Piotr Ilyitch Tchaïkovski est le compositeur de cet opéra qui sera donné au Théâtre du Capitole dans une nouvelle production à partir du mardi 26 janvier, normalement. ATTENTION aux horaires. Le jeune chef hongrois Gábor Káli dirigera Eugène Onéguine avec les forces vives de l’Orchestre et du Chœur du Théâtre du Capitole de Toulouse et toute la distribution.
Eugène Onéguine, c’est l’œuvre d’un homme de trente-sept ans, l’homme de tous les contrastes, de tous les paradoxes, de tous les extrêmes, chez qui, il y a tout et le contraire de tout. Et les réactions que provoque sa musique ne font que reproduire la nature de l’homme qui l’a écrite. L’ouvrage est désigné par le sous-titre Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux. Par cette dénomination, le compositeur tient à souligner ainsi que le drame n’obéit pas à la progression et au dénouement d’une intrigue, tout en mettant l’accent sur son caractère discontinu et fragmentaire : des scènes de la vie plutôt, des tableaux inachevés, des bribes de notre discours amoureux.
Le livret est à la fois du compositeur et de Constantin Chilovski, d’après le poème d’Alexandre Pouchkine. De ce dernier, un certain critique littéraire Belinski l’avait ainsi défini : « Ce poème est d’une tristesse incommensurable. Ce ne sont qu’efforts irréalisés et espoirs inaboutis. » Le travail sur la partition s’est déroulé entre mai 1877 et janvier 1878, une période assez mouvementée, interrompu par le mariage, disons, catastrophique du compositeur avec Antonina Milioukova, une ancienne élève du Conservatoire qui l’avait alors demandé en mariage, à qui il cède et à qui il avoue ne pas l’aimer ! Suivra, après de nombreuses crises de délire, ses quatre frères plus ses amis imposant même la séparation, la tentative (ou le simulacre ?) de suicide. L’œuvre fut écrite, malgré ces crises, dans la solitude de la campagne russe et au cours d’un voyage en Suisse et en Italie. Il y a fort à parier que Tchaïkovski a vu en Pouchkine le beau miroir de ses hantises et de ses songes.
Mais, on fait sûrement fausse route si l’on pense distinguer le compositeur sous les traits du dénommé Onéguine, même si certains points du personnage du poème le rapprochent de sa vie propre. Il se révèlerait plutôt et tout à la fois, Onéguine, son ami Lenski qu’il tue en duel et Tatiana qu’il éconduit d’abord, et qu’il veut enlever plus tard lorsqu’il la retrouve mariée. Il est eux trois, qui ont tous en commun d’aimer qui ne les aime pas, de vouloir aimer qui ne peut les aimer et de tuer ceux qui les aiment. De cela, il sera facile d’en juger dans l’expression la plus pure qui soit, à savoir, à la fin du duo de Lenski et d’Onéguine, quelques courts instants avant le duel fatal :
N’allons-nous pas nous réconcilier
Tant que le sang n’a pas coulé…
Nous étreindre affectueusement ?
Non, non, non, non !
La seule idée que le sentiment pourrait être partagé rend son expression et son épanchement, effrayants et insupportables : ce sera une quadruple dénégation de la tendresse réciproque, quadruple refus de l’amour possible, et quadruple prononciation de la sentence.
Il fut reproché au compositeur d’avoir trahi Pouchkine et écrit un opéra « non scénique ». Certains pourront comparer les deux. Il est vrai que les libertés prises avec le poème sont grandes mais les passages essentiels sont bien présents, intégralement repris, la structure épique du poème étant maintenu. Tchaïkovski a préservé sinon la lettre du moins l’esprit du grand récit poétique. Eugène Onéguine est une œuvre sans « effets de théâtre », une chronique intime orientée vers la vie intérieure des personnages, œuvre témoin, s’il en est du romantisme russe. Il suffit de s’intéresser aux chœurs directement intégrés à l’action, comme ces faucheurs ou ces filles du village occupées à la cueillette des baies. Nous sommes dans la Russie “romantique“, celle des années 1820, celle de Pouchkine, et paradis perdu par contre, pour les générations suivantes, au goût du compositeur. Des arguments qui vont pousser Tchaïkovski à éviter la création dans l’un des deux opéras impériaux officiels.
L’ouvrage est donné à Moscou le 29 mars 1879 par les élèves du Collège Impérial de Musique de Moscou. Peu lui importe en effet le volume des voix et la virtuosité des chanteurs : il lui faut de jeunes artistes ayant l’âge des rôles, jouant avec justesse et simplicité, pas encore fanés par la routine, ni physiquement ! Ne leur demandant aucune prouesse technique, par contre, il leur en exige une de plus difficile : le frémissement, l’émotion, un investissement presque suicidaire, d’avoir, finalement et pour paraphraser Alfred de Musset, la vie sur les lèvres. Pour suivre, ce sera l’Opéra Impérial de Moscou (Théâtre Bolchoï) le 23 janvier 1881. Paris attendra trente ans et ce n’est qu’en 1955 qu’aura lieu la première représentation en version intégrale et en français à l’Opéra Comique, puis à l’Opéra de Paris, Palais Garnier, en version originale, en septembre 1982. Version qui sera arrivée avant Paris jusqu’à Toulouse en novembre 1980, cinq après celle en français !! Précisons que les surtitres n’existaient pas encore !!
Le Théâtre du Capitole a déjà relevé le défi scénique et le relève encore avec un jeune metteur en scène plein de promesses, Florent Siaud et toute une équipe aux décors, costumes, lumières, vidéo et chorégraphie avec Romain Fabre, Jean-Daniel Vuillermoz, Nicolas Descôteaux, Gaspard Philippe et Natalys von Parys.
« Il est fort possible que vous ayez raison en disant que mon opéra n’est pas scénique. Mais je vous répondrai que je m’en fiche complètement ! depuis longtemps, tout le monde s’accorde à dire que je suis dépourvu de la veine scénique, si bien que j’en ai pris mon parti. Si ce n’est pas scénique, eh bien qu’on ne le représente pas et qu’on ne le joue pas. J’ai écrit cet opéra parce qu’un beau jour j’ai éprouvé ce besoin irrésistible de mettre en musique tout ce qui s’y prêtait dans Onéguine. Je l’ai fait comme j’ai pu. J’ai travaillé avec un entrain, avec un bonheur indicible, me souciant peu de savoir s’il y avait du mouvement, des effets, etc…Et puis, les effets, c’est quoi ? Si vous les trouvez, par exemple, dans Aïda, je vous jure pour tout l’or du monde que je n’aurais pu écrire un opéra sur un sujet pareil, car j’ai besoin d’êtres humains, et non de mannequins. Je me mettrai volontiers à l’écriture d’un opéra dans lequel même à défaut d’effets saisissants et inattendus, des êtres semblables à moi-même éprouvent des sentiments que j’ai moi-même éprouvés et que je comprends…… »
(Tchaïkovski à Serge Taneïev, son élève, le 8 janvier 1878)
P.S. Verdi venait de composer l’opéra Aïda quelques années auparavant, en réponse à une commande d’un khédive égyptien.
L’œuvre lyrique en question, la cinquième de son compositeur, avec des protagonistes qui, grâce à la musique, sont indéniablement russes, c’est finalement une histoire d’amour ordinaire dans un milieu bourgeois, entre Onéguine et Tatiana, la traduction d’un drame profond que l’on pourrait résumer en quelques mots : Tatiana aime Eugène, et le lui déclare en toute innocence dans la fameuse lettre – cette absolue mise à nue de l’âme – la scène centrale de l’opéra, à laquelle il répond de vive voix en la sermonnant, en employant des mots qui ne laissent rien espérer à la jeune fille. Il en profitera même pour courtiser effrontément, devant tous, Olga, la sœur, dont son meilleur ami Lenski, est fort amoureux et fiancé. Ce dernier apprécie tellement peu son comportement qu’il va finir par le défier en un duel qui lui sera fatal. Eugène perd son ami et Olga, son fiancé. Bien plus tard, mariée à un homme plus âgé, très amoureux d’elle, le prince Grémine, Tatiana va retrouver Eugène qui se rend compte, un peu tard, qu’il est amoureux d’elle, du moins de la nouvelle image. Trop tard. Malgré ses relances, Tatiana résiste, étouffe ses vieilles convictions, tout en lui déclarant qu’elle l’aime toujours, mais qu’elle reste fidèle à son époux, pendant qu’Eugène, dépité, ne peut que ruminer sa défaite. « Le noble démon d’un ennui secret » pourra continuer à le tarauder.
La distribution est la suivante :
Valentina Fedeneva (soprano) Tatiana
Stéphane Degout (baryton) Eugène Onéguine
Bror Magnus Tødenes (ténor) Vladimir Lenski
Eva Zaïcik (mezzo-soprano) Olga, sœur de Tatiana
Juliette Mars (soprano) Madame Larina, mère des deux sœurs
Sophie Pondjiclis (mezzo-soprano) Filippievna, nourrice des deux enfants
Nicolas Cavallier (basse) Prince Grémine, époux de Tatiana
Carl Ghazarossian (ténor) Monsieur Triquet
Yuri Kissin (baryton) Zaretski / Le Capitaine
Le personnage de Tatiana : c’est une âme noble et belle qui, au début de l’opéra, se berce de rêves – ceux d’une jeune fille qui n’a pas encore compris le sens de l’existence. À la fin de l’ouvrage, il ne lui restera plus de ses illusions de jeunesse que le couple qu’elle forme avec un vieil homme néanmoins au grand cœur. En déclarant son amour à Onéguine, jeune homme à moitié fat et mondain, dont le charme certain peine à masquer le manque de scrupules, Tatiana agit en pure héroïne romantique, et recherche donc l’amour dans la mort. Éros irrésistiblement lié à Thanatos. Le sens de la réalité s’impose avec l’échec de son amour et le triomphe brutal de la réalité. Lenski semble être comme le reflet masculin de Tatiana. Ce jeune poète emprunte le même chemin que Tatiana mais, lui, ira jusqu’au bout de ses idéaux. Son destin émeut davantage parce qu’il est celui de la jeunesse et de la beauté sacrifiées. En tuant physiquement son ami Lenski, Eugène Onéguine tue symboliquement Tatiana et, avec elle, l’innocence.
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Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Valentina Fedeneva © Rabovsky • Bror Magnus Todenes © Bertil Tødenes