DEUX PAR DEUX est une série de billets qui réunissent chacun deux films à l’affiche ayant une caractéristique commune suffisamment rare, atypique ou insolite pour être remarquée. Commençons avec Nuestras Madres, premier long-métrage de fiction du réalisateur guatémaltèque César Díaz, et le dix-neuvième long-métrage de François Ozon, Été 85.
Nuestras Madres se déroule au Guatemala en 2018, durant le procès des militaires impliqués dans la guerre civile. Ernesto (Armando Espitia) est anthropologue à la Fondation médico-légale ; il travaille à l’identification des disparus. Il écoute le récit d’une vieille femme qui affirme savoir où se situe la fosse contenant le corps de son mari, Mateo, et lui remet une photo de ce dernier. Le scientifique croit reconnaître, parmi les hommes présents sur le cliché, son propre père, un guérillero lui aussi disparu pendant la guerre. Si Cristina (Emma Dib), la mère d’Ernesto, ne veut plus penser au passé et refuse de témoigner au procès, son fils décide de se rendre dans le village afin de trouver la fosse décrite par la veuve de Mateo et mettre au jour les restes des victimes, en espérant identifier son père.
Quand César Díaz parle de la genèse du film, il déclare « Je faisais des repérages pour un film documentaire dans un village qui s’appelle Uspantan, qui fut victime d’un énorme massacre durant la dictature militaire. J’étais venu recueillir les paroles d’une famille qui avait survécu à ce drame. Dans la tradition orale indienne guatémaltèque, on doit dire les choses pour qu’elles existent. Quand un nouveau venu arrive dans un tel village, on lui raconte ce qui s’est passé sur les lieux mêmes, pour que ça ne s’oublie jamais. Il est projeté dans l’intimité d’une histoire qui peut être très violente. Les témoignages de ces villageois m’ont bouleversé et j’ai eu envie d’en faire un film et de parler de l’Histoire du Guatemala avec un grand H. », et poursuit « Je suis bouleversé par la force des survivants du génocide guatémaltèque. Quand on écoute ce qu’ont vécu les femmes que j’ai filmées, on se dit qu’il y aurait de quoi perdre le goût de vivre. Mais elles continuent à aller de l’avant. C’est une immense leçon. » (1).
Les témoignages de ces femmes sont repris dans Nuestras Madres quand Ernesto les raconte à ses proches : les militaires ont tué les hommes des villages sous les yeux des leurs et, torture ultime, ont obligé les veuves à danser sur le cadavre de leur époux à peine enterré. La contrainte et l’humiliation où il ne devrait y avoir place que pour le recueillement.
Cette idée de danser sur une tombe constitue également le fil conducteur d’Été 85.
Alors qu’il a emprunté l’embarcation d’un ami, Alexis (Félix Lefebvre), 16 ans, se fait surprendre par un orage. Il est secouru par David (Benjamin Voisin), 18 ans, qui l’accueille à bord de son bateau. Entre les deux garçons de classe sociale différente, l’amitié est instantanée. Orphelin de père, David profite de chaque instant. Il a arrêté les études et tient la boutique paternelle avec sa mère (Valeria Bruni-Tedeschi) ; son impulsivité galvanise Alexis. Dans son excentricité, David fait promettre à son ami que le premier des deux qui mourra devra aller danser sur la tombe de l’autre. Un pacte important, comme un premier amour.
Eté 85 est adapté du roman d’Aidan Chambers, Dance on My Grave (« Danser sur ma tombe ») ; inspiré par la lecture d’une brève dans le Guardian, son écriture a commencé en 1979 pour s’achever en 1982 (2).
François Ozon se souvient avoir lu ce livre à 17 ans : « C’est la veille de la majorité, donc oui je sentais que j’allais avoir plus de liberté, et en même temps c’était la découverte de la sexualité, de la musique, avec les Cure, les Smiths… C’est à peu près à ce moment que j’ai découvert le livre d’Aidan Chambers qui est sorti en France sous le titre La Danse du coucou. J’ai tout de suite eu un coup de foudre pour ce livre qui parlait de l’adolescence sans tabou tout en s’adressant à cette classe d’âge. À l’époque je faisais des films en Super 8 et je me disais que j’aimerais bien l’adapter pour un premier long-métrage. J’avais développé un scénario avec un ami, que j’avais appelé J’irais danser sur ta tombe, en référence à Boris Vian. Je ne l’ai pas retrouvé, mais je crois que j’avais pas mal transformé l’histoire d’origine. » (3).
L’autre point commun entre ces deux long-métrages est la résilience. « La seule chose qui compte, c’est d’échapper, d’une manière ou d’une autre, à son histoire » est la dernière phrase que dit Alexis en voix off à la toute fin d’Été 85 (qui est aussi la dernière phrase du roman d’Aidan Chambers), et s’applique aussi à Ernesto de Nuestras Madres.
Derrière chose, le procès des militaires de Nuestras Madres est aussi le point de départ d’un autre film guatémaltèque, La Llorona (janvier 2020), réalisé par Jayro Bustamante qui confronte l’Histoire et la légende de la Llorona. Les deux précédents films de Bustamante exploraient déjà les facettes sombres de son pays : Ixcanul (2015, sur les enlèvements de nouveau-nés) et Tremblements (2019, sur les thérapies de conversion), deux films dont le montage a été assuré par César Díaz, réalisateur de Nuestras Madres.
Nuestras Madre a reçu la Caméra d’Or (meilleur premier film) au Festival de Cannes 2019. À cause du confinement, la sortie du 8 avril en salles est devenue une disponibilité en VOD depuis le 16 juin, MAIS il est aussi projeté dans certaines salles.
Eté 85 est le premier film ayant le label Cannes 2020 à être sorti en salles, le 14 juillet 2020.
(1) Dossier de presse de Nuestras Madres.
(2) Dossier de presse de Été 85.
(3) [INTERVIEW] François Ozon : « Été 85 va prendre un sens différent après ce qu’on a tous vécu » par Quentin Grousset, Trois Couleurs, 18 juin 2020.