A peine nommé Directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris (sa prise de fonction date du 1er août dernier), Gustavo Dudamel emmène sa nouvelle institution musicale en tournée et, à la grande satisfaction des mélomanes toulousains, accepte l’invitation de l’association Grands Interprètes. Ainsi, au cours du concert du 19 novembre dernier, le public découvrait cette très prometteuse association entre l’une des plus prestigieuses phalanges symphonique et lyrique du moment et l’un des chefs les plus charismatiques.
Indiquons tout de même que cette découverte s’est vue retardée de plus d’une demi-heure du fait d’un événement malheureux, la découverte d’un cas positif à la Covid-19 identifié ce jour même au sein de l’Orchestre. Grâce au concours de musiciens de l’Orchestre national du Capitole, le concert a pu être maintenu et cet obstacle inattendu a été brillamment surmonté. En particulier, au cours de l’exécution de la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz, on remarqua l’arrivée sur le plateau de la Halle aux Grains de la cor anglais solo de l’Orchestre national du Capitole, Gabrielle Zaneboni, bien connue et appréciée des habitués. Comme elle participait ce soir-là à la première de l’opéra Wozzeck, au Théâtre du Capitole, il a bien fallu retarder quelque peu le déroulement du concert afin de lui permettre d’arriver à la Halle. Grâce soit rendue à cette excellente musicienne qui a, en quelque sorte, sauvé cet événement, par ailleurs mémorable ! D’autant plus mémorable que la tournée de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris a dû s’interrompre et reporter à une date ultérieure le concert prévu le dimanche 21 novembre 2021 au Gran teatre del Liceu à Barcelone.
Le lien qui s’est établi entre Gustavo Dudamel, né du programme d’éducation vénézuélien El Sistema, et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris est né du coup de foudre de 2017 dans la fosse de l’Opéra-Bastille : Gustavo Dudamel y faisait ses débuts dans La Bohème de Puccini… La suite ressemble vraiment à une histoire d’amour musical. Une relation chaleureuse entre le chef et ses musiciens émane de cette collaboration. Il est en effet touchant de constater à quel point Gustavo Dudamel tient à mettre en avant SON orchestre, quitte à rester en retrait au moment des saluts.
Dirigeant masqué et sans partition, le chef façonne la rutilance de l’orchestre avec précision et enthousiasme. Le programme de cette soirée témoigne de sa part d’un amour certain de la musique française. Avec la version orchestrale d’Alborada del gracioso (Aubade du bouffon en français), quatrième pièce des Miroirs pour piano de Maurice Ravel, l’éclat, la qualité des couleurs instrumentales, la tenue d’un rythme souverain riment avec la poésie de la pièce. L’explosion des tutti comme le choix des tempi convainquent immédiatement et dans la durée, en dépit de la brièveté de la pièce.
Un contraste évident de style se manifeste avec la Symphonie n°31, en ré majeur, surnommée « Paris » (la France encore !) de Mozart. L’effectif confortable choisi pour cette exécution correspond au choix du jeune compositeur qui avait à sa disposition un grand orchestre pendant son séjour à Paris. Néanmoins, la direction de Gustavo Dudamel allège considérablement le déroulement de ses inhabituels trois mouvements. Le jeu transparent et précis des musiciens, la juste accentuation des phrasés restent très éloignés d’un excès de romantisme que l’on aurait pu craindre du fait de la taille de l’orchestre. Finesse et grâce mozartienne sont au rendez-vous.
La seconde partie de la soirée investit cette fois le cœur même du romantisme, avec cette Symphonie fantastique opus 14 à laquelle Berlioz lui-même a donné le titre original : « Épisode de la vie d’un artiste, symphonie fantastique en cinq parties ». La subjectivité la plus évidente imprègne toute l’œuvre dite « à programme ». La direction acérée, analytique de Gustavo Dudamel confère à sa conception une originalité impressionnante. Le soin des détails de l’instrumentation va de pair avec le grand souffle qui anime toute la partition. Les contrastes avivés du premier volet « Rêverie – Passions » sont suivis de l’élégance de « Un bal », mais pas seulement. La menace pointe toujours en contrepoint de la danse pas vraiment insouciante. Poétique en diable, la « Scène aux champs » constitue un havre de repos que vient troubler habilement le roulement du tonnerre. Le grand solo bucolique de cor anglais, en écho avec le hautbois en coulisse, doit beaucoup cette fois encore aux qualités sonores, à la musicalité, au sens des nuances de Gabrielle Zaneboni, soliste « infiltrée » au sein de la phalange lyrique. Un grand bravo à elle !
Dans les deux derniers volets, la « Marche au supplice » et le « Songe d’un nuit de sabbat », le chef déchaîne toutes les forces, les couleurs les plus contrastées de sa phalange, tout en maintenant le rythme implacable de cette fuite en avant. Le fameux motif de la bien-aimée, mélodie décrite comme « idée fixe », prend ici une dimension effrayante et obsessionnelle à laquelle la cloche et les tubas du Dies Irae confèrent une intensité dramatique irrésistible.
Bien sûr, l’accueil du public explose littéralement. Notons qu’une grande partie des spectateurs ne s’est pas privée, tout au long de la soirée, d’applaudir entre les divers mouvements. Une pratique spontanée hors des conventions actuelles qui privilégient la continuité. Si cela témoigne de la venue au concert d’un nouveau public, réjouissons-nous !
Au cours des multiples rappels, le chef, toujours aussi en retrait, remercie et félicite chaleureusement chaque musicien, chaque pupitre, lesquels ne manquent pas d’applaudir leur nouveau directeur musical.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse