A Salon la perfection instrumentale mais surtout
l’émotion survoltée.
Et le 29 iéme Festival International de Musique de Chambre de Salon de Provence a tenu ses promesses une année de plus. Déjà l’an dernier nos trois amis musiciens Emmanuel Pahud, Paul Meyer et Éric Le Sage avaient tenu leur annonce d’un festival maintenu malgré les aléas de la pandémie. Nous en avions rendu compte avec émotion dans un été si inquiet. Cette année ils répondent toujours présents, entourés d’amis encore plus nombreux, proposant un répertoire encore plus ouvert aux musiques rares. L’excellence musicale étant à ce niveau superlatif elle ne fait pas mentir la devise du festival : les meilleurs solistes au monde se retrouvent à Salon.
Les trois précédents concerts du soir avaient ouvert les vannes aux mélanges musicaux les plus audacieux parfois sans cohérence, avec comme seul projet : jouer ensemble, écouter, se régaler et ravir le public. Le concert de ce soir est plus cohérent et ne propose pourtant qu’une seule œuvre bien connue : le Trio de Ravel. Suivons l’ordre du programme afin de revivre cette délicieuse soirée.
Max Reger a composé un trio rare réunissant flûte, violon et alto. Ce registre aigu, juste pondéré par l’alto donne à la partition une élévation, un coté aérien, virevoltant et dansant. Comme une recherche constante d’apesanteur. Les interprètes rivalisent de légèreté et d’élégance tout du long. Le violon de Maja Avramovic se fait virevoltant. L’alto de Joachim Riquelme Garcia sert de base plus solide mais oscille avec art entre sonorité rondes, chaudes, terriennes et moments de légèreté partagée avec ses camarades. Emmanuel Pahud en grande forme reste un interprète dansant d’une incroyable élégance. La sonorité lumineuse et facile, les nuances subtiles, le babillement incessant sont un véritable régal. Le voir et observer comment il danse ne laissant que rarement ses deux pieds sur terre est une particularité très touchante. On devine que l’allègement de sonorité recherchée et l’allègement de l’homme dansant participent de la même philosophie. La flûte ainsi jouée a une sonorité quasi irréelle, immatérielle et d’une élégance souveraine. Ce trio est plus facile d’écoute que bien des pages plus connues de Reger. Ce début de concert apporte fraicheur et élévation d’esprit.
Frantz Schreker est de la même génération que Reger. Son œuvre « Der Wind » procède d’une expérimentation audacieuse. Cette partition en un seul mouvement propose une expérience sonore inouïe. Elle avait été composée pour la danseuse Grete Wiesenthal. La nature sous le vent y semble s’éveiller et jouer de cet élément mouvant. Le cor offre cet élément de vaste nature auquel les romantiques ont su donner ses lettres de noblesse (Brahms), tout de délicatesse les phrasés de Benoit de Barsony sont d’une rare subtilité. Paul Meyer à la clarinette sait trouver les nuances les plus fines au bord du silence, le violon de Daishin Kashimoto n’étant pas en reste avec des moments plus lyriques et exposés. Claudio Bohorquez tout sourire se régale de partager tout l’art dont il est capable. Le piano de Frank Braley est d’une subtilité incomparable, il est liquide, évanescent et troublant, tout en s’éveillant progressivement à une rythmique plus entrainante. Cette composition à petit effectif est si subtilement écrite qu’elle arrive à suggérer un effectif beaucoup plus vaste. L’écoute totale et l’admiration réciproque entre les musiciens (Frank Braley est comme à l’affut des moindres suggestions de ses partenaires), donne à cette interprétation une vie communicative. La tempête finale est tout à fait symphonique avant que le vent ne retombe avec une grande délicatesse. Le public est totalement conquis par l’œuvre comme les interprètes.
La pièce centrale du concert est le merveilleux Trio de Ravel. Disons-le d’emblée l’interprétation de ce soir est absolument idéale. L’écoute totale des trois musiciens, leur personnalité riche et généreuse, leur technique impeccable et surtout, surtout leur musicalité de chaque instant, cet ensemble construit un équilibre d’une beauté et d’une émotion des plus rares. La perfection sonore est constante avec ce son français si particulier. Le piano de Frank Braley étant peut-être ce qui cimente cette perfection. Le public qui retrouve après de trop nombreuses années d’absence ce musicien d’exception est conscient de sa chance de l’entendre à nouveau. Son toucher est d’une délicatesse et d’une force en même temps qui trouble l’auditeur. La délicatesse devient une force expressive d’une rare séduction. Et les quelques fortissimos sont époustouflants, ses graves abyssaux sont de toute beauté. Le deuxième mouvement, Pantoum, a les accents méchamment séduisants attendus. Une certaine violence s’exprime et là aussi, le piano de Franck Braley est sidérant de présence. Puis le mouvement lent la Passacaille est comme hors du temps reposant sur des graves du piano dignes de l’orgue. Le relai piano violoncelle ( Claudio Bohorquez ) est envoutant, le violon (Gordan Nikolic) passe du grave à la lumière de l’aigu avec un frémissement quasi divin. Le retour au grave semble apporter un repos éternel. Ce grand calme cette abolition du temps fait un contraste saisissant avec le final étincelant d’une virtuosité folle pour les trois instrumentistes. L’osmose entre les trois musiciens tient du miracle. Le final est merveilleusement dansant et traversé par une puissance parfaitement assumée. Cela porte le public à la transe avec des applaudissements nourris. L’entracte est bien venu pour échanger sur ce partage musical éblouissant.
La deuxième partie débute avec une partition charmante d’ Alain Guinovart jouée au piano par le compositeur et au Saxophone soprano le talentueux Eudes Bernstein. Au piano Albert Guinovart structure puissamment le propos et le saxophone soprano en cousin de la clarinette plus que du hautbois s’empare des belles volutes chantantes avec un légato très agréablement nuancé. Initialement écrite pour le hautbois l’adaptation au saxophone soprano est très convaincante. Chaque mouvement bien différent permettant d’explorer toutes les capacités expressives et techniques du rare saxophone soprano. Les deux musiciens trouvent sous le ciel étoilé un très bel accord et obtiennent des applaudissements nourris.
Pour finir en beauté ce magnifique concert le Quintette de Hummel est une œuvre parfaite. Johann Nepomuk Hummel est un excellent compositeur qui a eu beaucoup de succès de son vivant. Il semble faire la jointure entre Mozart et Haydn d’un côté et Beethoven et Schubert de l’autre. Ce Quintette qui donne la part belle au piano traité en un véritable chef d’orchestre est admirablement équilibré, chaque instrumentiste a des moments de solistes régalants. La cohésion est absolument indispensable et tous pouvaient compter sur l’attention permanente de Franck Braley admirable de prévenance de bout en bout, donneur d’élan rythmique, soliste hors pair et chambriste admirable. En magnifique forme Franck Braley fait un retour euphorisant à Salon. A la contrebasse le souriant Olivier Thiery est aussi agréable à regarder qu’à écouter. Il est traversé par une énergie parfois diabolique, et souri aux traits réussis de ses compagnons avec délectation. Les échanges savoureux entre Joachim Riquelme Garcia à l’alto et Claudio Bohorquez au violoncelle sont, sous le regard amusé d’Olivier Thiery, un très grand moment de complicité musicale et amicale. Au violon Daishin Kashimoto est absolument souverain tant dans ses solos que dans son partage chambriste accompli. Franck Braley est le moteur de ce quintette et obtient un succès personnel intense. Le public comme ses collègues semblent si heureux de retrouver un pianiste si exceptionnel.
L’œuvre est jubilatoire, pleine d’humour elle est passée trop vite avec des interprètes si inspirés.
Quelle soirée ! Le festival de Salon de Provence bat son plein et c’est un vrai bonheur de se trouver à la nuit tombante dans cette magnifique cour à l’acoustique parfaite.
Hubert Stoecklin
Critique, Concert. Salon de Provence. Cours du Château de l’Empéri, le 3 Août 2021. Max Reger (1873-1916) : Sérénade op. 141a avec flûte ; Franz Schreker (1878-1934) : Der Wind ; Maurice Ravel ( 1875-1937) : Trio en la mineur M.67 ; Albert Guinovart ( né en 1962) : Sonate pour saxophone soprano et piano ; Johann Nepomuk Hummel ( 1778- 1837) : Quintette avec piano op.87 ; Emmanuel Pahud, flûte ; Maja Avramovic, Daishin Kashimoto et Gordan Nikolic, violon ; Joachim Riquelme Garcia, alto ; Claudio Bohorquez, violoncelle ; Olivier Thiery, contrebasse ; Eudes Bernstein, saxophone soprano ; Albert Guinovart et Franck Braley, piano.