Depuis une dizaine d’années, Patrice Jean brosse le tableau de la comédie sociale contemporaine ; il a commencé son entreprise aux éditions Rue Fromentin, il la continue chez Gallimard. Après La Poursuite de l’idéal [1] (qui paraît simultanément dans la collection Folio), il publie Le parti d’Edgar Winger [2]. Le roman précédent retraçait l’itinéraire d’un jeune homme évoluant entre son ambition poétique et les nécessités matérielles ; le nouveau livre suit, cette fois-ci, un idéaliste pris dans les filets de ses convictions politiques.
Romain Bisset a trente ans. Il milite dans un groupuscule d’extrême gauche qui le charge de retrouver un penseur marxiste, Edgar Winger. Depuis une vingtaine d’années, celui-ci, dont l’aura a été grande, a disparu : il ne publie plus, on ne sait même pas où il vit – jusqu’à ce que l’on signale sa présence à Nice. Romain Bisset se rend donc dans le sud-est de la France : sa mission est de convaincre Winger de reprendre le combat, pour fédérer les différents mouvements de la gauche alternative.
UN OBJET QUI SE DÉROBE
Mais l’objet de sa quête se dérobe ; en attendant, Romain est amené à côtoyer des individus très opposés à lui, idéologiquement, à commencer par son voisin, André Dalmasso, sa fille et leurs amis. Romain, issu d’un milieu bourgeois qu’il a renié, est entré en politique comme on entre en religion ; c’est un pur et un croyant : non seulement il se fait une très haute idée de la nécessaire lutte révolutionnaire, mais il pense qu’elle triomphera. Il maîtrise, jusqu’à la caricature, les codes et les tics de langage de ses préjugés politiques, condamnant la bourgeoisie, le christianisme et le patriarcat, déresponsabilisant les délinquants, poussés au crime, pense-t-il, par la racialisation des rapports sociaux.
PLUS PUR QUE SOI
Mais il y a toujours plus pur que soi. Pendant que, à Nice, Edgar Winger ne se laisse pas facilement surprendre, des militantes, à Paris, portent de graves accusations contre Romain. C’est ici que le roman dépasse la question politique pour analyser celle du désir : un homme est-il coupable de porter un regard concupiscent sur des femmes ? Pour les féministes du groupuscule, oui : chaque homme est coupable, parce qu’il réifie la moitié de l’humanité. Romain aussi le pense : il le vérifie en convoitant les femmes croisées dans les rues de Nice, ou Clara, une jeune caissière de supermarché, ou la fille de Dalmasso. Il se dit d’ailleurs « effrayé par [s]on désir ».
ENTRE LE RIRE ET L’EFFROI
Pendant qu’on menace de l’exclure du parti, et qu’il ne sait pas lui-même comment sortir de ses contradictions, de sa frustration, de sa culpabilité, Romain obtient de Toussaint, serveur au Café de Lecce, où le militant se rend tous les jours, puisque la présence de Winger y a été signalée, la possibilité de rencontrer un certain Enzo, qui semble connaître le penseur. Mais le chemin pour retrouver celui-ci est encore loin.
Ce que Romain découvrira, en somme la vraie raison du silence de Winger, arrivera-t-il à bousculer ses certitudes ? C’est tout l’enjeu de ce roman, qui se lit d’une traite, entre le rire et l’effroi devant le dogmatisme et le sectarisme idéologiques.
[1] La poursuite de l’idéal – Folio – Folio – GALLIMARD – Site Gallimard.
[2] Le parti d’Edgar Winger – Blanche – GALLIMARD – Site Gallimard.
Le parti d’Edgar Winger • Gallimard