Comme il est bon de revenir dans une salle de cinéma ! Depuis quelques semaines, je m’en étais tenue éloignée et tel le junkie en manque, je commençais à en ressentir les effets. Avant de retapisser mon intérieur de velours cramoisi et d’engager ma voisine de palier comme ouvreuse, je suis allée prendre ma dose. En fêtant ces retrouvailles avec de la bonne, c’est – à – dire avec un film des Frères Coen.
J’aime Joël et Ethan Coen. J’aime l’air souvent bougon qu’arbore le premier et celui de gentil – premier – de – la – classe – un – peu – coincé qu’affiche le second. J’aime notre rencontre au moment de la sortie de Fargo (même qu’après, rien n’a plus été pareil), j’aime leur collaboration depuis toujours, l’un à la réalisation, l’autre à la production, les deux à l’écriture. J’aime leur cinéma (inclassable, sombre, caustique), leur univers, leur créativité et leur ligne de conduite, j’aime ne pas aimer toute leur filmographie, j’aime leur façon de mêler films d’acteurs confirmés et films sans, j’aime leurs bandes – originales et par – dessus tout, j’aime découvrir leur dernier long – métrage en date.
New – York, le Village, hiver 1961. Llewyn Davis est un musicien folk, partie restante d’un duo qui a connu un succès d’estime, courant à la poursuite d’une reconnaissance qui se dérobe sans cesse. Jouant dans des bars miteux, n’ayant même pas de quoi s’acheter un manteau pour lutter contre le froid sibérien, il n’est plus vraiment apprécié de ses amis desquels il abuse de l’hospitalité sans vergogne. Cela ne l’empêche d’ailleurs pas de s’avérer acerbe et très critique, notamment envers la scène musicale locale.
Lassé de demander les droits d’auteur que sa maison de disques lui refuse (le besoin de liquidités se fait pressant, il a les frais d’un avortement sur les bras), Llewyn Davis décide de profiter d’une voiture à destination de Chicago afin d’y rencontrer le patron d’un club censé lui offrir l’essor qu’il mérite.
Inside Llewyn Davis, c’est un voyage à travers une époque (les années 60), une musique (la folk), un état d’esprit et une façon de vivre, celle très fauchée d’un artiste sans concessions, librement inspiré du musicien Dave Van Ronk (si ça vous dit d’en apprendre un peu plus sur lui, vous pouvez aller par là. Et pour l’écouter, c’est par ici).
Il faut pourtant reconnaître que le dernier opus des Frères Coen laisse dans l’expectative. Au – delà d’une impression générale décousue laissant comme un sentiment d’inachevé (phénomène étrange que je ne saurais vous expliquer plus en avant …), c’est surtout dans la psychologie du personnage qu’il faut chercher la cause. En effet, Llewyn Davis n’est pas vraiment ce que l’on pourrait appeler un être aimable, mais plutôt un type vivant uniquement pour une passion qui le rend injuste, égoïste. Difficile alors de ressentir de l’empathie pour cet homme possédant une haute estime de son (réel) talent …
Oscar Isaac prête ses traits (je ne suis pas totalement emballée par ce choix, mais que voulez – vous, personne n’a encore eu l’idée lumineuse de m’engager en tant que directrice de casting) et sa voix (son interprétation est par contre absolument impeccable, la bande originale d’Inside Llewyn Davis est d’ailleurs superbe) à cet anti – héros qui ne supporte plus les compromis et en vient même à s’interroger sur un éventuel revirement de carrière.
Il croisera bien des personnages dans ce New – York bohème, des précurseurs du mouvement contestataire pour certains (le jeu est de reconnaître les musiciens auxquels on fait allusion. A part un clone de Bob Dylan, je vous avouerais ne pas avoir reconnu grand monde),
Un Justin Timberlake portant haut le collier de barbe et le sous – pull orange, très convaincant dans le rôle d’innocent aux mains pleines.
d’autres beaucoup plus consensuels, ne songeant qu’à engendrer le tube formaté qui fera leur succès. Quelques situations drolatiques, un chat roux et fugueur, Carey Mulligan, Garret Hedlund viennent compléter le casting en compagnie d’un John Goodman qu’il est bon de retrouver sur la banquette arrière d’une berline.
Constat amer de la condition de musicien, balade mélancolique dans l’hiver glacial du New – York des sixties, film contemplatif de bars enfumés du Village, Inside Llewyn Davis possède surtout le mérite de concrétiser un nouvel aspect de l’univers de Joël et Ethan Coen. Et rien que pour cela, il le vaut bien.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio