Il y a des saisons où des artistes reviennent. Cet hiver, le cinéaste Fassbinder déborde sur les scènes de théâtre toulousaines. Après le Groupe Merci – Je suis Fassbinder – c’est la Compagnie Tabula Rasa qui s’en empare. Dirigée par Sébastien Bournac, qui est à la tête du théâtre Sorano, elle crée A vie – inspiré du film Je veux seulement que vous m’aimiez.
Sur la scène, il y a un technicien, derrière des ordinateurs ; un jeune comédien qui n’a pas trente ans, Yohann Villepastour ; et cinq écrans, de tailles différentes. Il joue à être Peter Jörnschmidt, un détenu condamné à perpétuité, dont le sort a intéressé Antes et Erhardt qui l’ont analysé dans un ouvrage : Perpétuité, les protocoles de la détention. Ce livre est à l’origine du film de Fassbinder.
Le comédien, jouant Jörnschmidt, témoigne de sa vie passée. Il évoque son enfance, ses parents, et une suite d’événements qui se suivent, jusqu’aux meurtres qu’il commet, sans préméditation, au terme d’une affolante succession de mésaventures. On y retrouve de vagues familiarités avec Bandini, personnage principal des livres de John Fante, ou Charles Bukowski, dans la pauvreté qu’ils partagent. Le spectateur français pense également à Jean-Claude Romand, meurtrier qui n’envisageait pas de l’être.
Le dispositif matériel est important. Des images sont diffusées par les cinq écrans, derrière le comédien. A quoi cela sert-il ? L’interprète est multiplié. Le Yohann Villepastour filmé, et qui apparaît en cinq exemplaires, cloné, fixe le spectateur droit dans les yeux alors qu’il est sur scène, assis de biais, et qu’il ne le regarde pas. Quand le télévisé se fige, une inquiétude fracassante se fait une place. Une relation naît entre le public et ces objets lumineux.
Le jeune comédien Yohann Villepastour est remarquable. Il joue avec une sincérité apparente, bien que sa tâche se cantonne au fait de témoigner. Il est espiègle, parfois. Il parvient à restituer clairement au spectateur l’existence de cet homme.
A vie est une pièce-témoignage. Le drame n’existe que dans les mots, les phrases. Il n’apparaît pas sur la scène, par le biais d’événements charnels, joués par des humains. Le spectacle a, ainsi, parfois, des airs de lecture – sans que le comédien ait le texte sous les yeux. Conséquemment, il existe chez les spectateurs, deux réactions principales, qu’il peut connaître simultanément, ou pas. La première, être vivement intéressé par cet univers que le verbe seul crée, et transporté par le rythme de la parole. La seconde, être lassé, frustré par le fait que l’histoire ne soit pas mise à l’épreuve de la scène. Être insatisfait car la pièce, en une certaine mesure, ne fait pas théâtre.