Alors qu’elle s’apprête à fêter ses quarante années d’existence, l’Association Les Arts Renaissants poursuit sa saison 21/22, invitant cette fois en l’Eglise Saint-Jérôme, le prestigieux Venice Baroque Orchestra sous la direction de son fondateur Andrea Marcon. Pour cette occasion, ils seront accompagnés par la violoniste Chouchane Siranossian. Au programme, et il fallait un peu s’y attendre d’autant que nous l’espérions vivement : Vivaldi et Tartini.
Prêtre de l’Eglise catholique et assurément le plus justement célébré virtuose du violon de son temps, Antonio Vivaldi est aussi l’un des plus importants compositeurs de la période baroque. Le programme de cette soirée que vient de nous proposer l’Association Les Arts Renaissants, rend hommage à l’un des legs les plus marquants de ce musicien, celui du concerto pour soliste, genre dont il est vraisemblablement l’initiateur. Après deux concertos pour cordes, ce sont deux concertos pour violon qui terminent ce programme. Issu de l’opus 11, écrit en 1729, Vivaldi a alors 41 ans, le premier porte le nom de « Il Favorito », nom qui a été ajouté à la partition après l’écriture de l’œuvre. Peut-être porte-t-il en lui tout l’éclat de la partie soliste. Présenté par Vivaldi à l’Empereur germanique Charles VI, il démontre dès son premier mouvement le talent du compositeur pour le drame musical, alors que l’Andante central offre à l’auditeur toute une atmosphère dont le profond lyrisme ne peut cacher une certaine mélancolie. Ce même auditeur ne pourra, dans l’Allegro final, que deviner l’Automne des célébrissimes « Quatre Saisons ».
« Il Grosso Mogul », qui achève le programme, est un clin d’œil à la cour du Grand Mogol mais aussi au plus célèbre diamant du XVIII siècle, appartenant à Shah Jahan, celui-là même qui fit construire le Taj Mahal. Eclat du joyau faisant écho à celui de ce concerto ? Rien n’est avéré… Les deux Allegro qui entourent le mouvement central sont des recueils de difficultés majeures : cordes doubles, arpèges modulés, figures chromatiques vertigineuses, etc. Mais c’est le Recitativo central qui retient surtout l’attention pour l’intense émotion qu’il suscite, tout comme certaines figures d’un modernisme étonnant. Quant à la cadence finale de ce concerto, il n’est rien de dire qu’elle a tenu le public en apnée ! Nous sommes au-delà du vertige ! Prodigieux.
Rappelons que Bach avait une admiration sans bornes pour Vivaldi. Il transcrivit pour clavier plusieurs de ses œuvres, reconnaissant au passage combien elles l’inspirèrent. Ce qui n’est pas rien ! Au cœur de cette soirée, décidément très riche en émotion, un autre compositeur italien, violoniste de son état, Giuseppe Tartini, parfait contemporain de Vivaldi, même si plus jeune de 14 ans.
Alors que Vivaldi fut prêtre, le fameux Prêtre roux à cause de ses cheveux, Tartini refusa cette voie tracée par ses parents. Prolifique, Tartini compose, entre autres œuvres, 130 concertos pour violon. Parmi ses autres compositions figure la fameuse sonate intitulée « Les Trilles du Diable ». Tout un programme ! Pour l’heure, ce sont deux concertos pour violon, le D 45 et le D 96, qui illustrent cette abondante littérature.
On l’aura bien compris, il faut des interprètes hors pair pour affronter pareilles œuvres. Les Arts Renaissants avaient invité à se joindre en ce soir de concert à l’irréprochable Venice Baroque Orchestra sous la direction (et le clavecin) de son fondateur en 1997 Andrea Marcon, la soliste Chouchane Siranossian. D’origine arménienne, cette musicienne, l’une des plus grandes virtuoses de la scène internationale, et aussi l’une des rares à se frotter à pareilles partitions. Pour la petite histoire, l’un de ses derniers enregistrements a reçu un prix intitulé « Pizzicato Supersonic ». Mais ce qu’il y a de plus formidable chez elle, au-delà de ce qui ne pourrait être que virtuosité pyrotechnique, c’est tout ce fameux supplément d’âme que l’on entend dans les mouvements centraux de ces concertos, tous moments d’une profonde émotion. Somptueusement accompagnée par le théorbe magistralement fascinant d’Ignacio Laguna Navarro, tour à tour rageur ou mélancolique, la soirée atteint un véritable état de grâce.
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse