L’encens traîne encore dans la nef, après le dernier office du jour. Il recouvre l’odeur de pierre nue et humide tellement caractéristique des édifices millénaires au cœur de l’hiver. Le chœur de Saint-Sernin est vide devant mes yeux et c’est dans cette ambiance que survient, sur mon oreille droite, le chant des 40 enfants. A capella, ils lancent Hodie Christus natus est. Car oui, il s’agit d’un concert qui nous prépare à Noël. Et les voilà qui se déplacent, en rangs serrés ils rentrent en procession et s’installent devant nous. Le regard de ces enfants ! Ils boivent la cheffe de chœur Cécile Capomaccio de leurs yeux grands ouverts, chantent par cœur leurs hymnes gracieux, en latin, en occitan en anglais, avec la même concentration absolue, les mains nouées dans le dos. Quelle grâce…
Le chœur d’hommes vient apporter quelques graves à ces jolies voix pour deux nouvelles pièces. L’équilibre bouge, subtil, mais revient en quelques mesures. Mon cœur chavire quand trois petits bouts de 1m20 en moyenne s’avancent au bord du chœur pour un « solo » commun, si beau et si fragile. Quand ils chantent en français, c’est avec une belle diction où chaque mot est servi dans une articulation parfaite.
Les hommes restent ensuite seuls en scène. Leurs voix sont à la fois caractérisées et fondues, singulières et bien réparties. A douze, ils sont capables des pianissimi les plus ténus comme des tenues les plus convaincantes, fortissimo. Le Veni, veni Emmanuel, harmonisé par Lawson est une vraie splendeur et leur chef, Mathieu Duboc, tire de l’ensemble des nuances magnifiques.
Jean Persil, tout à la fois directeur artistique de la Schola et chef du Grand chœur, est aussi l’un des organistes titulaires du grand orgue. C’est donc de là-haut, à la tribune, qu’il lance le célèbre 10ème Noël de Louis-Claude Daquin. Le Cavaillé-Coll, tellement exceptionnel pour le répertoire romantique, ne démérite pas dans le baroque français. Certains des registres sont très caractéristiques et Jean Persil les emploie à propos, articulant de manière sûre les passages les plus virtuoses.
Après cet interlude, le chœur grégorien s’installe, loin de nous, sous les piliers titanesques qui marquent la croisée du transept. Les voix des hommes et des femmes qui composent l’ensemble se fondent en une vague éternelle, se mêlent dans ce perpetuum mobile qui caractérise la conduite du chant grégorien. La gestuelle de Clarisse Chantelot, leur cheffe, ne ressemble en rien à celle de ses collègues : elle trace dans l’air des pleins et des déliés, des esperluettes et des virgules. Le geste ample et gracieux remplace la mesure, ce qui n’enlève rien à la rigueur d’une interprétation si parfaite que bien des couvents pourraient la lui envier.
C’est le Grand chœur qui prend la suite, revenu sur le devant, avec une petite surprise. Au dos de notre programme, est copiée la partition de la mélodie d’un choral, issu de l’Oratorio de Noël de Bach. Les quatre voix le chantent une première fois, puis Jean Persil se tourne vers le public et se met à décomposer le choral pour nous. En quelques minutes, nous nommes transportés à Leipzig ; fidèles protestants nous entonnons le choral, soutenus par le chœur. Magnifique ! Suit un O magnum mysterium, harmonisé par Lauridsen, une pure merveille. Il est exigeant pour les soprani, qui nous enchantent par leur justesse. Elles soutiennent l’ensemble du chœur par le haut, jusqu’à la dernière note.
Quelle chance d’entendre en une seule soirée des groupes de chanteurs aussi différents, avec un niveau aussi constant. Pour le bouquet final, ils sont tous réunis et entonnent un Adeste Fideles entraînant. Mais la vraie surprise vient d’un tout simple Douce nuit, lancé en guise de rappel. Il est pris avec une telle douceur, avec des nuances si fines, des silences tellement inattendus, que me prend l’envie d’être tout de suite le 24 décembre pour contempler l’enfant couché dans la mangeoire.
Il ne faut pas rater les prochaines occasions d’entendre la Schola Cantorum. Sur leur site internet vous trouverez tous les renseignements dont vous avez besoin, notez tout de même les 8 et 9 mars prochain : deux occasions d’entendre le splendide Requiem de Maurice Duruflé.