Le retour à Toulouse du prestigieux Quatuor Hagen, dans le cadre de la saison des Arts Renaissants, n’a pas manqué d’attirer les mélomanes de la Ville rose. Ce mardi 1er février, l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines bien rempli a donc accueilli ce fabuleux ensemble « familial » célébrant ainsi le quarantième anniversaire de sa fondation, en compagnie du clarinettiste Jörg Widmann. Le déroulement de la soirée a brillamment répondu à l’attente des spectateurs.
L’aventure familiale commencée au Mozarteum de Salzbourg en 1981 fut un temps composée seulement des frères et sœurs Hagen jusqu’à l’arrivée de Rainer Schmidt en 1987. C’est sous cette forme qu’il a conquis le monde de la musique de chambre. Le premier violon, deLukas Hagen, le second violon de Rainer Schmidt, l’alto de Veronika Hagen et le violoncelle de Clemens Hagen composent donc depuis longtemps l’un des quatuors à cordes les plus accomplis du moment.
Ils ont choisi pour leur programme toulousain de confronter la luminosité mozartienne à la noirceur de Chostakovitch. Ce rapprochement radical illustre la diversité stylistique, la profondeur de la réflexion que pratiquent ces musiciens sur les œuvres et compositeurs de leur vaste répertoire.
Le Quatuor n° 21 en ré majeur KV 575 de Mozart ouvre le concert sur la révélation d’un jeu collectif d’une transparence, d’une finesse expressive, ainsi que d’un sens incomparable des nuances. Les quatre musiciens abordent la lumière de l’Allegro initial comme une précieuse broderie. Rien d’affecté, rien de prévisible. La musique naît comme une source voit le jour. Dans l’Andante s’exhale une plainte retenue et discrète avant que la légèreté lumineuse du Menuet ne reprenne le dessus. La danse s’exprime ici avec une grâce immatérielle. L’Allegretto final ramène une lumière plus vive. Celle d’un chant aérien. Comme toujours dans la musique instrumentale de Mozart, la voix humaine n’est jamais bien loin.
Le contraste avec l’œuvre suivante évoque la nuit qui succède au jour. Composé entre février et mars 1960, le Quatuor n° 7 en fa dièse mineur de Dmitri Chostakovitch est dédié à la mémoire de Nina Vassilievna-Chostakovitch, sa première épouse décédée en 1954. La substance expressive des trois courts mouvements enchaînés qui composent cette sombre partition n’est en outre pas étrangère au fait que son auteur apprend à cette époque qu’il est atteint d’une maladie incurable. L’angoisse, le pessimisme le plus profond imprègnent toute l’œuvre qui ne verse pourtant jamais dans le larmoyant. L’Allegretto initial n’est d’ailleurs pas absent de cette ironie amère ou sarcastique qui caractérise nombre de pièces du compositeur. Glaçant et fantomatique, le Lento central suscite la réflexion, alors que la noirceur la plus implacable parcourt l’effrayant Allegro final. Les interprètes, dans l’unité de leur jeu, habitent ce monde désespéré de couleurs infinies. Une fois encore la gamme sans limite des nuances construit et développe une tension expressive à la limite du soutenable. Un très grand moment !
Un nouveau contraste d’atmosphère, vers la lumière cette fois, s’opère avec la pièce finale de cette soirée, le mythique Quintette avec clarinette en la majeur, KV 581, de Mozart. L’arrivée du clarinettiste, mais aussi compositeur, Jörg Widmann complète harmonieusement les cordes du quatuor. La richesse de l’infinie palette des nuances se manifeste tout au long des quatre mouvement de ce chef-d’œuvre dont on découvre à chaque audition de nouvelles beautés. La sonorité, tantôt ardente, tantôt voilée de la clarinette mène l’Allegro initial entre ombre et lumière. La dialogue qui s’établit et se maintient entre l’instrument soliste et les cordes, prend la forme d’une discussion animée et chaleureuse. Le Larghetto, tel un rêve, nous emporte au paradis ! Le choix des phrasés, les échanges entre cordes et bois, évoquent encore ici le chant nostalgique d’un opéra imaginaire. Si la danse reprend ses droits dans le Menuetto, on décèle comme une plainte passagère dans le premier Trio réservé aux cordes, alors que la clarinette, dans le second Trio, ramène le sourire. La complexité du final Allegretto con variazioni permet aux interprètes d’alterner le rire et les larmes, la liberté et même la malice.
Largement et abondamment acclamés, les musiciens ne sacrifient pas à la tradition du bis. On comprend tout à fait que le programme, tel qu’il vient d’être porté, et de quelle façon, se suffit à lui-même. Un grand bravo, un grand merci aux interprètes et aux Arts Renaissants pour cette soirée mémorable !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse