L’Orchestre national du Capitole de Toulouse poursuit sa saison à la Halle aux Grains avec la retransmission en ligne d’un concert dirigé par Maxim Emelyanychev qui invite le violoniste Aylen Pritchin, dans le cadre du festival les Franco-russes.
Malgré l’absence de public en raison des circonstances sanitaires, la saison de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se poursuit à la Halle aux Grains avec la retransmission en direct de certains concerts. Ainsi, la deuxième soirée des Franco-russes sera notamment visible sur les pages Facebook et les chaînes Youtube de l’ONCT et du festival. Le jeune Russe Maxim Emelyanychev (photo) sera de retour pour diriger ce soir-là un programme réunissant la Première symphonie et le Deuxième concerto pour violon de Prokofiev, l’ouverture « Roméo et Juliette » de Tchaïkovski et une partition de Benjamin Attahir jouée en création mondiale.
Né à Toulouse en 1989, Benjamin Attahir est un compositeur dont les œuvres ont été interprétées par des ensembles et des orchestres de renommée internationale: l’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique de Radio France, l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, l’Orchestre national de Lille, le Netherlands Philharmonic, l’Ensemble Intercontemporain, Les Éléments, le Trio Zadig, le Quatuor Arod et le Quatuor Van Kuijk, le Tokyo Sinfonietta, ou encore l’Orchestre national du Capitole de Toulouse à plusieurs reprises. La phalange toulousaine a mis au programme de ce concert une œuvre intitulée « 117:2C », commande de l’ONCT, dont ce sera la création mondiale.
Pour son troisième concert avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse cette saison, Maxim Emelyanychev dirigera la Première symphonie, « Classique », de Serge Prokofiev. Ses deux concertos pour piano de 1912 et 1913 ont donné du compositeur une image d’enfant terrible parmi ses contemporains. Durant la Première Guerre mondiale, il se lance dans l’écriture d’une Première symphonie bâtie sur le modèle du XVIIIe siècle.
Dans son autobiographie, il revient sur les circonstances de la composition de cette Symphonie « Classique »: «Je passais l’été 1917 dans la solitude la plus complète, aux environs de Petrograd ; je lisais Kant et je travaillais beaucoup. J’avais intentionnellement laissé mon piano en ville, voulant essayer de composer sans son aide ; je dus reconnaître que le matériau thématique composé sans piano est, la plupart du temps, de meilleure qualité. […] Je conçus le projet de composer toute une œuvre symphonique sans m’aider du piano. Dans une telle œuvre, les colorations de l’orchestre devaient être également plus nettes et plus claires. Ainsi naquit le plan d’une symphonie dans le style de Haydn parce que, à la suite de mon travail dans la classe de Tcherepnine, la technique de Haydn m’était devenue particulièrement limpide et que cette familiarité me donnait plus de sûreté pour me jeter sans piano dans ces eaux dangereuses. Enfin, le titre choisi devait être un défi pour mettre les oies en rage, et dans l’espoir secret que je ne ferai qu’y gagner si, avec le temps, la symphonie s’avérait réellement classique.»
La Symphonie classique, la première des sept symphonies laissées par Prokofiev, fut créée sous sa direction à Petrograd, en avril 1918. Le public, la critique et les musiciens furent séduits par le charme de l’œuvre. En 1927, Florent Schmitt en rendit compte en ces termes, dans La Revue de France: «La Symphonie « Classique » est un enchantement ; façon de Mozart inédit, elle en possède toute la grâce, la fluidité, la divine perfection, et son instrumentation jaillit en gerbes cristallines. Il était impossible de réussir un pastiche avec plus d’ingéniosité et de science. Car, chez M. Prokofiev, artiste complet, le savoir égale l’imagination».
La Première symphonie en ré majeur conserve l’effectif instrumental de Joseph Haydn ou de Wolfgang Amadeus Mozart: flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, trompettes, cors par deux, timbales et cordes. En quatre mouvements («Allegro», «Larghetto», «Gavotte», «Finale»), elle est concise, légère, virevoltante, d’une douce poésie dans son «Larghetto» et endiablée dans son «Finale». Tant dans le traitement des thèmes, de l’orchestration que du cadre formel, la partition de Prokofiev est classique. Respectant la forme sonate avec son développement et sa réexposition, les deux thèmes de l’ «Allegro» ne manquent ni de dynamisme ni d’esprit. Le «Larghetto», avec son allure et son rythme à trois temps, prend les faux airs d’un menuet. La célèbre «Gavotte», que le compositeur reprendra dans son ballet « Roméo et Juliette », est sans doute la page la plus connue de cette symphonie : très brève, elle suit un schéma ABA avec une partie centrale confiée aux bois sur des accords de quinte aux cordes. Le «Finale» est un nouveau mouvement de forme sonate d’une gaieté et d’un esprit vif: le premier thème aux cordes est marqué par une pulsation des timbales ; le deuxième aux bois et un troisième motif, à la flûte, puis aux violons, donne l’empreinte mélodique à l’ensemble.
Violoniste russe né 1987, Aylen Pritchin interprétera le Deuxième concerto de Serge Prokofiev. Le compositeur débute à Paris l’écriture de cette partition commandée par le violoniste français Robert Soëtens. Il l’achève en URSS, en 1935, au moment où il décide de regagner définitivement sa patrie. Contemporain de son ballet « Roméo et Juliette », le Deuxième concerto pour violon est composé dix-huit ans après le premier. Moins complexe mais doté d’une même vitalité que le Premier concerto, cette seconde page concertante se distingue par un lyrisme plus intense encore.
Noté «Allegro moderato», le premier des trois mouvements s’ouvre par un ample thème au violon solo qui est ensuite repris par toutes les cordes de l’orchestre. Le second thème est une magnifique cantilène qui, associé au premier, est ensuite développé avec d’autres instruments dans un rythme énergique. Noté «Andante assai», le deuxième mouvement débute avec un chant du violon solo sur fond de pizzicati des cordes, doublés à la clarinette. Puis, la section centrale déploie un «allegretto» au thème chantant et désinvolte joué par les bois avant le retour du premier thème. Le dernier mouvement est noté «Allegro ben mercato»: le rondo est agité et nerveux, et ses dissonances franches ; les rythmes prennent le pas sur les thèmes, ils sont brefs, hachés et efficaces avec des effets de surprises comme ces interventions ponctuelles de castagnettes. Dans un mélange de rudesse et d’agitation, la conclusion réserve un rôle important aux contrebasses auprès du violon solo.
On entendra enfin « Roméo et Juliette » , ouverture fantaisie de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Ce dernier avait fait la connaissance en 1868 de Mili Balakirev qui venait de signer une musique de scène pour « le Roi Lear », de William Shakespeare. Conseillant au jeune compositeur de s’inspirer d’un sujet shakespearien, ils choisissent ensemble « Roméo et Juliette » qui concentre trois thèmes chers à Tchaïkovski: l’amour, la mort, le destin. S’adressant à son mentor, Tchaïkovski écrit: «Une partie considérable de ce que vous m’avez conseillé a été réalisé selon vos instructions. Tout d’abord, le plan suit le vôtre: l’introduction évoquant le Pater (le Frère Laurent), la bataille, allegro, et l’amour qui est le second thème. Secundo, les modulations sont les vôtres: Introduction en mi majeur, Allegro en si mineur, et second thème en ré bémol majeur.» Même s’il s’éloigne quelque peu de ces indications, Tchaïkovski achève en deux sa partition qui recueille l’admiration du Groupe des Cinq (Mili Balakirev, Nikolaï Rimski-Korsakov, Alexandre Borodine, Modeste Moussorgski, César Cui). Elle passe pourtant inaperçue lors de sa création par Nicolas Rubinstein en 1870, et sera remaniée par le compositeur en 1872, puis en 1880.
« Roméo et Juliette » débute par une sorte de choral évoquant la figure de Frère Laurent, personnage central du drame. Un thème court et abrupt illustre ensuite la haine des Capulet et des Montaigu, avant l’apparition du thème de l’amour en deux motifs distincts, la passion et la tendresse. Les trois thèmes se retrouvent tout au long de l’œuvre et livrent avec une forte expression dramatique toute la quintessence du drame shakespearien. À propos du thème de l’amour, Nikolaï Rimski-Korsakov écrira en 1892, à la sortie d’un concert à Saint-Pétersbourg : «(…) quelle inspiration ! Quelle inexprimable beauté, quelle passion ardente ! C’est l’un des plus beaux thèmes de la musique russe.»
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« 117:2C » de B. Attahir, Concerto n° 2 par Aylen Pritchin (violon) et Symphonie n° 1 « Classique » de S. Prokofiev, Ouverture fantaisie « Roméo et Juliette » de P.I. Tchaïkovski, sous la direction de Maxim Emelyanychev, vendredi 19 mars, 20h00.
Concert retransmis sur les pages Facebook et les chaînes Youtube de l’ONCT et du festival Les franco-russes, en direct de la Halle aux Grains.