Deux œuvres bien différentes étaient inscrites au programme du concert du 23 avril dernier : le Concerto pour piano et orchestre n° 21 de Mozart et la Symphonie n° 7 de Bruckner. Deux artistes invités étaient ainsi chargés d’établir un grand dialogue entre ces deux manières complémentaires de faire de la musique.
Le chef d’orchestre allemand Frank Beermann est devenu l’un des grands habitués de la fosse du Théâtre du Capitole. On n’oublie pas le sens musical et dramatique de sa direction lors des productions de Parsifal, d’Elektra et de La Flûte enchantée. Le voici enfin en contact exclusif avec l’Orchestre national du Capitole qu’il transcende de son talent. Le soliste de la soirée, le très attachant pianiste tarbais David Fray n’est certes plus à découvrir à Toulouse. Ses prestations en récital, notamment dans le cadre du festival Piano aux Jacobins, mais également en concert avec ce même orchestre, brossent le portrait d’un authentique musicien.
C’est par l’association lumineuse des deux talents (on plutôt des trois talents, celui des musiciens reste primordial) que débute cette soirée du 23 avril. Le Concerto pour piano et orchestre n° 21 en ut majeur, de Mozart, anime un dialogue d’une rare émulation entre le soliste et le tutti.
David Fray place la fluidité lumineuse de son toucher au service d’un jeu naturel, d’une fraîcheur, d’une sorte de vérité sans apprêts. L’effectif orchestral paraît a priori d’une abondance étonnante. Et néanmoins, la direction de Franck Beermann lui confère une finesse, une transparence qui permettent un équilibre parfait entre le piano et l’accompagnement. Notons que les timbales en peau et la flûte en bois sont judicieusement choisies pour cette exécution. Les échanges de l’Allegro maestoso évoquent une discussion pleine de tendresse et d’esprit. De l’Andante qui suit, rappelons qu’Olivier Messiaen dit qu’il est « une des plus belles [mélodies] de la musique de Mozart et de toute la Musique… » A la suite d’une introduction orchestrale d’une incroyable et subtile beauté, la mélancolie retenue du jeu de David Fray se mêle à une certaine inquiétude, comme toujours chez Mozart, empreinte d’un sourire mystérieux. Le final, Allegro vivace assai, en forme de Rondo alterne couplets et refrains d’un charme mélodique absolu entretenu par les jeux croisés du piano et des différents pupitres. La vivacité de la coda bénéficie de l’énergie couplée du soliste et de l’orchestre.
Enfin, notons que l’imagination du pianiste se manifeste également dans le choix des cadences. Pour le premier mouvements, celle du grand Wilhelm Kempff s’impose alors que pour le final David Fray combine les contributions de Kempff, de Paul Badura-Skoda et de Dinu Lipatti. La fusion au sein de l’œuvre originale se réalise sans couture !
L’accueil chaleureux du public ramène David Fray sur le devant de la scène pour un bis particulier. Le pianiste dédie l’Aria introductive des Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach à ses deux confrères récemment disparus, le Roumain Radu Lupu et le Franco-américain Nicholas Angelich. Musique d’éternité largement applaudie par une assistance visiblement reconnaissante.
Avec la Symphonie n° 7 en mi majeur d’Anton Bruckner, l’orchestre prend un sérieux embonpoint ! Souvent intitulée « Symphonie des trémolos » (les premières mesures justifient déjà cette appellation) est probablement la plus admirée des symphonies du compositeur. L’ampleur solennelle du langage, la rutilance de l’orchestration, en imposent immédiatement. La direction très attentive et maîtrisée de Fanck Beermann en sculpte le son d’une manière impressionnante, tout en ménageant avec stratégie d’impressionnants crescendos. La délicatesse et l’éclat alternent dans le soin particulier d’une structuration dans le temps au fil des mouvements. Le thème principal du premier mouvement, comme « chanté » par les violoncelles s’élève à la suite de ce doux trémolo des cordes, dit « Urnebel » (Brouillard des origines).
Cette idée mélodique géniale aussi bien exploitée donne le frisson…
L’Adagio : sehr feierlich und sehr langsam (très solennel et très lent), dont la fin a été modifiée par Bruckner à l’annonce de la mort de son idole Richard Wagner, résonne vraiment comme une ode funèbre. Interviennent ici les fameux Wagnertuben (tubas wagnériens) somptueusement joués par quatre cornistes de l’orchestre. Ces instruments hybrides, sortes de cors redessinés sous forme de tubas par Wagner pour sa Tétralogie, apportent une couleur particulière à cette touchante prière faite d’émotion, d’humilité, d’espoir. L’apogée du mouvement culmine ici sur le fameux coup de cymbale dont on ne sait s’il fut réellement souhaité par le compositeur.
Le Scherzo s’ouvre sur le chant de ce coq qui éveillait Bruckner tous les matins à l’abbaye de Saint-Florian, proclamé ici avec esprit et légèreté par la trompette.
Comme un répit accordé à l’élan mystique de toute l’œuvre, ce mouvement apporte une bouffée d’air frais, détend un peu l’atmosphère. Dans le Finale : bewegt, doch nicht schnell (animé mais pas rapide), le thème initial de toute la symphonie réapparaît enfin, comme l’évocation d’un souvenir. Les développements successifs sont périodiquement ponctués par l’impressionnant choral des « tuben » auxquels les musiciens confèrent une noblesse sonore particulière. Sous la direction acérée de Franck Beermann le chemin tourmenté qui mène au crescendo de la coda se construit pas à pas dans une somptuosité sonore de chaque instant. Cette montée vers la lumière atteint un paroxysme irrésistible que l’orchestre assume avec éclat.
Un grand moment symphonique qui traduit la belle entente entre le chef invité et les musiciens toulousains. Ceux-ci marquent d’ailleurs clairement leur satisfaction en applaudissant Franck Beermann que l’on espère revoir bientôt à Toulouse.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
David Fray est le fondateur et directeur artistique du Festival « L’Offrande Musicale », dont la première édition s’est tenue en été 2021, dans les Hautes-Pyrénées. L’édition 2022 s’annonce somptueuse. À consulter dès maintenant.
Orchestre national du Capitole