Le concert donné le 5 juin dernier par l’Orchestre national du Capitole rendait un bel hommage au compositeur de Samson et Dalila et du Carnaval des Animaux, pour citer deux œuvres aux caractères opposés. Sous la direction ardente de Tugan Sokhiev et avec la participation du jeune et déjà grand violoncelliste Victor Julien-Laferrière et du célèbre organiste Michel Bouvard, les trois facettes du génie du compositeur inscrites au programme rendent pleine justice à Camille Saint-Saëns.
Car l’image de compositeur « académique » qui colle parfois à Saint-Saëns s’avère injustement réductrice. Le profond savoir-faire du musicien n’élude rien de la force ni de l’originalité de son inspiration. Devant un public, certes un peu clairsemé du fait des contraintes sanitaires, mais toujours aussi heureux de retrouver la musique vivante, ces trois œuvres aux caractéristiques diverses brossent ce soir-là le portrait d’un authentique inventeur de musique.
L’ouverture de l’opérette La Princesse jaune, ouvrage enregistré récemment à Toulouse en partenariat avec Le Palazzetto Bru-Zane – Centre de musique romantique française, constitue un parfait lever de rideau. On retrouve dans cette partition brillante, le goût de Saint-Saëns pour l’exotisme. En cette année 1871, le Japon est devenu la coqueluche des milieux artistiques occidentaux. La Princesse jaune en est l’exemple musical parfait. Dans cette ouverture chatoyante, les harmonies orientales, les modulations colorées cohabitent avec une richesse mélodique caractéristique de l’écriture du compositeur. L’orchestre brille ici de tous ses feux. Chaque solo émerge du tutti avec la richesse de son propre timbre. Tugan Sokhiev soutient avec ardeur le déroulement de ce résumé d’une intrigue de conte de fée.
Victor Julien-Laferrière se lance ensuite dans l’exécution soliste de l’une des partition les plus élaborées de Saint-Saëns, son Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre dans la tonalité lumineuse de la majeur. Lors de sa précédente apparition toulousaine, en novembre 2019, le jeune violoncelle avait impressionné par sa maturité dans le Concerto d’Henri Dutilleux. Son irruption passionnée dans l’Allegro non troppo de ce Concerto de Saint-Saëns stupéfie par l’ampleur de sa sonorité, la rondeur chaleureuse de son timbre, son engagement irrésistible ! Tel un caméléon musical, il colore habilement le timbre de son magnifique instrument vénitien signé Montagnana qui semble n’être qu’un prolongement de son propre corps. Tout en sachant s’intégrer au tutti orchestral lorsque l’écriture le demande, son jeu évoque le chant d’une voix, respire avec une ampleur que traduit un legato impressionnant. Dynamique et finesse caractérisent son interprétation dans laquelle cohabitent et se complètent puissance sonore et pianissimi impalpables. La contribution orchestrale va bien au-delà d’un simple accompagnement. Le dialogue avec le soliste, ici primus inter pares, prend la forme d’un duo passionné.
L’accueil enthousiaste du public en dit long sur l’impact de cette exécution magistrale. Au point que Victor Julien-Laferrière revient avec un bis aussi bref qu’étonnant : l’un des mouvements de la pièce intitulée Serenade, datant de 1949, de Hans Werner Henze, résonne comme une sorte de clin d’œil souriant.
La seconde partie du concert est consacrée à la plus célèbre partition de Saint-Saëns, sa Symphonie n° 3 en ut mineur, avec orgue. Michel Bouvard, soutien indéfectible du patrimoine organistique toulousain et notamment titulaire du Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Sernin, assure la partie qui fait l’originalité de cette partition.
La dynamique mise en place par la direction de Tugan Sokhiev construit un crescendo initial impressionnant qui s’ouvre sur un pianissimo imperceptible. La transition de l’Adagio introductif à l’Allegro moderato qui suit installe un climat inquiétant. L’entrée de l’orgue évoque comme une ombre menaçante qui inexorablement occupe l’espace sonore. L’orgue que joue Michel Bouvard n’est évidemment pas un instrument à tuyaux, mais un substitut électronique tout-à-fait adéquat. Ainsi dirigées par Tugan Sokhiev, visiblement à l’aise dans ce répertoire, les deux parties de l’œuvre se complètent admirablement, associant un lyrisme généreux au recueillement sacré. Outre l‘orgue, un piano, joué à deux puis à quatre mains (par Inessa Lecourt et Tom Grimaud), complète l’orchestration de l’œuvre. Le cheminement vers la solennité du final prend l’allure irrésistible d’une procession de l’ombre vers la lumière. A la suite de l’Allegretto frémissant dans lequel le piano prend la parole, l’orgue montre le chemin vers un soleil resplendissant. Dans le final triomphant, l’orchestre le rejoint dans une apothéose irrésistible au sein de laquelle l’évocation du Dies Irae prend une dimension conquérante.
Le public accueille cette exécution passionnante et passionnée avec une reconnaissance palpable. Chaque soliste de l’orchestre, chaque pupitre sollicité par le chef est acclamé avec vigueur par les heureux présents.
La reprise des concerts publics semble bien irréversible.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse