Souffrant particulièrement pendant cette pandémie de la fermeture des lieux culturels, qui sont essentiels pour moi, je me réjouis de la réouverture annoncée des cinémas, en particulier d’Art et d’Essai.
Je suis un inconditionnel des cinémas d’Art et d’Essai, comme je le suis du spectacle vivant. Mais contrairement aux acteurs de ce dernier, qui risquent de sortir très affaiblis de la pandémie, les salles d’Art et d’Essai, temples de la cinéphilie, espèrent rebondir moins difficilement que les multiplexes après la crise sanitaire. Grâce à leur public fidèle, mais aussi aux séances évènementielles, festivals, rencontres avec les réalisateurs qui sont leur marque de fabrique.
Alors qu’après le premier confinement, les grands réseaux payaient l’absence de blockbusters susceptibles de faire revenir le grand public, et misaient tout sur le « streaming », celles-ci faisaient le plein, ou presque. Selon la directrice du Grand Action à Paris, la salle d’Art et d’Essai du Quartier Latin : « « Ce n’est pas la Mélodie du bonheur, mais pas le naufrage du Titanic non plus. Nous avons récolté les fruits de l’attachement des spectateurs. Ils nous font des déclarations d’amour ! »
Consciente du symbole, la Mairie de Paris a voté en octobre une aide exceptionnelle d’un demi-million d’euros pour soutenir ses 36 salles indépendantes, dont certaines accueillent les cinéphiles depuis des décennies,
D’une manière générale, entre les perfusions massives de l’Etat, les aides du Centre National du Cinéma et les gestes de collectivités, les exploitants de ces petites structures, souvent peu dotées en trésorerie, s’accordent à saluer l’effort financier fait pour leur permettre de passer le cap.
« On sait que le public sera là quand on rouvrira. Mais encore faut-il que cette crise ne dure pas trop longtemps »; On a gens qui passent, d’autres qui viennent acheter des cartes de prépaiement ou d’abonnements ».
Je n’oublie pas que les Cinémas d’Art et d’Essai se sont donné pour missions, entre autre autres de :
- promouvoir un cinéma indépendant qui relève de toutes les créations, en toute liberté ;
- défendre le pluralisme des lieux de diffusion, indispensable à la diversité des œuvres ;
- présenter et soutenir des œuvres de qualité, les aider à trouver des lieux de diffusion et à rencontrer le public ;
- favoriser leur circulation dans la durée et en profondeur sur l’ensemble du territoire ;
- entretenir un rapport privilégié avec les auteurs, leur permettre l’accès à un public plus large pour qu’ils trouvent les moyens de faire de nouveaux films ;
- encourager l’animation de lieux vivants, de proximité, qui favorisent l’échange, la réflexion et les valeurs culturelles ;
- développer une action de formation des publics et notamment envers les plus jeunes, qui constituent le public de demain ;
- contribuer à la diffusion des films du répertoire en salles…
Je n’oublie pas qu’aucun réalisateur n’a été découvert par Netflix. Et je suis sûr d’une chose : qui défend le cinéma émergent ? Ce sont les salles d’Art et d’Essai.
Pourtant, une fois n’est pas coutume, je vais vous recommander trois films… sur Netflix. En espérant qu’ils seront programmés dans votre salle d’Art et d’Essai préférée sur un véritable écran de cinéma.
La Mission (titre anglais News of the world), raconte l’épopée à travers l’Ouest sauvage d’un ancien officier pour ramener chez elle une petite fille perdue dans cette contrée sans foi ni loi où la violence règne en maître.
Cinq ans après la fin de la Guerre de Sécession, le capitaine Jefferson Kyle Kidd, sillonne le pays de ville en ville en qualité d’écrivain public et tient informés les petites gens des villes nouvelles jaillies comme des champignons, la plupart du temps illettrés, grâce à ses lectures, des péripéties de la colonisation du Nouveau-Monde, ainsi que des plus terribles catastrophes comme des idylles ou histoires d’Epinal. En traversant les plaines du Texas, il croise le chemin de Johanna, une enfant de 10 ans capturée 6 ans plus tôt par la tribu des Kiowa et élevée comme l’une des leurs. Il s’apercevra finalement, qu’elle n’a plus de chez soi, plus de famille, comme lui, et finira par l’adopter.
Rescapée et renvoyée contre son gré chez sa tante et son oncle par les autorités, cette gamine délurée est hostile à ce monde qu’elle va devoir rejoindre et ne connait pas. Le capitaine accepte de la ramener à ce domicile auquel la loi l’a assignée. Pendant des centaines de kilomètres, alors qu’ils traversent une nature hostile, ils vont devoir affronter ensemble les nombreux écueils, en particulier humains, qui jalonnent la route vers ce que chacun d’entre eux pourra enfin appeler son foyer.
Ils vont vivre une véritable odyssée, risquant plusieurs fois la mort.
Mais ce sont ceux que l’on appelait les sauvages, les Amérindiens, le peuple du Premier Homme qui vivaient en harmonie avec leur mère la Terre avant l’arrivée de l’Homme Blanc – pour qui le proverbe « l’homme est un loup pour l’homme »semble avoir été inventé -, et de ses exactions, les Kiowas, fuyant la réserve où ils étaient parqués comme des bêtes dans le froid et la faim, qui la sauveront ainsi que son protecteur lors d’une tempête de sable.
Tom Hanks est encore une fois excellent dans ce rôle d’un homme bourru qui révèle une profonde tendresse.
The Dig
Dans le Suffolk, en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, une jeune veuve embauche un archéologue autodidacte pour sonder de mystérieux monticules, qui révèlent alors un secret stupéfiant : le trésor de Sutton Hoo, que l’on peut admirer au British Museum, grâce au travail de Basil Brown et à la générosité de Lady Edith Pretty, respectivement interprétés par Ralf Fiennes et Carey Mulligan, toujours impeccables. Il s’agit de l’une des plus grandes découvertes archéologiques jamais réalisée en Angleterre, qui a mis au jour ce gigantesque site funéraire : 263 objets précieux enterrés dans un bateau anglo-saxon de 24 mètres de long enterré sous un tumulus, avec en particulier un heaume incroyable, un casque de parade, qui aurait pu appartenir à un grand guerrier, voire à un roi anglo-saxon, mort au début du VIIe siècle.
On sait que les humains enterraient des défunts dans des bateaux depuis des siècles, des millénaires, mais aucun corps n’a été trouvé dans la sépulture, ajoutant au mystère.
Cette histoire fabuleuse a été racontée dans un livre par John Preston dont la tante Peggy a trouvé le premier fragment d’or découvert à Sutton Hoo, et le film a été réalisé par Simon Stone.
Passionnant de bout en bout !
Mais Netflix diffuse aussi des documentaires qui ont fait et feront de nouveau les belles heures des cinémas d’Art et d’Essai, comme cet excellent Piazza Fontana : La tragédie en mémoire de Francesco Micciché, où apparaissent la lâcheté barbare des terroristes quels qu’ils soient (en l’occurrence d’extrême droite), mais aussi toute la perversion de la certains politiques (pas seulement italiens), et surtout un beau personne de femme.
Après avoir perdu son père lors de l’attentat de la Piazza Fontana, qui fit 16 morts et 88 blessés, cette Dame s’est lancé dans une quête bouleversante pour découvrir la vérité sur cette tragédie. Malgré la mauvaise volonté et les manipulations de certaines des plus hautes autorités qui voulurent d’abord « faire porter le chapeau » aux anarchistes (dont l’un mourra dans des circonstances douteuses durant son interrogatoire), et finirent par faire acquitter les vrais coupables dans un terrible déni de justice.
Ce documentaire renvoie à Pier Paolo Pasolini (1) qui le premier avait dénoncé à haute voix (il le paiera de sa vie en 1975) les instigateurs de ce massacre mais aussi de ceux de Brescia et de Bologne perpétrés au début de l’année 1974, et au film de Marco Tullio Giordana (2), Piazza Fontana, qui a repris son flambeau afin de rétablir la vérité sur ce triste évènement : « Aujourd’hui, plus de quarante ans après, ces preuves sont enfin accessibles à tous ceux qui veulent vraiment savoir. Le moment est arrivé d’en faire le récit, de les faire connaître », assénait à l’époque Giordana avec véhémence.
Aujourd’hui où tous les brigadistes coupables d’assassinat durant les années de plomb ont été extradés et condamnés, il reste à punir enfin ceux des crimes décrits ici, en particulier celui l’attentat à la bombe de Milan, le 12 décembre 1969.
Il est donc à signaler que Netflix ne diffuse pas que des films « légers », de divertissements. Et qu’une entreprise multinationale américaine peut, en temps de confinement, nous donner aussi le désir de retrouver le cinéma d’auteur anglo-saxon, français (Tavernier, Chabrol, Truffaut, etc.), ou autre. Et bien sûr celui de Pasolini : « entre poème et théorème, le mythe pour explorer le présent ».
Cet artiste polymorphe qui voulait composer, en « voix de poésie », un chant funèbre à l’antique pour son petit peuple atteint de plein fouet par les désastres du monde moderne, en voie de disparition comme les lucioles de son enfance frioulane auprès de sa Mamma Susanna:
… Et la classe des châles noirs de laine,
des tabliers noirs à peu de lires,
des fichus qui enveloppent
les visages blancs des sœurs,
la classe des hurlements antiques,
des attentes chrétiennes,
des silences fraternels dans la boue
et de la grisaille des jours de pleur,
la classe qui donne valeur suprême
à ses pauvres mille lires,
et qui, là-dessus, fonde une vie
à peine capable d’illuminer
la fatalité du mourir.
En tout cas, personnellement, le 19 mai, c’est avec bonheur que je me précipiterai, que ce soit à l’ABC, à l’American Cosmograph, à Utopia, au Cratère ou à la Cinémathèque de Toulouse, pour retrouver l’atmosphère unique des salles obscures et du grand écran.
En attendant celle des salles de concert et des théâtres, temples du spectacle vivant
Comme l’a si bien dit la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaker, « nous vivons dans un monde où les expériences à vivre ensemble deviennent de plus en plus difficiles. Ce qui rend le spectacle vivant encore plus précieux ».
Pour en savoir plus :
1) Pier Paolo Pasolini (1922-1975)
2) Le cinéaste Marco Tullio Giordana est très connu en Italie pour notamment Les Cent pas, film dénonçant le pouvoir de la mafia, Nos meilleures années, fresque remarquable de plus de 6 heures qui parcourt plus de 40 ans d’Histoire italienne, ou encore Une Fois que tu es né, qui porte sur l’immigration clandestine.