Deux artistes proches par l’esprit et le tempérament étaient les invités de Grands Interprètes ce 5 décembre dernier. Le contre-ténor Philippe Jaroussky et le guitariste Thibaut Garcia formaient ce soir-là un authentique duo de musiciens réunis autour d’un projet riche d’imagination, d’amitié et de conviction. Le public de la Halle aux Grains a ainsi vécu un beau moment de convivialité et de charme musical.
Les deux complices de cet événement mènent indépendamment une carrière brillante. Les nombreuses récompenses obtenues par Philippe Jaroussky lors des Victoires de la Musique attestent de sa popularité et du rôle important qu’il joue dans la divulgation non seulement du répertoire associé à son type de voix, mais aussi de toutes les possibilités qui lui sont liées. On ne présente plus Thibaut Garcia dans sa ville de naissance où il a fondé une belle saison liée à son instrument, Toulouse Guitare. En récital ou avec orchestre, Thibaut Garcia porte haut le flambeau de son large répertoire.
Comme l’expliquent les deux partenaires, l’idée de former un duo a germé tout naturellement. A la suite de l’enregistrement du programme qu’ils ont imaginé, les voici qui parcourent le monde pour le diffuser. Leur escale toulousaine a recueilli le grand succès public que l’on pouvait prévoir.
Plus de vingt étapes balisent ce beau voyage musical aux escales diverses et variées, commentées avec esprit par les musiciens eux-mêmes.
La première mélodie de ce périple donne son titre à ce « tour de chant » hors norme. A sa guitare, mise en musique d’un poème de Ronsard par Francis Poulenc, donne le ton à la fois raffiné et populaire de cette soirée. Au timbre lumineux du contre-ténor se mêlent harmonieusement les sonorités soyeuses de la guitare.
L’étape suivante visite le répertoire favori de la voix de contre-ténor, celui des grands compositeurs du XVIIème siècle. De Giuseppe Giordani à Henry Purcell, en passant par Francesca Caccini et John Dowland, l’art vocal de Philippe Jaroussky se déploie avec finesse et habileté. La plus profonde tristesse s’exprime à travers Dowland et surtout le fameux air de Didon, extrait de l’opéra Didon et Enée de Purcell, When I am laid in earth, interprété avec une touchante sensibilité.
Le reste du récital visite des contrées aux paysages riches et variés. Le répertoire italien est caractérisé avec virtuosité et esprit, que ce soit Giovanni Paisiello ou le « champage » Gioacchino Rossini, comme le qualifie le chanteur, avec l’air emblématique Di tanti palpiti, de l’opéra Tancredi. Le contre-ténor n’hésite pas à aborder le lied et la mélodie. Mozart et son nostalgique Abendempfindung, cohabite avec la poésie de Fauré ou la tragédie de Schubert. Le dramatique Erlkönig de ce dernier émeut au plus profond. La transcription pour la guitare de l’accompagnement original de piano exige et obtient de Thibaut Garcia une habileté virtuose et musicale stupéfiante.
Les incursions « exotiques » dans les mondes espagnol et brésilien témoignent de l’art de caméléon de Philippe Jaroussky qui rend à la grande Barbara un hommage apprécié, avec le nostalgique Septembre. La soirée s’achève avec l’émouvante mélodie d’Ariel Ramirez, Alfonsina y el mar, et le chant traditionnel français Il est quelqu’un sur terre, arrangé par le britannique Benjamin Britten.
Thibaut Garcia, dont la participation musicale dépasse en intensité musicale le simple accompagnement, offre également quelques pièces pour guitare seule, du tango de la Cumparsita de Gerardo Rodriguez, à la Sarabande de Francis Poulenc en passant par le Xodó Da Baiana du brésilien Dilermando Reis.
Deux bis ont été bruyamment demandés et volontiers accordés par les artistes : l’immortelle chanson de Joseph Kosma Les Feuilles Mortes et un extrait de la musique du film Bagdad Café ont enfin conclu cette belle fin d’après-midi dominicale. C’est presque à regret que le public a laissé repartir les deux complices vers de nouvelles aventures, puisqu’ils débutent prochainement une vaste tournée internationale avec ce même programme.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse