Dans ce billet, j’ai eu envie de m’adresser à toi, Derek.
Pour ceux à qui ton prénom n’évoquerait pas grand chose, je vais te présenter succinctement. Tu t’appelles Derek Cianfrance, tu as la petite quarantaine, tu es un réalisateur américain, un réalisateur sensible comme en témoignent tes précédents films, Blue Valentine et The place behond the pines. Je crois que l’âme humaine t’intéresse, en tout cas tu la décris finement. Je crois aussi que les rapports humains te passionnent, plus précisément ceux existant au sein d’un couple. Le rapprochement amoureux, c’est un peu ton dada, il se retrouve fréquemment au centre de ta filmographie.
Ta grande force, c’est de pouvoir évoquer un sujet commun à l’ensemble de l’humanité (rhoo tu peux bien faire ton / ta bêcheur-se, toi là qui parcours ces lignes, l’amour ça nous passionne tous non ?), un sujet aussi éculé que “ je te vois, tu me vois, on se flashe, on se love ”, sans qu’avec toi l’ambiance ne vire à la guimauve, à la gnanganterie idiote. Y’a pas à dire Derek, tu es très fort, quand tu parles d’amour (et aussi, souvent, de sa fin) c’est vachement beau, c’est drôlement délicat.
C’est pour ces raisons que je partais confiante à ton rendez – vous maritime battu par les 40ème rugissants. Comme en plus, tu avais la bonne idée de t’essayer pour la première fois au film d’époque, à l’adaptation d’un roman à succès traduit en pas moins de 35 langues (le truc pas du tout casse – gueule) et que tu avais engagé Michael Fassbender pour interpréter l’un des personnages principaux, j’approchais même de la félicité.
Je suis sortie de la projection avec le vague sentiment d’avoir pataugé dans le varech pendant 2 heures un quart … C’est pas cool ce que tu m’as fait là …
Que je vous en raconte un peu les copains (et oui, ce billet est multi – directionnel, faut que je dise des trucs à Derek mais faut aussi que je vous informe, c’est bien normal).
Revenu de 4 années passées sous les drapeaux et dans le fond des tranchées de la première guerre mondiale, Tom Sherbourne a besoin de panser ses plaies. Pour cela, rien de tel qu’un petit job de gardien phare sur une île isolée au sud de la Tasmanie (plus loin, y’avait pas). Avant d’embarquer pour sa destination, il croise le chemin de l’impétueuse Isabelle pourtant fort occupée à nourrir des mouettes sur le bord du rivage.
Un seul regard et tout est dit, bim bam, destinée quand tu nous tiens. À son premier retour sur le continent, il la retrouve pour un pique – nique face au soleil couchant, pimenté d’un dialogue aussi couillon que mortifère : “ P’tain Isa, j’ai des traumas, je ne suis pas capable d’aimer … Voyons Tommy, ne raconte pas de conneries, moi aussi j’ai connu mon lot de chagrin, blottis – toi contre mon châle, je vais te redonner goût à la vie “.
Quelques échanges épistolaires plus tard, nos 2 tourtereaux se marient. Tom embarque sa meuf sur son île perdue afin de faire fructifier leur amour loin de cette saloperie de civilisation et pour (accessoirement) sauver des bateaux en perdition, boire du lait de chèvre et profiter de l’air iodé.
Tiens, si je te coupais un peu la stachmou, ça nous occuperait 5 minutes ? Si tu veux ma chérie mais gaffe à mon tarin, j’en ai encore besoin.
N’allez pourtant pas croire que nos 2 choupinous soient à l’abri de tout, les traumatismes et la mer déchaînée ne sont pas là que pour faire joli je vous signale.
Au bout de quelques mois de passion sur leur bout de rocher battu par les vents (j’adore cette expression, pas vous ?) et alors qu’ils n’aspirent qu’à agrandir la famille Sherbourne, Isabelle connaît la tragédie de fausses couches qui vont considérablement lui taper sur la cafetière. Tom la réconforte, Tom fait de son mieux, Tom n’est surtout pas au bout de ses peines quand échoue sur la plage une barque malmenée par les courants.
Je m’arrêterais là en ce qui concerne le résumé d’Une vie entre 2 océans, je m’en vais à présent reprendre mes récriminations envers Derek Cianfrance.
Menfin Derek, qu’est – ce – qui t’a pris de nous servir ce mélo ramollo ? Toi qui sais si bien parler des sentiments amoureux, pourquoi nous livres – tu cette version Arlequin d’Isa et Tom sont sur un bateau, le premier qui tombe à l’eau fait plouf ? Rhaaaaa, je suis désappointement Derek, je ne te le cache pas …
Tout ce que d’habitude tu évites si bien (le pathos, la mièvrerie, les sentiments téléphonés), tu te les ais pris en pleine tronche et c’est pas bien joli à voir (c’est moi où la lumière est toute plate ? Les paysages juste bon à remplir l’arrière – plan ?). Même la musique d’Alexandre “ king of BO ” Desplat fait juste le job.
On pourrait se dire qu’au moins, ton trio d’acteurs permettrait quelques belles envolées. Et bien même pas, Michael Fassbender se contente de regarder au loin, le front plissé par le souci (misère de sous – exploitation de Rolls Royce d’acteur !!), Alicia Vilkander (qu’on a vu bien meilleure dans A royal affair ou Ex machina) se roule dans les herbes folles en hurlant à la mort et cette pauvre Rachel Weisz est réduite au rôle de la sacrifiée et à 2 chandelles de morve …
À mon avis, le gros studio qui te produit ne t’a pas laissé le champ d’action qu’il aurait fallu. Un choix plus ou moins judicieux de sujet et, éventuellement, une petite baisse de régime, nous mènent donc à cette Vie entre 2 océans passablement ratée, il faut bien le reconnaître. Mais tu sais quoi Derek ? On va oublier ça, bien vite. Et simplement patienter jusqu’à ton prochain film.
Bisous et sans rancune.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio