Emmanuelle Franck et Caroline Glorion
« Ah vous êtes la fameuse avocate de Cédric Jubillar!» me demande-t-on quand je donne mon nom à Toulouse. Mais c’est juste une homonymie qui me lie à Maître Emmanuelle Franck, une des pénalistes les plus célèbres de France. Une de celles qui défend les indéfendables, violeurs, meurtrier, auteurs de féminicides, tous monstres aux yeux du monde. Et c’est parce qu’on lui posait souvent la question « Comment-pouvez-vous les défendre ? » qu’elle a co-écrit avec la journaliste Caroline Glorion, un livre en forme de réponse publié aux éditions de l’Observatoire. Avec l’espoir de changer notre regard sur le crime, les criminels et ceux qui les défendent.
« Je ne suis fascinée ni par le crime, ni par le sordide mais par la nature humaine et son basculement dans l’interdit », écrit maître Franck. C’est ce point de rupture qui fait qu’un individu ordinaire bascule dans le crime que l’avocate tente de débusquer à chaque nouveau dossier. Parce que la plupart des meurtriers ne sont pas les monstres qu’on imagine mais des hommes ou des femmes dont la structure psychique est soudain percutée par un évènement, une parole qui les pousse au passage à l’acte.
Avec une sincérité rare, maître Franck nous invite à aller de l’autre côté du miroir, là où seuls les avocats vont.
Elle nous fait découvrir l’essence même de son métier à travers plusieurs histoires saisissantes dont celle d’un violeur en série de 21 ans. On est dans l’intimité de son cabinet au moment de la lecture du dossier d’instruction, puis pendant les visites au parloir avec un accusé souvent imprévisible parce qu’humain et dont elle s’emplie à cerner la psychologie. On a accès à la construction de la défense mais aussi aux tâtonnements, aux doutes et aux déceptions. Avec, tout au long de ce processus, la volonté de « comprendre, comprendre encore pour mieux défendre »
« Le rôle et le talent d’un avocat est dans sa capacité à tendre un fil entre l’accusé et les jurés et à tirer ce fil, au fur à mesure, pour les rapprocher. Pour qu’ils jugent et condamnent mais comme l’un des leurs » écrit-elle. Et c’est ce fil que l’avocate va tenter de tisser avec l’accusé jusqu’au procès pour lui faire prendre conscience de l’origine du mal. Parce que pour les juges et les jurés, un homme qui n’a pas compris le point de départ de son crime reste dangereux.
Le livre est une réflexion passionnante sur le métier d’avocat, le rapport à l’accusé mais aussi aux victimes et aux juges. Emmanuelle Franck y parle avec une conviction lumineuse du sens de la peine, des dangers du tribunal médiatique et des procès qui se jouent sur les réseaux sociaux. Elle souligne aussi l’influence de la société sur la justice
« Aujourd’hui plus que jamais, nous assistons à l’essor d’une vision moralisatrice de la société qui se répercute sur celle qui en est le baromètre : la justice » écrit l’avocate. D’où la nécessité de se battre « pour maintenir l’équilibre permanent entre les intérêts de la société, de l’accusé et de la victime ». En ayant bien sûr au cœur le souci et la compassion pour les victimes.
Livre remarquable d’humanité, passionnant par les questionnements qu’il soulève
« Comment pouvez-vous les défendre ? » réussit parfaitement sa mission. Nous faire comprendre que derrière le crime, il y a un être humain et que, en chacun d’entre nous, même les pires, il y a une part qui mérite d’être défendu.