Alexandre Tharaud est devenu l’un des grands interprètes de notre temps. Le pianiste mène sa carrière avec intelligence et sensibilité. Sans éclat superfétatoire, il visite les diverses contrées musicales qui l’inspirent et nourrissent son parcours d’artiste. Il n’hésite pas à franchir allègrement les siècles, à abolir les frontières, ni à imaginer des parcours très personnels. Ce triple album constitue un reflet fidèle de l’éclectisme de son répertoire et de sa culture musicale.
Ce portrait, hors des normes habituelles, rassemble une impressionnante variété d’œuvres habilement réparties sur les trois CD de l’album qui explore trois facettes du talent et de la personnalité de l’artiste. Si quelques reprises d’enregistrements déjà publiés figurent ici, un certain nombres d’inédits (enregistrements récents ou anciens non encore parus) font le prix de ce recueil.
Le premier CD réunit une vingtaine de courtes pièces solo qui couvrent une incroyable diversité de styles, de périodes, de formes. Alexandre Tharaud, comme il l’a déjà prouvé, aborde la musique sans hiérarchie ni discrimination. Ainsi, ce premier volet s’ouvre sur Johann Sebastian Bach et Jean-Philippe Rameau et se referme avec « The Man I Love » de George Gershwin ! La même rigueur, la même recherche de l’expression juste caractérisent son jeu.
Sans surprise, Chopin irrigue ce panorama qui convoque aussi bien Rachmaninov que Gluck, Scarlatti que Sibelius, sans oublier le grand répertoire français des Ravel (Scarbo explosif extrait de Gaspard de la nuit), Satie, Fauré ou Chabrier. La surprise vient de la transcription, signée d’Alexandre Tharaud lui-même, de l’Adagietto de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Déclamé avec passion et un certain vent de révolte, cette pièce résonne comme une autre œuvre, totalement déconnectée de l’original. Les contrastes les plus affutés brossent de ce volet solo un portrait d’une grande richesse.
Le deuxième CD investit le monde du concerto. On peut regretter que les œuvres abordées ici ne comportent que des extraits, des mouvements épars. Mais le propos reste le même : établir un portrait aussi complet que possible du musicien. Si la séquence s’ouvre sur l’hyperromantisme de Rachmaninov et son emblématique Concerto n° 2 (1er mouvement), c’est le grand répertoire classique qui réunit l’essentiel des citations. Bach, Rameau, Haydn, Mozart bénéficient en outre de la collaboration bénéfique du bel ensemble québécois Les Violons du Roi, dirigé par Bernard Labadie. La complicité de l’orchestre avec le jeu raffiné, délicat et néanmoins dynamique du pianiste s’avère idéale. A noter le clin d’œil que constitue la citation inattendue et réjouissante, dans la cadence du final du Concerto n° 11 de Haydn, de la célèbre Marche Turque… de Mozart. La musique française ne saurait être absente de ce volet. Le Presto final du Concerto en sol de Ravel et l’Allegretto initial du Concerto en ut dièze mineur de Poulenc viennent confirmer l’affinité de l’interprète avec ce répertoire. Ce deuxième CD s’achève sur une séduisante pièce contemporaine du compositeur danois Hans Abrahamsen, adepte de la tendance « Nouvelle simplicité » : un court mouvement de son Concerto pour la main gauche, précisément dédié à Alexandre Tharaud.
Le dernier volet de ce triptyque, baptisé « Raretés et surprises », retrouve le pianiste en liberté et ne contient pratiquement que des enregistrements inédits. A commencer par cette Marche turque mozartienne agrémentée de variations et d’ornementations personnelles pleines de fantaisie. Voisinant avec quelques pièces originales de grands compositeurs « classiques » comme Grieg (Pièces lyriques), Poulenc (Valse) ou Khachaturian (Andantino), l’arrangement d’Alexandre Tharaud lui-même du Prélude à l’après-midi d’un faune, de Debussy, fait office de révélation poétique. Cette transcription a d’ailleurs inspiré une chorégraphie qu’Alexandre Tharaud accompagne lui-même de son piano.
En outre, le pianiste investit un répertoire en marge des grandes partitions traditionnelles. La tendresse des deux pièces extraites d’Histoires sans paroles de Jean Wiéner, ou celle de Cinema Paradiso d’Ennio et Andrea Morricone font écho aux musiques « bretonnes » de Paul Le Flem et de Paul Ladmirault, ainsi qu’au charme de Federico Mompou et du compositeur de musique de films Carlos d’Alessio. Barbara et Charles Trenet figurent également au palmarès de ce parcours.
Un bonus précieux, intitulé « Young Alexandre », redonne vie à deux pièces de Ravel enregistrées dans les années 90. La profonde musicalité du pianiste était déjà bien affirmée
Très beau portrait donc que l’on déguste avec gourmandise !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Dans la catégorie « Soliste instrumental », Alexandre Tharaud, remporte la Victoire de la Musique Classique 2021