Profitons que le Festival de Cannes débute cette semaine pour remettre en avant la Queer Palm, qui célèbre le cinéma LGBT. Nicolas Maury présidera le jury cette année :
Retour sur ma rencontre fin 2018 avec Franck Finance-Madureira, président-fondateur de la Queer Palm du Festival de Cannes. Un grand merci à lui !
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai étudié le journalisme à l’École Publique de Journalisme de Tours, j’ai ensuite fait un stage dans le magazine Le Mensuel du cinéma avec comme rédacteur en chef Didier Roth-Bettoni, journaliste et auteur, spécialiste du cinéma LGBT. J’ai toujours écrit sur le cinéma dans divers supports comme pigiste parallèlement à du consulting en communication. J’ai notamment été directeur de la publication du magazine Clap ! (2015-2017), journaliste pour l’émission de Canal+ Top of the Shorts. Je codirige depuis mai 2017 avec Ava Cahen le site FrenchMania, que nous avons créé tous les deux, et qui est dédié au cinéma français et francophone. Je suis également pigiste cinéma pour le site Komitid.
Comment est née la Queer Palm ?
Je me suis toujours intéressé au cinéma LGBT+ ou queer et je suivais de près les Teddy Awards qui existent au festival de Berlin depuis 1987. En 2010, après une année au sein d’Act Up-Paris comme responsable de la communication et un beau travail sur la collection de courts-métrages « Femmes et VIH » avec Arte, j’ai eu envie de lancer l’équivalent du Teddy à Cannes. J’ai prévenu l’organisation du festival ; Olivier Ducastel et Jacques Martineau m’ont ouvert leurs carnets d’adresses pour composer le premier jury, ils ont d’ailleurs été à leur tour présidents du jury en 2016.
Comment s’est déroulée l’organisation de la première Queer Palm ?
La première année, j’ai tout fait tout seul et malgré la très bonne réaction de la presse française et internationale sur l’événement, je me suis rendu compte que je manquais de ressources humaines et financières pour faire de ce prix un événement de premier plan. Côté équipe, j’ai eu la chance d’être rejoint très vite par Christopher Landais qui a travaillé dans des sociétés de production cinéma et qui est maintenant directeur de casting. L’équipe s’est mise en place petit à petit.
Comment se fait la sélection et la composition du jury ?
Pour ce qui est de la sélection, j’ai un contact dans chacune des sections cannoises et ce sont eux qui m’alertent sur les films sélectionnables : pour leur traitement de sujets, de personnages, ou de thèmes LGBT+, queer ou féministes, comme Bande de filles de Céline Sciamma, Les Vies de Thérèse de Sébastien Lifshitz, récompensé en 2016. Par exemple, Mommy était en sélection puisqu’est abordé frontalement dans le film le sujet de l’homophobie et que le personnage principal par sa marginalité et sa volonté de ne pas rentrer dans le rang est éminemment queer. Certaines interprétations du film montrent qu’il est une sorte d’allégorie de l’homosexualité.
Concernant le jury, je le compose uniquement avec des personnes que j’ai déjà rencontrées et que je connais suffisamment : il faut respecter les équilibres tant que faire se peut entre les genres, les métiers et les origines géographiques mais le point commun des membres de tous les jurys Queer Palm, c’est d’être professionnel du cinéma et passionné par les questions de société et les sujets LGBT+.
Comment cette première Queer Palm a-t-elle été reçue ? Voyez-vous une évolution de la Queer Palm au fil des années ?
Le prix a été très bien reçu par les médias qui l’ont abondamment couvert et, petit à petit, il a pris sa place lors de la publication par les journaux du palmarès du festival de Cannes.
Côté festival, nous avons des rapports cordiaux même si nous aimerions une implication plus grande des équipes du festival. Nous espérons qu’avec la reconnaissance de l’importance de ce prix par le gouvernement français, via la DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT) et l’appui récent du CNC, les choses vont bouger un peu pour la 10ème édition que nous sommes en train de préparer pour mai 2019.
Le public est sensible au prix et on m’en parle partout dans le monde quand je suis dans des jurys ou des festivals.
Côté professionnel, le prix me semble être de plus en plus impactant et reconnu par les producteurs et distributeurs, notamment dans leurs communications autour des films primés. La presse nous suit toujours et la cérémonie de remise de la Queer Palm est l’une des soirées les plus courues à Cannes chaque année.
Un mot sur la création de la Queer Palm du court-métrage…
Je suis très heureux que nous ayons lancé la Queer Palm du court-métrage en 2012 : c’est souvent un vrai levier pour les jeunes réalisateurs et réalisatrices pour la suite de leur carrière que nous suivons de près.
Peut-on aborder les réactions de Xavier Dolan vis-à-vis de la Queer Palm ?
Quand le jury a attribué la Queer Palm en 2012 à Laurence Anyways, Xavier Dolan a envoyé un SMS de remerciements à Julie Gayet qui était la présidente du jury de la Queer Palm cette année-là. Ce n’est que deux ans après, à l’époque de la sortie en salles de Mommy qu’il a déclaré à Télérama qu’il ne comprenait pas à quoi servait ce prix, qu’il n’aimait pas les ghettos et que l’homosexualité n’était plus un problème aujourd’hui. Donc, effectivement, il n’a pas compris que le prix n’avait rien à voir avec un quelconque ghetto, ni un prix communautaire. C’est un prix de cinéma, militant puisque l’objectif c’est la visibilité des films traitant des sujets queer, des marges, mais un prix de cinéma avant tout. J’ai répondu à Xavier, que je connais bien par ailleurs, via le Monde, que je respectais son point de vue mais qu’il n’avait pas compris les tenants et les aboutissants d’un tel prix, notamment le fait que la sexualité des réalisatrices, des réalisateurs ou des membres du jury n’entrait pas en ligne de compte, ni que l’homosexualité, ou la transidentité, pouvaient être difficiles à vivre pour certain-e-s, hors des quartiers branchés de Montréal.
Votre plus grande difficulté et votre plus grande fierté en tant qu’organisateur de la Queer Palm ?
La plus grande difficulté, c’est qu’en France aucun gros sponsor ou annonceur ne s’investit sur un événement LGBT+ ce qui est très handicapant. Nous préparons cette 10ème édition qui représente des mois de travail sans être sûrs de pouvoir boucler notre budget, c’est un travail de tous les jours de lutter contre les préjugés et les annonceurs qui vous répondent qu’en France, ces sujets sont « trop segmentants ».
Ma plus grande fierté, c’est les liens qui se tissent entre les membres des jurys chaque année, des vrais liens d’amitié qui peuvent aussi déboucher sur des projets en commun. Être membre du jury de la Queer Palm, c’est intégrer une petite famille.
Que pensez-vous des polémiques sur les affiches de L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, Les Années folles d’André Téchiné, ou le visa d’exploitation annulé de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche ?
Ces associations réacs n’ont vraiment rien d’autre à faire que d’en appeler à la censure parce qu’ils considèrent qu’il est dangereux pour un enfant de voir deux hommes s’embrasser, ou un homme travesti sur une affiche de film ? Qu’il est mauvais pour les ados mineurs de voir deux femmes faire l’amour dans un film interdit aux moins de 12 ans ? C’est le Moyen Âge. La représentation des meurtres, de la violence, de l’image de la femme ou des minorités dans le cinéma me semblent être des vrais sujets de réflexion et d’échange avec les enfants et les ados. La pédagogie ne passe jamais par la censure.
Voyez-vous une évolution du cinéma LGBT ?
L’évolution notable ces dernières années, c’est le fait que les sujets des films ne tournent plus autour de la question de l’homosexualité, de la transidentité, de la bisexualité, mais qu’elle soient des données prises en compte pour raconter des histoires, des personnages … C’est ce qui avait séduit dans Kaboom de Gregg Araki, le film qui a obtenu la première Queer Palm en 2010 et qui était précurseur de cette inclusion de personnages « hors-norme » à des genres qui les ignoraient souvent comme, ici, le « campus movie ». Le succès de 120 battements par minute de Robin Campillo, Queer Palm 2017, ou en ce moment de Girl de Lukas Dhont, Queer Palm 2018, prouvent que ces films peuvent s’adresser à un public large et pas seulement aux personnes concernées. L’un traite d’un pan ignoré de l’histoire des luttes en France, l’histoire d’Act Up-Paris, l’autre du parcours d’une ado qui rêve d’être danseuse : le fait qu’elle soit en transition est l’un des éléments du récit, pas le sujet du film.
Et le fait qu’un film soit étiqueté « film LGBT » ?
Cette « étiquette » peut être l’une des composantes de l’ADN d’un film, à croiser avec d’autres. Même si je préférerai toujours le mot Queer qui est plus ouvert. D’ailleurs la baseline de la Queer Palm est « Open-minded award since 2010 ».
En 2019, c’est Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma qui remporta la Queer Palm.
Concernant le film Girl, Queer Palm 2018 :
Lire la chronique de Carine Trenteun sur le film Girl.
Lire la rencontre de Carine Trenteun avec Lukas Dhont, le réalisateur de Girl.
Concernant le film 120 battements par minute, Queer Palm 2017 :
Lire la chronique de Carine Trenteun et Pierre Guiho sur le film 120 battements par minute.
Lire la rencontre de Carine Trenteun avec le producteur Hugues Charbonneau, l’acteur Arnaud Valois et l’ancien président d’Act Up-Paris Christophe Martet pour le film 120 battements par minutes.