Ken Loach fait partie des derniers briscards du cinéma engagé, de ceux qui inspirent le respect.
Avec son physique d’oiseau (un peu frêle mais au regard franc et assuré), il est un des rares dans le paysage uniformisé du cinéma mondial à n’avoir en aucun cas perdu ou trahi ses idéaux. Ce réalisateur anglais de bientôt 77 ans n’a jamais cessé de mettre en scène la vie des petites gens, ceux de la classe ouvrière, qui n’ont en général pas voix au chapitre dans les superproductions hollywoodiennes (c’est sûr qu’un métallo de Manchester c’est un peu moins glamour qu’Angelina Jolie).
Pas le moins du monde misérabiliste mais présentant les choses telles qu’elles sont, conservant malgré tout une certaine dose de légèreté et d’humour, aussi droit dans ses propos que dans ses bottes (sur ses plateaux de tournage, Ken Loach applique le même tarif syndical à tous ceux qui travaillent avec lui, des techniciens aux acteurs en passant par lui – même. A ma connaissance, et si l’on fait fi du joyeux temps des kolkhozes, il doit bien être le seul à pratiquer une telle politique …), il retranscrit depuis ses débuts la société britannique dans laquelle il vit (Kes, Ladybird, Raining stones, My name is Joe) mais aussi celle de ses voisins d’Outre – Atlantique (Bread and Roses), les ravages de la mondialisation à outrance (It’s a free world), les mouvements politiques entraînant une lutte armée (Carla’s song, Le vent se lève ou Land and freedom) et même le monde du foot (car il est depuis toujours un fervent supporteur du club de Bath) en offrant même un de ses premiers rôles à Eric Cantona dans Looking for Eric.
Bref, un monsieur aussi impliqué qu’humaniste, un monsieur bien.
Dans sa dernière production, le réalisateur ne déroge pas à la règle et revient avec un documentaire sur les mouvements sociaux que connut la Grande – Bretagne après la deuxième guerre mondiale.
A cette période, le pays se relève d’une décennie au taux de chômage – record, suivi par plusieurs années de conflit qui l’ont laissé exsangue. Nombre d’ouvriers ont à peine de quoi subsister, vivent dans des maisons insalubres où règnent des conditions d’hygiène déplorables, beaucoup d’enfants meurent en bas âge en raison du manque de nourriture, l’accès à l’éducation et aux soins est réservé aux plus fortunés …
Un gigantesque mouvement social s’engage alors (mené notamment par le Parti Travailliste appuyé par les syndicats) afin de ne plus jamais revivre ces années noires (quitte à pousser dehors un Winston Churchill vieillissant considéré encore par beaucoup comme le sauveur de la nation). D’énormes chantiers sont mis en route : construction de logements sociaux, instauration du régime de sécurité sociale, amélioration des conditions de travail (en le rendant moins précaire pour les dockers et en garantissant une meilleure sécurité aux mineurs), facilitation de l’accès à l’instruction et à la culture et nationalisation des grandes compagnies (gaz, chemin de fer).
Ken Loach nous livre un récit passionnant, très documenté, illustré de documents d’époque mais aussi émaillé de témoignages (forts et poignants) de personnes ayant vécu ces évènements (infirmières, mineurs, métallos, médecins, syndicalistes) et d’analyses plus contemporaines (de la part d’économistes ou d’historiens).
Comme les films d’époque, les témoignages sont également en noir et blanc (afin de garder une certaine unité dans le récit).
Mais le documentaire ne s’arrête pas là. Non comptant de dresser un portrait de cette période joyeuse, enfiévrée, où tous les espoirs sont permis,
il poursuit son analyse jusqu’à arriver 30 ans plus tard où une politique basée sur le capitalisme sauvage commença à faire son apparition (avec à sa tête une certaine Margaret Tatcher) en s’attaquant à tous les bienfaits d’un système social si chèrement acquis …
La vision pourrait sembler terriblement pessimiste, je pense qu’il est plus intéressant d’y voir un avertissement à rester constamment vigilant car rien en ce bas monde ne peut être considéré comme acquis. De plus, la parole des témoins (bande de papis et mamies drôlement motivants !) qui ont connu une période de changement notable, est une totale invitation à propager un message des plus élémentaires : une vie meilleure est accessible à tous, du moment qu’elle part d’une action solidaire.
En vous remerciant.
L’info militante : Si vous souhaitez compléter votre connaissance en matière d’histoire de résistances britanniques, Ken Loach avait déjà réalisé deux documentaires qui permettent d’apporter des précisions à l’esprit de 45.
Dans Wich side are on you ? le réalisateur couvre la grève des mineurs (entre 1984 et 1985) en racontant leur lutte à travers les chansons et poèmes qu’ils ont crées pour exprimer leur solidarité et leur souffrance.
Dans les dockers de Liverpool, Ken Loach suit le parcours des 500 dockers qui, par solidarité, avaient refusé de franchir un piquet de grève et s’étaient retrouvés licenciés par leur compagnie. Édifiant …