Le programme de ce 29e Cinélatino est enfin disponible en catalogue papier, et en téléchargeable ici.
Revenons ici sur les 12 films en compétition long-métrage de fiction.
Carpinteros, de José María Cabral (République dominicaine)
Tourné à l’intérieur de trois prisons de République Dominicaine avec la participation active des détenus et de l’encadrement, « Carpinteros » nous plonge de manière très réaliste dans la vie pénitentiaire avec ses trafics, ses rapports de force, ses petits arrangements. En particulier les hommes et les femmes dont les quartiers sont voisins communiquent grâce à un étonnant langage de signes… ce qui facilite les rapprochements amoureux et engendre des rivalités. Quelques acteurs professionnels s’intègrent parfaitement à cet univers carcéral que la caméra révèle avec une vivacité inventive. Ce film, parfaitement rythmé, navigue avec beaucoup de naturel dans ces milieux clos y retrouvant les forces et les faiblesses de la nature humaine.
El Cristo ciego, de Christopher Murray (Chili)
Michael est mécanicien dans un village chilien de la pampa désertique de Tamarugal. Depuis une révélation qu’il a eue enfant, il ressent une foi intime : Dieu ne parle pas dans les églises, il est en nous. Michael se sent élu, peut-être un sauveur, mais il doute et certains le méprisent ou le prennent pour un fou. Quand il apprend qu’un ami d’enfance a eu un accident dans un hameau éloigné, Michael entreprend le voyage pour le guérir. Le long de sa marche, des laissés-pour-compte voient en lui un Christ capable de soulager leur réalité. Entre documentaire et fiction, un beau pèlerinage aux images fortes dans un univers poussiéreux et minéral, oublié du développement et de tout système de soutien, où la foi prend une valeur particulière d’espérance et de survie.
Era o hotel Cambridge, de Eliane Caffé (Brésil)
Un hôtel désaffecté du centre de São Paulo, le Cambridge, est occupé par un grand nombre de « sans-toit » et par quelques réfugiés (africains, palestiniens…). Une menace d’expulsion plane. La lutte est encadrée par une association. Sous l’impulsion de Carmen et de son équipe, les problèmes pratiques de la vie de tous les jours et les petits conflits qu’ils engendrent sont discutés et réglés de manière solidaire et humaine. Les décisions sont prises de manière collective. « Era o hotel Cambridge » ressemble à un documentaire bien construit, mais c’est en fait une fiction militante écrite avec beaucoup de sensibilité, dont les rôles principaux sont tenus par d’excellents acteurs professionnels qui s’intègrent à une foule d’anonymes, personnages réels, étonnants de véracité. Actuel et universel, un film vivifiant !
Hermia y Helena, de Matías Piñeiro (Argentine)
Camila, jeune argentine, obtient une bourse pour terminer un travail d’écriture à New York. Loin de ses amis, sa famille et son compagnon, alors qu’elle doit parfaire une traduction espagnole du « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare, elle va de rencontre en rencontre, un peu perdue dans sa quête personnelle et professionnelle. Entre Buenos Aires et le New York de Woody Allen, on retrouve avec bonheur Agustina Muñoz, une des actrices montantes du cinéma argentin, dans un jeu de miroir brillant entre l’œuvre du grand auteur britannique – référence majeure de Matías Piñeiro – et les questionnements de son personnage.
Jazmin et Toussaint, de Claudia Sainte-Luce (Mexique)
À 60 ans, en raison d’une santé fragile, Toussaint doit s’installer chez sa fille Jazmín, qui vit à Mexico. D’origine haïtienne, Toussaint n’a jamais été capable de prendre racine nulle part. Il n’a pas été un père aimant et reste un parfait inconnu pour Jazmín. Au gré de cette cohabitation forcée, Toussaint recompose le puzzle de son passé sous le regard tantôt sévère, tantôt bienveillant de sa fille. Il permettra à Jazmín d’aller de l’avant avec sa propre vie. La réalisatrice confie qu’il y a une part importante d’autobiographie dans le récit de cette rencontre tardive entre un père absent et une fille qui s’est construite sans lui. Ce qui explique sans doute la justesse d’un film émouvant mais sans pathos, nourri de regards et de silences. Ce deuxième film de Claudia Sainte-Luce a été sélectionné au festival de Toronto.
Jesús, de Fernando Guzzoni (Chili)
Jesús, 18 ans, habite avec son père, souvent absent, à Santiago du Chili. Entre compétitions de K-pop (pop coréenne) et soirées alcoolisées : une jeunesse un peu sans limites, fan d’images trash et en quête perpétuelle d’elle-même. Et puis, une nuit dans un parc, Jesús et son groupe dérapent : tout va basculer pour le jeune homme. Beau portrait tragique de la perte de l’insouciance, réalisé par Fernando Guzzoni qui avait impressionné le public avec son premier film Carne de perro en 2012. Les deux acteurs principaux, le jeune Nicolás Durán, à la beauté androgyne et, dans le rôle du père, Alejandro Goic, fidèle du cinéma de Pablo Larraín (« El Club », « Neruda »), sont filmés au plus près dans un clair-obscur magnifique. Un film puissant et déroutant.
Los Nadie, de Juan Sebastián Mesa (Colombie)
Juan Sebastián Mesa fait ses débuts au cinéma avec ce portrait de la jeunesse de Medellín. Cinq amis, qui veulent élargir leur horizon et rompre avec le monde des adultes et un quotidien trop étriqué, rêvent de voyager en Amérique du Sud et se préparent à cette expérience initiatique. Quelques jours avant leur départ, ils parcourent cette ville plutôt hostile et chaotique. Les arts de la rue, les graffitis, les tatouages et la musique sont leur trait d’union, leur refuge, leur culture punk. Le noir et blanc que choisit l’auteur ajoute un sentiment d’intemporalité à ce film tourné en dix jours avec de tous petits moyens mais avec une grande fraîcheur et beaucoup de tendresse pour ses personnages enthousiastes et épris de liberté.
Mala junta, de Claudia Huaiquimilla (Chili)
Pour éviter l’internement dans un centre de rééducation, une solution de la dernière chance s’offre à Tano, 16 ans. Il est expédié dans le sud du Chili chez son père qu’il n’a pas vu depuis des années. Entre l’ennui de la vie à la campagne et le ressentiment pour son père, une amitié va naître entre l’ado rebelle et Cheo, un garçon timide et maladroit harcelé en raison de ses origines indigènes. Alors que la communauté mapuche doit faire face à de fausses accusations et affronte la violence policière, Tano découvre des facettes de Cheo qui vont forcer son respect. D’origine mapuche, la réalisatrice a voulu mettre en scène dans un contexte politique particulier, celui de la violence exercée contre les Mapuches, une trajectoire commune de deux ados souffrant des préjugés et cherchant à trouver leur place dans un monde duquel ils sont laissés en marge.
Não devore meu coração !, de Felipe Bragança (Brésil)
Frontière naturelle entre le Brésil et le Paraguay, le Rio Apa est témoin depuis des siècles de vives tensions entre ses riverains. Alors que l’armée brésilienne y perpétra un véritable génocide indigène, aujourd’hui, fermiers et Guaranis s’y disputent encore les terres avoisinantes. Joca, jeune brésilien, y croise la fille alligator, Basano, jeune paraguayenne, reine du Rio Apa. Elle lui vole son cœur, il l’aimera à jamais. Son frère Fernando fait partie d’une bande de motards, menée par le terrible Telecath. Les destins sont scellés, rien ne pourra les changer. Long-métrage rock’n’roll, doté d’une vraie dimension romanesque, le film, empreint de réalisme magique, éblouit par son image impeccable. Remarqué par Cinélatino en 2014 pour son court-métrage décalé, « Fernando que ganhou um passaro do mar », Felipe Bragança réalise ici son premier long-métrage en solo, qui a été soutenu par Cinéma en Construction.
Pariente, de Iván Gaona (Colombie)
Ce premier long-métrage d’Iván Gaona nous amène dans un village rural où la vie quotidienne des habitants est marquée par la violence du conflit armé vieux d’un demi siècle. Willington essaie de récupérer l’amour de son ex-fiancée Mariana qui est sur le point de se marier avec René (son cousin). Cette histoire d’amour perdu se mêle à des épisodes violents commis par des paramilitaires qui refusent la démobilisation et continuent de sévir dans les campagnes colombiennes. Un film d’actualité dans la période de négociation des accords de paix, qui pose le difficile problème du retour à la normalité dans un pays si longtemps submergé par la guerre. L’auteur utilise certains codes du cinéma de genre pour nous raconter une histoire de triangle amoureux perturbée par l’histoire de la Colombie.
Rey, de Niles Atallah (Chili)
Le réalisateur de « Lucía » poursuit son exploration esthétique fondée sur une hybridation plastique du cinéma. Dans « Rey », en mêlant au film des images d’archives, de la pellicule grattée, des marionnettes et des supports filmiques en décomposition, il nous emporte au plus près de l’univers intérieur tourmenté d’Orélie-Antoine de Tounens, avocat excentrique originaire de Dordogne qui a fondé le royaume d’Araucania au Chili. Hallucinatoire et unique, la forme du film reflète la trajectoire de cet aventurier qui s’est proclamé roi, a créé une constitution, un hymne et un drapeau. Niles Attalah propose une réflexion sur la subjectivité historique et met en scène un épisode de l’histoire du Chili sur lequel il y a peu d’archives.
Santa y Andrés, de Carlos Lechuga (Cuba)
Cuba, 1983. Près d’un petit village de l’est de l’île, Andrés vit reclus comme un paria, maintenu à l’écart par le gouvernement pour ses « problèmes idéologiques » : il est écrivain et homosexuel. Un événement politique international a lieu dans la zone et Santa, paysanne révolutionnaire, a pour mission de le surveiller étroitement pendant trois jours afin d’éviter qu’il ne commette un acte dissident. Au-delà de leurs différences, cette proximité forcée va permettre de révéler ce que les deux êtres blessés ont en commun. Une belle histoire d’amitié qui questionne les thèmes de la tolérance et de la morale imposée, de la liberté de création et de l’embrigadement. Le film rend un hommage aux écrivains privés de liberté d’expression.
Il va de soi que les films hors compétition ne sont pas moins inintéressants. Il est toutefois surprenant de noter l’absence dans cette 29e édition de films attendus comme « Una Mujer Fantástica », « Pendular », « Nunca vas a estar solo »… Il y a déjà un film dont je peux vous parler, puisque je l’ai vu, et vous recommander : « La Región salvaje », film avec un petit coté fantastique, où le Mexique est encore l’enfer sur Terre, mais pour qui sait s’arrêter à temps, on peut toucher au Nirvana.