Même sans public encore, les musiciens se félicitent de pouvoir toujours exercer tout leur talent et faire en sorte que la musique soit bien présente. L’Orchestre National du Capitole de Toulouse sera bien à la Halle le samedi 6 février, à 18h, le concert diffusé en live et en streaming, dirigé par le chef anglais Leo McFall. Le concert débute avec le Concerto pour piano et orchestre n°20 de Mozart, David Fray en étant le soliste. Suivra la Symphonie ultime de Schubert, dite “ La Grande“.
Altiste et pianiste de formation, Leo McFall débute sa carrière en tant que jeune chef aussi bien en direction des concerts que des opéras. Dans l’opéra, le Glyndebourne Festival et Glyndebourne on Tour ont joué un rôle important dans sa carrière, ayant dirigé des performances de Turn of the Screw, Così fan tutte, Rusalka, Carmen, The Yellow Sofa, Mavra et Renard. Il a également travaillé au Hessisches Staatstheater Wiesbaden, à l’Opéra Nord, au Volksoper Wien, à la Canadian Opera Company et à l’Opéra de Lyon. Après des études à l’Université d’Oxford et à la Sibelius Academy, il a été Kapellmeister au Meiningen State Theatre et assistant chef d’orchestre du Gustav Mahler Jugendorchester.
Ses apparitions en tant que chef invité au cours des dernières saisons incluent des concerts avec des orchestres tels que le City of Birmingham Symphony Orchestra, le Civic Orchestra de Chicago, le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, le Dresden Philharmonic, l’ Orchestre de Chambre de Lausanne, le Royal Scottish National et le RTVE Symphony Madrid.
En première partie, le jeune pianiste David Fray interprète le Concerto pour piano n° 20 en ré mineur, op.466 de Wolfgang Amadeus Mozart. Depuis qu’il a été lauréat du Concours international musical de Montréal en 2004, cet artiste a parcouru un chemin remarquable et remarqué, notamment par le réalisateur Bruno Monsaingeon qui a choisi de filmer le musicien lors des séances d’enregistrement non pas de ce concerto mais d’un CD consacré aux concertos de J. S. Bach. Le réalisateur a suffisamment l’œil et l’oreille avisés pour avoir repéré très vite, « son énergie vitale, la beauté de son jeu, l’ influx rythmique qu’il dégage, son imagination et son charisme. » L’artiste est de tous les festivals de piano prestigieux et sa carrière en tant que soliste suit le même parcours. Et, il était présent à la Halle il y a peu dans ce fameux concert, répété sous l’égide du Rotary, consacré aux concertos pour deux, trois et quatre pianos de J. S. Bach.
Ce concerto n° 20, passionné et intense, a été composé à Vienne et achevé le 10 février 1785. Avec le Concerto pour piano en ut mineur (K. 491), c’est le seul autre concerto pour piano (parmi les 27 du compositeur) écrit dans un mode mineur, ce qui rend bien compte du caractère particulier et dramatique de l’œuvre. Il est en trois mouvements bien sûr : Allegro – Romance – Allegro assai. Curieusement, il s’achève par une modulation en majeur à la coda, ce qui fera écrire à un certain Alfred Einstein ( et non Albert) dans son ouvrage sur Mozart : « Son apparition nous émeut comme un trait de lumière et en même temps, elle marque aussi un certain retour au style mondain – c’est le geste d’un grand seigneur qui veut laisser ses hôtes sur une bonne impression… »
Grâce à la correspondance de papa Leopold, on sait que les douze concertos pour piano, composés entre 1782 et 1785, furent le plus souvent créés, malgré leurs difficultés, sans répétitions préalables, ce qui en dit long sur la vitalité mozartienne et le talent des musiciens viennois. Par sa grande richesse expressive, son chromatisme songeur et ses explosions presqu’orageuses, ce concerto fut bien l’une des œuvres préférées du XIXè siècle. Il était au répertoire d’un Beethoven, par exemple.
Symphonie n°8 en ut majeur, “la Grande”, D. 944, un des triomphes de la période du début du Romantisme.
« Cette symphonie nous entraîne dans des régions que nous n’avions jamais explorées auparavant. La symphonie, arrivée à Leipzig, fut entendue, comprise, réentendue et joyeusement, presque universellement, admirée. L’éditeur Breitkopf & Härtel acheta l’œuvre et sa propriété, et la voici maintenant devant nous en parties, peut-être bientôt en partition, comme nous l’avions désiré pour l’utilité et le profit du monde entier. Je le déclare tout de suite et tout net : qui ne connaît pas cette symphonie ne connaît encore que peu de choses de Schubert, et certes, après ce que Schubert a déjà donné à l’art, cela peut sans doute passer pour une éloge à peine croyable.(…)
Ici, outre la magistrale technique musicale de la composition, c’est la vie dans toutes ses fibres, le coloris jusque dans la plus subtile nuance, l’expression la plus pénétrante de chaque détail, et, enveloppant le tout, ce romantisme qu’on connaît déjà si bien chez Franz Schubert. C’est cette ampleur toute divine de la symphonie, pareille à un grand roman en quatre tomes, une œuvre de Jean-Paul Richter (dit J.P.), par exemple ; s’il ne semble jamais finir, c’est pour mieux laisser le lecteur imaginer la suite !
Comme cela rafraîchit, ce sentiment de richesse partout. Si on ignorait que cette symphonie est précédée de six autres et qu’elle a été écrite dans la plus mûre force de l’âge, on ne pourrait concevoir où Schubert a puisé du premier coup cette maîtrise, cette supériorité rayonnante qui se joue dans le maniement de l’orchestre. Celle-ci est d’ailleurs étonnante de la part d’un compositeur qui a si peu entendu exécuter ses œuvres instrumentales. Le maniement des instruments est si original, soit en particulier, soit dans la masse de l’orchestre, qu’il semble qu’on entende des voix humaines et des chœurs se mêler et se répondre les uns aux autres(…)
L’introduction pompeuse et romantique donne tout de suite cette impression de sécurité, bien qu’ici encore tout paraisse enveloppé des ténèbres du mystère. La transition de ce début à l’Allegro est aussi absolument neuve : le tempo ne paraît se modifier en rien, et nous avoir abordé sans savoir comment. Mais disséquer chaque paragraphe l’un après l’autre ne nous apporterait aucune joie : il faudrait transcrire la symphonie toute entière pour donner une idée du caractère de nouveauté qui souffle au travers. Je ne puis toutefois quitter la seconde partie sans une mention. Elle nous parle avec des voix si émouvantes. On y trouve un passage où un cor lance un appel qui semble très lointain…On dirait que cela nous arrive d’une autre sphère. Ici, du reste, tout est aux écoutes, comme si quelque hôte céleste rôdait à travers l’orchestre. Oui, cette symphonie a agi sur nous comme aucune ne l’avait fait encore depuis celles de Beethoven(…).
Le maître – Felix Mendelssohn-Bartholdy – qui l’a étudiée avec une sollicitude si attentive et qui a rendu l’exécution superbe, a prononcé quelques paroles que j’aurais voulu pouvoir rapporter à Schubert comme la plus haute bonne nouvelle qui pût être pour lui. Des années s’écouleront peut-être avant qu’elle soit devenue familière à l’Allemagne ; mais il n’y a pas de danger qu’on l’oublie ou qu’on y fasse pas attention : elle porte en elle l’éternel principe de la jeunesse. » Robert Schumann – Ecrits – 1839
« Divines longueurs », dira encore Robert Schumann car, en effet, avec toutes ses reprises, la symphonie peut durer plus d’une heure. On compte près de mille deux cents mesures dans le Finale.
La postérité aura réservé un sort bien difficile aux œuvres symphoniques de Franz Schubert d’où les difficultés de numérotation rencontrées. Déjà, le XIXe siècle ne prêta guère d’attention aux six symphonies écrites entre 1814 et 1818. Le public les considéra comme des œuvres de jeunesse sans importance, avant de reconnaître le génie de Schubert, mais bien plus tard, et sur les œuvres symphoniques ultérieures, surtout. Alors, huit, neuf, dix symphonies ? Combien de complètes, d’inachevées ? Grâce aux archives du compositeur, on sait aujourd’hui que cette « grande symphonie » – qui allait devenir la Symphonie en ut majeur – fut commencée dès 1825 ou 1826. On sait encore qu’il a tenté de la faire exécuter en 1828, mais elle fut jugée trop longue ! et trop difficile ! surtout le Finale avec trop de mesures pour les violonistes !
Et si l’on osait une sorte d’interprétation littéraire typique de 1828 ? Du style : « Un jeune homme se met en route avec ses compagnons pour faire un pèlerinage à travers la Vie, avec le plus grand enthousiasme. Il prend de mauvais tournants, mais retrouve son chemin. Il lui arrive des tragédies (deuxième mouvement) mais il continue sa route.
Ayant fait face à ces dangers, il se détend avec des danses et des chants (troisième mouvement). Et dans une affirmation de la nature et de l’humanité, il finit son voyage dans la sagesse et dans la joie. »
Quelques mots sur les quatre mouvements.
Dans l’Andante initial, avec sa lente introduction et son allegro rythmé, d’aucuns pensent retrouver l’influence de la Septième de Beethoven, si l’œuvre ne baignait dans une tonalité tout à fait différente, qui ouvre à l’orchestre les voies d’un monde sonore tout à fait nouveau. Un thème en huit mesures, sorte d’appel mystérieux, joué à l’unisson par les deux cors, suggère à la fois le motif, le matériau thématique et la tonalité de l’œuvre. Il détermine l’atmosphère du paysage sonore. Il s’amplifiera jusqu’ à « décharger une puissance tellurique ». Malgré son rythme alla breve, Schubert impose à l’Allegro un tempo modéré par l’indication « ma non troppo » – ce que les interprètes ne respectent pas toujours ! A partir du motif principal et du thème secondaire, exécuté par les vents sur un rythme de danse, le mouvement se déploie en d’amples passages contrastés qui lui procurent une extraordinaire tension dramatique. La grandeur tient précisément à l’alliance des contraires. Le céleste et l’infini y sont contrôlés plus que nulle part ailleurs.
De ce Schubert qui étire un temps plus épique et contemplatif que véritablement dramatique, on a pu lire : « L’impatience à atteindre un but et une fin lui est étrangère. Il faut l’écouter comme on écoute un conteur : les divagations, les digressions, les parenthèses ne gênent ni ne retardent l’essentiel, elles le constituent. »
L’Andante con moto concilie comme aucun autre mouvement lent du compositeur, le maximum de lyrisme au maximum de dynamisme. De façon symptomatique, le puissant sommet d’intensité qui, intervenant au début de la reprise, est suivi par le silence le plus vibrant de toute l’œuvre de Franz Schubert, conduit à des moments de suprême magie lyrique.
Le Scherzo débute par un thème joyeux, vif et bien charpenté qui s’oppose à l’envol d’une valse viennoise de la meilleure tradition et le développement est bien de nature à balayer la mélancolie de l’andante que le trio tente de rappeler. Mais la reprise du scherzo rejette toute hésitation.
L’Allegro vivace du dernier mouvement constitue un des finales les plus monumentaux de tout le répertoire. On souhaite ardemment entendre toutes les reprises. Il est parcouru d’un bout à l’autre par les deux idées émises d’abord, deux idées très courtes, qui se répondent et se complètent, et dont l’une sonne comme un appel tandis que l’autre impose une vie rythmique particulière. C’est la joie victorieuse, l’affirmation de la puissance vitale retrouvée qui n’exclue pas les joyeuses flâneries du rêveur impénitent qu’était Schubert. Une courte référence à l’Hymne à la Joie est un nouveau salut à Beethoven et ce finale qui prend des allures de ländler n’en est pas moins d’une grandiose architecture. C’est le trémolo très doux des violoncelles qui annonce la coda finale, apothéose gigantesque de deux cent mesures dont le rythme persistant – toujours les mêmes quatre notes – et la pulsation irrésistible marqueront le triomphe de la marche en avant.
Orchestre National du Capitole