du silence. L’Andante commodo qui ouvre ce voyage vers l’inconnu est pris ici dans un tempo glaçant. Les notes de la harpe s’échappent comme un lourd panache funèbre. Néanmoins, les violents sursauts, les convulsions dramatiques qui affectent toute cette première partie, écartelée entre résignation et révolte, explosent avec une vigueur désespérée. Les doutes qui s’insinuent dans la moindre brèche trouvent d’étonnantes traductions instrumentales. Ainsi en est-il de cet incroyable duo entre le cor solo et la flûte solo que Jacques Deleplancque et Sandrine Tilly dominent de leur perfection instrumentale. La multiplication des solos instrumentaux, certains particulièrement redoutables, mettent en évidence les qualités bien connues des musiciens de la phalange symphonique toulousaine. Saluons notamment la trompette raffinée d’Hugo Blacher, le violon expressif de Kristi Gjezi, l’alto généreux de Bruno Dubarry…
Avec le Scherzo qui suit, la rupture s’impose. Tout imprégné de cette atmosphère de Ländler paysan, ce mouvement alterne ici les humeurs les plus diverses. Le chef semble appliquer à la lettre les indication du compositeur : « Dans le tempo d’un ländler confortable. Un peu lourd et très rude ».
Le troisième mouvement, baptisé « Rondo burlesque » rassemble des éléments disparates qui contrastent, entre vivacité ironique et parodie macabre. L’agitation fébrile s’interrompt à l’apparition sublime du thème qui irriguera tout le mouvement final. Un grand bravo une fois encore à Hugo Blacher, trompette solo, qui illumine cette intervention stratégique, si délicate d’exécution.
Et c’est enfin la lente marche vers le néant qui ouvre ce poignant Adagio. La mélodie infinie, qui émerge du silence pour finalement s’y dissoudre, évolue lentement de la douleur profonde vers l’apaisement ultime. Comme un baume sur les blessures de la vie, la matière sonore semble se diluer peu à peu dans une éternité qui abolit le temps lui-même. Tous les pupitres de cordes se surpassent dans ce mouvement qu’ils dominent de leur intense lumière. Une fois encore le solo de cor, comme un message d’humanité, bouleverse les cœurs et les esprits. Jusqu’aux dernières notes qui plongent dans une sorte de vide et de silence sans fin. Le lourd silence qui prolonge les derniers échos de ce final en dit long sur l’impact d’une telle œuvre à la fois sur les musiciens et sur le public.
Citons Gil Pressnitzer, passionné de Mahler qui écrit à propos de cette partition : « Cette symphonie ne commence pas, elle est déjà en route quand les premières notes sont perceptibles, et elle ne finit pas. Cet accord final en ré bémol majeur qui meurt à nos oreilles, vivra toujours en nous-mêmes. »
Une expérience à vivre grâce à Joseph Swensen, le maître d’œuvre de cette soirée riche en émotion. Longuement acclamé par le public mais aussi par tous les musiciens de l’orchestre, le chef ne cesse d’aller féliciter chaque soliste instrumental.
Bravo à tous !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole