C’est toujours un plaisir de se retrouver dans la belle Salle du Sénéchal aux chaudes couleurs et à l’ambiance chaleureuse ; surtout quand l’on ne sait pas que l’on va assister au dernier concert de la Pause Musicale (1) jusqu’à une date indéterminée, pour cause de coronavirus.
Aujourd’hui Joël Saurin accueille la chanteuse Noga (2), une auteure-compositrice-interprète, qui a plusieurs cordes à son arc (performances d’art contemporain, enseignement dans son école école d’art et de théâtre etc.).
Après une introduction au violoncelle d’Olivier Koundouno, Eli permet d’apprécier la belle voix de Noga et son professionnalisme sur scène, ainsi que le talent de ses accompagnateurs, Patrick Bébey (3) (piano, voix, sanza, flute pygmée, calebasse), et Olivier Koundouno (violoncelle, claviers, calebasse, voix), que l’on sait être d’excellents musiciens.
N’écoute que ceux qui ne disent rien est un texte plein de sagesse de Patrice Guirao :
N’écoute que ceux
Qui ne disent rien
Qui ne te demandent rien
Qui ne t’imposent rien
Qui ne te vendent rien
N’écoute que ceux-là.
Femme vivante, un texte de Bettina Vernet, de même que le titre suivant Sans écran, (comme Les Femmes sont courbes, du regretté Alain Leprest, reprise sur leur dernier disque Next), montrent toute l’attention que Noga porte à sa gent.
Suit un très beau chant yiddish a cappella sur les Psaumes de Minuit, extraits du Psaume 108, Le Psaume de David, versets 2 et 3 (Mon cœur est affermi, ô Dieu! Je chanterai, je ferai retentir mes instruments: c’est ma gloire! Réveillez-vous, mon luth et ma harpe! Je réveillerai l’aurore), et du Psaume 119 (Ce qu’est la Parole de Dieu pour le fidèle), verset 111.
Stabat Mater Dolorosa, par Patrick Bébey, au piano et chant solo en anglais et en douala, rejoint par le violoncelliste et la chanteuse, est un morceau de bravoure du grand Francis Bébey (4), son père (dont je vous ai parlé dans une chronique précédente, avec en prime un beau solo de sanza (5), le piano à pouces, un des instruments « primitifs » les plus ingénieux de la culture africaine, que son père a popularisé sur toutes les cènes du monde. Voici le lien You Tube vers la version de Patrick et Noga:
Sur Calling you (bande originale du film Bagdad Café en 1987), où Patrick Bébey utilise la flûte pygmée, un autre des instruments préférés de son père, Noga donne une version très personnelle du titre, toute de légèreté.
Dépêche toi, un autre texte de Bettina Vernet, a des accents hédonistes qui ont une résonnance particulière rétrospectivement : Dépêche toi de rêver, d’aimer, de sourire etc. avant qu’il ne soit trop tard. Il est suivi d’Innocents, encore un texte de Bettina Vernet enregistré sur Laissez partir par Noga et Patrick Bébey en 2015, et de Léger la vie, un autre texte de Patrice Guirao, encore une fois étonnamment d’actualité…
Sur Des envies d’encens, texte de Marie Nimier, qui montre encore une fois le goût de Noga pour les textes bien ciselés, un parfum d’encens passe vraiment dans la salle du Sénéchal. Voici le lien You Tube :
En final Mi ha ish, un autre psaume en yiddish: Noga fait reprendre la belle mélodie par le public sous le charme.
Décidément, ce concert avait, involontairement, des accents « prophétiques » : en rappel allègre, Un jour de plus, si je ne me trompe, avec un solo de violoncelle – aux accents africains qui fait penser à la kora -, d’Olivier Koundouno « qui ne fait jamais dans les mêmes tonalités »,
avec accompagnement de calebasse tout en finesse par Patrick Bébey, et une dernière fois ce jour-là la belle voix de Noga.
Le concert suivant au Café Plum à Lautrec dans le Tarn, lieu fort sympathique, heureusement tenu par une équipe jeune et dynamique, sentait déjà le confinement puisque seulement une douzaine de personnes s’était déplacée ; mais ne l’ont pas regretté.
Le reste de la tournée est malheureusement annulé, comme tant d’autres, comme les saisons des théâtres et des salles chères à mon cœur comme Nougaro, Odyssud et le Capitole.
Mais comme disait les Résistants de la première heure, « si le meilleur n’est pas toujours assuré, le pire n’est jamais inéluctable ».
Et nous attendrons avec impatience la reprise du spectacle vivant, indispensable dans une société démocratique.
Retranchés dans nos tours d’ivoire, si nous en avons une, avec des magasins d’alimentation encore ouverts, nous pouvons certes relire les trésors de nos bibliothèques, si nous en avons une (regardez dans les Boites à lire si elles n’ont pas été vidées et les Librairies comme Ombres Blanches livrent encore), écouter de la musique sur internet – même si cela ne remplace pas un bon vinyle -, ou regarder des films ou des séries en streaming.
Mais rien de remplacera la chaleur vitale d’un concert ou d’une représentation théâtrale, ni même la magie d’un bon film sur un grand écran.
N’oublions jamais que, comme le disait si bien Ferré, qui savait de quoi il parlait :
Sur la scène y’a la vie et l’espoir qui se traînent…
Sur la scène y’a mon cœur qui bat ses camarades…
Sur la scène y’a des mains qui battent des sourires…
Dans la salle y’a le public… c’est notre théâtre à nous.
Et des milliers d’autres choses.
Voici le lien YouTube vers la chanson dans son entier :
En attendant la reprise de ces moments uniques de partages et de chaleur humaines, je vais vous raconter une belle histoire : Patrick Bébey a joué 2 fois, dans le groupe du percussionniste Minino Garay, un argentin parisien d’adoption qui a joué avec une foule de stars, remplaçant au pied levé le pianiste. Le contrebassiste italien, Fabrizio Fenogliotto, connaissait Noga, une chanteuse israélo-suisse, qui cherchait un guitariste : il lui a conseillé de rencontrer plutôt un pianiste, en l’occurrence Patrick Bébey, français d’origine camerounaise . Ce fut le début de la belle aventure de Noga. Comme quoi l’internationale des musiciens fonctionne bien.
PS1. Signalons que Patrick Bebey est un pianiste très prisé des stars africaines comme Myriam Makeba et Mory Kanté. Son dernier disque « Oa na mba », hommage, de son vivant, à son père le grand Francis Bébey dont je vous ai déjà longuement parlé, un voyage entre la tradition africaine et le jazz, est toujours disponible. (Un de ses disques, African Symphony, avec cordes classiques et percussions, n’est sorti qu’en Allemagne. Dommage). Nous espérons que son nouveau disque répété depuis 1 an avec le bassiste Marc Bertaux, son complice depuis 25 ans, le batteur brésilien Luis Augusto Cavani, et la violoniste danoise Line Kruse, qui devait être enregistré maintenant, le sera en des jours meilleurs, sans trop attendre.
Et que la Pause Musicale, annulée comme tous les spectacles vivants, reprendra bientôt, lorsque notre ennemi invisible aura rendu les armes. En attendant merci à Joël et Alex qui l’animent depuis plus de dix ans, avec éclectisme et convivialité.
PS2. Merci à Jean-François Le Glaunec pour les photos de ce concert en date 12 mars 2020.
PS3. Merci mille fois aux Soignants exemplaires qui se battent en première ligne dans des conditions très difficiles, au péril de leur vie, dans un système public de santé hérité de la Résistance, que certains peuvent nous envier, en Italie par exemple, mais qui a été mis à mal par la loi du marché à l’américaine (réduction des lits et des personnels, tarification à l’activité, sous-équipement chronique, en particulier de masques, des hôpitaux etc.) depuis de trop nombreuses années et par des gouvernements successifs ; pour favoriser le privé…
Je n’oublie pas qu’en ce moment les Soignants du privés se battent aussi.
Pour en savoir plus :
1) http://lecatalogue.jimdo.com/
2) Née en Suisse de parents venus d’Israël, Noga fait partie des chanteurs auteurs-compositeurs romands qui tournent régulièrement hors de leur pays. Elevée dans plusieurs langues, elle pratique le genre Chanson en faisant jouer des sonorités contrastées. Son dernier album Next1 sort en Suisse début 2018 et paraît en France sur le label Musique Sauvage/Pias (octobre 2018). Booking : Horizon/Caramba. Noga collabore aussi avec d’autres artistes et se produit dans différents contextes, notamment, dans son volet « improvisation vocale/art contemporain », lors de performances pour la galerie Gowen Contemporary Geneva, qui la représente. Noga a créé l’association Catalyse, qui depuis plus de 15 ans s’emploie à promouvoir la « créativité heureuse » à travers trois leviers d’action : l’éducation / le soutien à la scène vivante / la médiation culturelle. Elle dirige notamment l’école de chant/théâtre/improvisation (plus de 250 élèves), qui enseigne selon une pédagogie qu’elle a développée avec son équipe, la pédagogie Sonoga.
3) Ce disque est un hommage intime de Patrick à son père, Francis Bébey. Il le lui destinait de son vivant, mais sa disparition le 28 mai 2001, le prend de court. Le cœur n’y est plus : le projet doit reposer trois ans… Cet album est ainsi une sorte d’onguent qui dissipe la peine. Patrick Bebey y développe une dimension originale, où s’épanouit son expérience de musicien accompli. La transmission a fait son œuvre. Et la musique, déjà nourrie de la force de la mémoire y a gagné en profondeur.
« Le concept de cet album, c’est Bébey ! explique Patrick. Certains morceaux sont de mon père. Dans ses dernières années, il lui arrivait de m’appeler : “Il faudrait que tu passes à la maison, parce que j’ai composé quelque chose pour toi !”… De 1998 à 2001, nous avons fait beaucoup de concerts en duo, lui et moi. Et il m’a dit plusieurs fois : “Je te donne tout ce que je fais, parce qu’il est important que quelqu’un continue après mon départ.” Alors j’ai profité de tous les instants que je passais avec lui ».
S’il reprend le flambeau de son père, qu’il a accompagné depuis ses dix-sept ans, Patrick Bebey est toujours un pianiste très prisé des stars africaines internationales. Début 2006, il a formé le nouveau groupe international de Papa Wemba, après avoir participé à l’aventure Molokaï de 1995 à 2002. Miriam Makeba l’a entraîné sur les scènes du monde de 1997 à 2001. Bien d’autres musiciens et groupes de talent ont eu recours à son savoir faire. Mais cet album marque un tournant de son histoire intime. Longuement mûri, il trace une nouvelle direction dans la généalogie musicale des Bebey : une musique dans laquelle réflexion et sensations riment avec émotion.
Sanza aux sonorités magiques, flûte pygmée comme un appel au cœur de la forêt, les instruments “Bebey” sont là, dans la beauté naturelle de leur expression libre. Comme les percussions qui parlent du village, fourmillantes d’images en langue douala. Quant à la dimension “Patrick”, c’est dans l’arrangement, la maîtrise orchestrale qu’elle s’impose. Contrairement à son père, qui faisait tout lui‐même, le fils est entouré de compagnons musicaux, qui sont aussi ses amis intimes. « J’ai connu le bassiste et contrebassiste Marc Bertaux, à l’époque où il jouait avec Tania Maria, il y a 25 ans, dit Patrick. Avec Luis Augusto Cavani, batteur brésilien, nous jouons ensemble depuis 23 ans. L’un des deux percussionnistes de l’album est Moussa Cissoko, que j’ai rencontré il y a 20 ans avec Mory Kante. »
4) Lien vers ma chronique Francis Bébey sur Culture 31 :
5) Sanza – Terme courant pour désigner une famille d’instruments idiophones à pincement répandu dans pratiquement toute l’Afrique. Le principe est la mise en vibration de lamelles métalliques ou de bambou, fixées sur une planchette de bois avec ou sans résonateur. Les lamelles sont fixées de manière à ce qu’on puisse les faire vibrer avec le bout des doigts (les pouces). Baguées, on peut faire coulisser les lamelles pour les accorder. On ajoute parfois des bruiteurs à cet instrument, comme des coquillages, des capsules de bouteilles, des anneaux de fer blanc…