Le 25 octobre dernier, la Halle aux Grains recevait, à l’invitation de la saison Grands Interprètes, le bel ensemble Pygmalion, dirigé par Raphaël Pichon. La grande soprano Sabine Devieilhe était la soliste indispensable d’un programme musical consacré à un dialogue étonnant entre les deux figures essentielles de la période baroque : Johann Sebastian Bach et Georg Friedrich Haendel.
Rappelons que Pygmalion, ensemble jouant sur instruments d’époque, fondé en 2006 par Raphaël Pichon, explore les filiations qui relient Bach à Mendelssohn, Schütz à Brahms ou encore Rameau à Gluck et Berlioz. En résidence à l’Opéra national de Bordeaux, Pygmalion se produit régulièrement sur les plus grandes scènes françaises et internationales.
Quant à Sabine Devieilhe, elle a tout d’abord étudié le violoncelle et la musicologie. Voici qui explique probablement la parfaite musicalité de l’artiste, au-delà de ses incomparables qualités vocales.
Bien que consacré à deux compositeurs parmi les plus célèbres et les plus joués de l’héritage historique, ce concert a mis en évidence des liens inattendus, des correspondances étonnantes entre leurs productions. Rendons grâce à Raphaël Pichon, ses musiciens et sa soliste pour cette inventivité.
Johann Sebastian Bach et Georg Friedrich Haendel, associés dans ce projet sont exactement contemporains (ils sont tous deux nés en 1685). Ils possèdent également en commun le fait consternant d’avoir été rendus aveugles par le même chirurgien ophtalmologiste, le chevalier John Taylor ! Leur style musical ne peut évidemment se réduire à quelques caractères limités et l’intérêt du programme original présenté ce 25 octobre consiste à explorer les lien qui les rapprochent.
Raphaël Pichon a imaginé une succession de pièces diverses qui construisent un œuvre musicale cohérente et forte. La succession des partitions réunies ici obéit à une certaine recherche de la continuité. Une continuité de caractère ou de tonalité qui aboutit parfois à des enchaînements continus étonnants entre les deux compositeurs sans le moindre hiatus, sans la moindre rupture. Comme si l’un prolongeait le propos de l’autre. En outre, les alternances de pièces instrumentales et vocales confèrent une unité attachante à ce programme novateur.
La soirée s’ouvre sur l’aria « Un pensiero nemico di pace » de l’oratorio haendélien, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. Sabine Devieilhe y déploie une virtuosité inouïe, un feu d’artifice de vocalisation d’une incroyable perfection. Deux autres interventions dans le monde vocal du plus britannique des compositeurs allemands jalonnent la soirée. Dans l’aria « Che sento ? O dio ! … Se pietà » extrait de l’opéra Giulio Cesare in Egitto, la soprano suscite dans tout le public une émotion perceptible avec l’insondable tenue d’un extrême aigu pianissimo que l’on penserait impossible… Un deuxième emprunt à l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, l’aria « Tu del Ciel ministro eletto » conclut la soirée sur un véritable rêve musical. Un long silence s’avère nécessaire pour redescendre sur terre !
Les interventions dans l’œuvre sacrée de Bach constituent une part importante de ce dialogue. Très intelligemment quelques extraits instrumentaux, subtilement choisis, introduisent deux cantates parmi les plus émouvantes.
Ainsi, la sinfonia de la cantate BWV 146 Wir müssen durch viel Trübsal, reprise par Bach dans son concerto pour clavier en ré mineur BWV1052, introduit avec vigueur la cantate BWV 199, Meine Herze schwimmt im Blut (Mon cœur baigne dans le sang), donnée intégralement. La soliste comme l’ensemble instrumental parcourent là un chemin particulièrement touchant de la douleur vers la sérénité. L’autre cantate, la BWV 82, Ich habe genug (Je suis comblé), est donnée en extraits avec cet accompagnement divin de la flûte magnifiquement phrasé par la musicienne. Là encore l’émotion gagne tout esprit sensible…
Soulignons fortement les qualités musicales et instrumentales de tous les intervenants dans les nombreux solos, comme les hautbois, la viole de gambe, l’orgue, le basson, la flûte donc, ainsi que les musiciens aguerris de l’indispensable continuo. La direction précise, élégante et fervente de Raphaël Pichon mène tout ce monde à l’excellence.
La sortie toute récente d’un album CD Warner Classics/Erato qui reprend l’essentiel de ce programme par ces mêmes interprètes devrait permettre aux spectateurs de ce beau concert de retrouver l’émotion de cette soirée et à ceux qui n’ont pu être présents d’éprouver le plaisir de la découverte.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse