A l’œil il y a ces mots manuscrits au feutre épais dans la plaquette, qui nous interpellent avec leurs questions comme de vieux amis, et surtout un vrai big bang multicolore : la quatrième saison du Théâtre Sorano sous la direction de Sébastien Bournac s’affiche et s’affirme enthousiaste, poétique et responsable. Un raccourci en filigrane du travail d’artiste ?
Est-ce parce qu’elle a un petit côté pop, celui des enfances psychédéliques dont on se nostalgise, mais cette com’ réitère encore une fois parfaitement l’invitation festive qui nous est faite par le lieu et sa chaleureuse équipe : venir découvrir en confiance et sans complexes ce qu’ont à nous dire les créateurs sur une scène d’aujourd’hui. Un discours d’ensemble maîtrisé, assumé, tissé de paroles individuelles, originales, singulières et pourtant traversé d’envies communes : retrouver ce goût d’aventure qui fait le désir, exprimer sa combattive petite part du monde et oxygéner ses angoisses à la poésie et à l’imaginaire.
S’aventurer
Retrouver l’aventure sans filet, sans préconçus, c’est retrouver le souffle. Celui d’une jeunesse à laquelle le Sorano fait une place réaffirmée en mettant en lumière les pousses fraîches, les pleins de sève ou les encore fragiles accompagnés tout au long de la saison et pas seulement sur le festival Supernova qui leur est dédié en novembre. Théodore Oliver et son MégaSuper Théâtre cherchent dans un choix d’idoles partagées les petits rouages qui font notre histoire collective. Cette quête de figures identificatoires, starifiées, en miroirs à nos petites vies, est partagée par Clotilde Hesme dans Stallone et Marie-Sophie Ferdane dans la 7e vie de Patti Smith (deux spectacles présentés dans le cadre de la Biennale des arts vivants à laquelle s’associent trente théâtres toulousains). Dans First trip, c’est en quête d’absolu que sont les cinq adolescentes d’un Virgin Suicides que revisite la mise en scène de Katia Ferreira.
Inventer sa vie
Retrouver la jeunesse c’est renouer avec des interrogations fondamentales que l’âge et le temps édulcorent hélas : mais pas ici. De nombreux spectacles questionnent sans mollir l’identité (Sandre, Place), le corps (Sujets, L’éveil du printemps), le genre (Change me, One night with Holly Woodlawn), l’appartenance à un territoire (Ibidem), le souhait de s’en extraire ou de s’y reconnecter (Derniers remords avant l’oubli) et de tailler sa propre route. Beaucoup relisent ainsi leurs classiques, en mettant en valeur le caractère intemporel des trajectoires humaines initiatiques qu’ils nous donnent à voir : Hugo Mallon et ses complices passent Flaubert et son Education sentimentale au tamis de leur œil de trentenaires ; le collectif OS’O s’empare fiévreusement de L’Assommoir pour redonner à Zola un peu de rouge aux joues et la compagnie Provisoire dépoussière la crinière du shakespearien Roi Lear en la trimballant tel un trophée dans plusieurs théâtres de la ville.
Faire péter les carcans
Quant aux « jeunes » collectifs « maison » (Bajour, Chiens de Navarre, le Royal Velours, L’annexe, etc.) ils attaquent à l’acide la grande source matricielle de bien des névroses : la sacro-sainte famille. Démontant au cric les pièges d’un quotidien aux allures de Plus belle la vie (Hélas), mettant le doigt pile dans les plaies d’une fratrie réunie pour les obsèques du père (Un homme qui fume c’est plus sain) ou revendiquant la dynamite scénique comme outil de psychanalyse familiale (Tout le monde ne peut pas être orphelin), ils nous redonnent l’assurance que le théâtre n’en aura jamais fini avec ses liens humains qui nous fabriquent, qui nous unissent ou nous divisent. A l’échelle du microcosme de la famille et plus largement de la société et du monde : la critique sociale fait des apparitions loufoques (Zaï Zaï Zaï Zaï). Les traders de Don DeLillo manient Le marteau et la faucille, tandis que l’actualité française jaillit d’une écriture qui s’invente quasiment sur le vif avec les péripéties du quinquennat Macron (Je m’en vais mais l’état demeure).
Etre ensemble et se faire du bien
Alors ici comme en politique, serons-nous finalement sauvés par l’humour, rien n’est moins sûr, mais au moins on aura ri. L’espoir renaît quand souffle le grand beau et l’appel de l’imaginaire : il faudra voir Jamais labour n’est trop profond et écouter Le bruit des arbres qui tombent. Ouvrir grand les fenêtres sur ces petits riens essentiels que l’on partagera goulûment pour se faire du bien : à l’horizon de ces moments doux (et que ne durent que les moments doux) que l’on se souhaite, il y a déjà un duo burlesque tout en fragilité (Cocorico), des bricoles susurrées par des filles aussi chouettes que Romane Bohringer et la chanson d’un Manu Galure enfin rentré à la maison après sa pédestre odyssée. Mais dès la semaine prochaine tous en piste grands et petits pour un jeu grandeur nature, un escape game immersif à la découverte des coulisses du théâtre sur la piste d’une mystérieuse énigme…
Billetterie en Ligne du Théâtre Sorano
Théâtre Sorano
Téléchargement de la brochure 2019/2020
Crédit photos
7e vie de Patti Smith © Zabraka • One night with Holly Woodlawn © Les Lucioles • L’ Assommoir © Frédéric Desmesure • Chiens de Navarre © Ph. Lebruman • Un homme qui fume © Nicolas Joubard • Je m’en vais mais l’état demeure © Simon Gosselin