Théâtre du Capitole – Cavalleria rusticana / Paillasse (14 mars 2014 )
Il n’est rien de dire combien ce diptyque qui fit les grands soirs de notre scène lyrique dès le début du 20ème siècle, et qui en était absent depuis près de cinquante ans (!), était attendu par tous les mélomanes. Ces reprises sont-elles à marquer d’une pierre blanche ? Il n’y a rien de moins sûr.
La moindre des honnêtetés est de souligner combien le public de cette première a manifesté par des applaudissements nourris son plaisir à ce spectacle. Autre chose est d’applaudir de concert. Ce qui est paradoxal en même temps que meurtrier pour ce spectacle pourtant riche en promesses émotionnelles, c’est justement la totale absence d’émotion. Dans une production entièrement signée Yannis Kokkos, que voit-on : une mise en scène simpliste, un décor un peu passe-partout, des gestes d’un autre temps. Et voilà nos deux chefs d’œuvre du vérisme italien à la merci exclusive des chanteurs et d’un orchestre de quelques soixante-dix musiciens. Sous la direction de Tugan Sokhiev, ces deux partitions atteignent musicalement des sommets de flamboyances qui flirtent hélas trop souvent avec des pics de décibels rarement atteints dans cette fosse. Sur scène, les chanteurs, d’Europe centrale pour la grande majorité, n’ont plus qu’à se mettre au diapason. Dès la Sicilienne qui ouvre Cavalleria rusticana, on entend bien que le Turiddu de Nikolaï Schukoff est hors de propos dans ce répertoire. Sa fréquentation actuelle du répertoire wagnérien l’a amené à une projection le privant de toute souplesse dans son émission. Les notes sont là, certes. Est-ce suffisant pour un rôle en définitive de lyrique ? Certainement pas. A ses côtés, Elena Bocharova, qui nous avait déjà fait frémir dans une Dalila en concert à la Halle aux grains de triste mémoire, se révèle une Santuzza en difficultés permanentes. Que ce soit avec une partition dont elle savonne quelques aigus ou encore une voix dont le haut medium semble définitivement terni, sa prestation est moins qu’honorable. Ce rôle de falcon est hors de ses limites. Dans des rôles infiniment moins exposés, Sarah Jouffroy (Lola) et André Heyboer (Alfio) tirent leur épingle du jeu. La palme revient donc à Elena Zilio, la seule italienne du plateau (tiens…). Dans ses courtes interventions de Mamma Lucia, elle et elle seule lève le voile sur la véritable vocalité de cet opéra, grâce à une voix sans artifices, chaude, pleine, longue, parfaitement projetée, au vibrato idéalement contrôlé sur l’ensemble de la tessiture. Une leçon !
Avec Paillasse et le rôle-titre, Canio, c’est direction l’histoire du Capitole au milieu du siècle dernier, lorsque Tony Poncet était titulaire de ce rôle, un rôle alors distribué à ce que l’on appelait des « forts ténors ». Toute une esthétique vocale que Badri Maisuradze nous fait revivre en direct. Jeu de scène a minima, sanglots, tout ce qui a fait le malheur de ce répertoire. Alors, bien sûr, il faut reconnaître un organe d’une puissance impressionnante. Mais peut-on aujourd’hui encore se contenter de cela ? La réponse est encore non. Outre des aigus stentorisés, dont un la bémol dans le Prologue à faire trembler le poulailler, la voix de Sergey Murzaev (Tonio) est avant tout une forte projection. Mais son peu d’impact dans le bas medium et le grave rappelle que l’écriture originale de ce rôle le destine avant tout à une basse chantante. Sans vraiment convaincre, Tamar Iveri se sort à peu près de Nedda, s’économisant sur l’aspect lyrique et aérien de ce personnage, lui préférant une violence d’accents étrangère à cette jeune femme qui découvre l’amour dans les bras d’un autre. Cet autre, c’est Mario Cassi (Silvio). Ruggero Leoncavallo lui a réservé ses plus belles mélodies. La technique rudimentaire de ce baryton ne lui permet pas de les mettre idéalement en valeur. Dommage. Mikeldi Atxalandabaso est un Beppe honnête, qui ne restera pas dans les mémoires.
Terminons tout de même sur un point de satisfaction : les chœurs. Epaulés par la Maîtrise du Capitole et sous la direction d’Alfonso Caiani, qui connaît ce répertoire de manière endogène, ils nous donnent à entendre les plus beaux moments vocaux de cette soirée, tant par leur couleur que leur rondeur. Même si moins de puissance n’aurait pas nui à leur souci habituel de dynamique.
En résumé, un spectacle d’une autre époque, dont l’interprétation ici donne de multiples arguments aux nombreux détracteurs du mouvement vériste.
Robert Pénavayre
Prochaines représentations : 16, 18, 21 et 23 mars 2014
Renseignements et réservations : www.theatreducapitole.fr
photos © Patrice Nin
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