All we imagine as light, un film de Payal Kapadia
« Tout ce que nous imaginons comme lumière’, ainsi peut se traduite le titre du premier long de fiction de la réalisatrice indienne Payal Kapadia. C’est déjà une sacrée invitation et, pour le moins, une promesse vertigineuse. Tout cela n’est rien par rapport au film. Celle qui, pour l’heure, n’avait présenté qu’un documentaire, consacré à Cannes en 2021 par un Œil d’or du meilleur documentaire, fait son entrée en majesté dans le monde de la fiction. Une fiction avez-vous dit ? Sur le papier certes, mais en réalité, Payal Kapadia nous brosse ici le tableau totalement baroque, pour nous Occidentaux, d’une société certes moderne mais archaïque concernant les sujets de castes et de religions.
Elle illustre son propos au travers de trois personnages, deux infirmières, Prabha et Anu, la première quadra et la seconde sa cadette d’une dizaine d’années. Il y a aussi Parvaty, cuisinière dans l’hôpital qui les emploie. Celle-ci est en butte contre des promoteurs immobiliers qui veulent lui faire quitter son domicile pour s’emparer du foncier et construire toujours plus grand, toujours plus haut. Personne pour la défendre, l’affaire sera vite entendue… Prabha fait partie de ces femmes mariées sans leur consentement. Son époux, sitôt la cérémonie passée, est parti travailler en Allemagne. Depuis, plus de nouvelles. Anu, la plus jeune du trio, est célibataire mais corsetée par sa famille car le garçon qu’elle aime, Shiaz, est… musulman. Nous allons suivre leur périple tout d’abord à Bombay, mégalopole de près de 22 millions d’âmes (le 1/3 de la France dans une seule ville !). La première partie du film est quasiment documentaire. La réalisatrice nous montre sa ville natale dans toutes ses dimensions, sa surpopulation grouillante à donner le vertige, ses quartiers miséreux, ses intérieurs minuscules où s’entassent des familles entières. C’est là que nous rencontrons Prabha et Anu, vivant en collocation. Si cette dernière file en cachette le parfait amour clandestin avec son beau musulman, il en est autrement de Prabha qui, malgré l’absence prolongée de son mari, refuse les avances d’un homme follement épris d’elle, médecin dans son hôpital. Finalement, Parvaty abandonne et décide de revenir dans son village natal, au bord de la mer. Ses deux amies l’accompagnent…
Les lumières (le film a été tourné pendant l’époque des moussons), les couleurs (le bleu de Bombay, le rouge des terres qui accueillent les trois femmes en seconde partie), les cadrages, se réunissent pour créer des moments d’éternité qui vous mettent en véritable apesanteur (la scène de la grotte est à pleurer de beauté). Kani Kusruti (Prabha) et Divya Prabha (Anu) sont les deux reflets d’une féminité indienne actuelle prise entre respect des traditions castratrices et une volonté puissante de vivre un véritable amour. Mention spéciale pour le jeune Hridhu Haroon, Shiaz confondant d’émotion, aux antipodes des clichés virilistes et machistes liés à ses origines.
Ce film a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2024.
A voir sans tarder.