Pour l’association Les Arts Renaissants, le concert du 15 juin représentait le renouveau des soirées musicales en présence d’un public trop longtemps éloigné du contact direct avec les artistes. Ce soir-là, le temple du Salin accueillait, après de multiples reports, l’Ensemble Masques, en présence d’une audience nombreuse, dans la limite de la jauge imposée, mais particulièrement heureuse de cette reprise.
L’Ensemble Masques tire son nom des « masques » de l’Angleterre élisabéthaine, spectacles dans lesquels cohabitaient poésie, musique, danse et théâtre. Il réunit, autour du claveciniste Olivier Fortin, un groupe de musiciens spécialisés dans le répertoire baroque. Constitué essentiellement d’instruments à cordes, ce groupe très actif rassemble deux violonistes, Sophie Gens et Simon Pierre, une altiste, Fanny Paccoud, une violoncelliste, Keiko Gomi et un contrebassiste, Benoît Vanden Bemden. Le flûtiste Serge Saitta se joint épisodiquement à ce groupe.
Le choix de visiter un pan assez peu diffusé de l’œuvre de Bach témoigne d’une originalité fertile de la part des interprètes. Le nombre limité de cantates profanes composées par Johann Sebastian Bach, comparé à celui de ses cantates sacrées, ne résulte pas d’un désintérêt de sa part. Ces partitions sonnent comme de petits opéras de circonstances, à la pointe des nouveautés. On raconte que de temps en temps le sérieux Kantor de Leipzig disait à un de ses fils : « Allons écouter les chansonnettes de Dresde ! »
Deux de ses plus célèbres cantates profanes composent le programme de ce concert : la Cantate des Paysans BWV 212 et la Cantate du Café BWV 211. Chacune de ces deux pièces importantes est précédée d’une suite (ou ouverture), l’une de Johann Sebastian, l’autre de son fils aîné particulièrement doué, Wilhelm Friedemann.
L’Ouverture en ré majeur BWV 1068 de Johann Sebastian débute le concert dans la version originale pour instruments à cordes. La version pour cordes, trois trompettes, deux timbales et deux hautbois, la plus courammenr jouée, fut vraisemblablement « enrichie » par Wilhelm Freidemann. L’ensemble joue donc ici « sans tambour ni trompettes », mais avec une belle conviction et un sens affûté du rythme. En particulier, le deuxième célèbre mouvement « Air sur la corde de sol » est pris dans un tempo allant très bien soutenu.
La Suite en sol mineur de Wilhelm Friedemann, sonne bien différemment des œuvres de son père. Son atmosphère si personnelle, presque préromantique, se distingue tellement du style de Johann Sebastian que l’on peut s’étonner qu’elle fût un temps attribuée à ce dernier !
Dans la Cantate des Paysans, la bière coule à flots. Elle évoque une conversation, à l’auberge, entre un agriculteur (basse) et la femme du fermier, (soprano) dont le dialogue contient d’étonnantes propositions érotiques à peine ambiguës ! Ce dialogue évoque un marivaudage léger dans lequel la soprano Maïlys de Villoutreys joue parfaitement les coquettes d’une voix fraîche et la basse Marcel Raschke s’exprime vraiment dans l’air du rire : « Dein Wachstum sei feste und lache vor Luft ». La flûte traversière (ou traverso) de Serge Saitta intervient ici poétiquement à deux reprises. Le cor solo, prévu dans la version originale, semble ici remplacé par l’alto, proche par le timbre et la tessiture.
La Cantate du Café BWV 211 n’est autre qu’un commentaire satirique sur l’addiction au café qui, semble-t-il, était un problème social important à Leipzig et dans toute l’Europe du XVIIIe siècle. Le père, chanté par la basse, cherche le meilleur moyen d’amener sa soprano de fille à rompre avec sa mauvaise habitude de boire quotidiennement du café. C’est avec l’offre de lui laisser prendre époux qu’il y parvient. Un homme contre le café ! Pas très moral tout çà… Là aussi, Maïlys de Villoutreys joue avec malice ce rôle léger, alors que Marcel Raschke incarne bien les réticences et les craintes du père. En outre c’est à la voix de ténor, ici le très sonore Paul Crémazy, de jouer le rôle du narrateur, en imposant le silence au début de la cantate, et en participant au choral final. Soulignons la belle intervention de la flûte traversière dans l’air « d’addiction au café » de la soprano.
L’engagement manifesté par tous les interprètes, musiciens et chanteurs placés sous la direction d’Olivier Fortin, confère à ce retour vers le public une réconfortante vitalité.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse