On le retrouve sur deux dates, à la Halle, le 22 novembre avec son Concerto pour violoncelle n°1 dont la soliste est Sol Gabetta et le chef Ben Gernon, puis le 15 décembre avec la Symphonie n°8 dirigée par Tugan Sokhiev avec bien sûr, toutes les forces vives de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. « Chosta », un compositeur superstar attirant les foules.
Sol Gabetta est une des violoncellistes en pointe en ce moment, qui a pu se produire ici même avec Bertrand Chamayou dans des œuvres de musique de chambre. Mêmes louanges pour le jeune chef Ben Gernon qui, en mai dernier, nous a captivé avec sa direction de la Symphonie n°2 de Brahms. Il fait partie intégrante de cette nouvelle génération de jeunes chefs dont les phalanges sont si friandes. Quant à Tugan Sokhiev, faut-il présenter ce toujours jeune chef, présent ici depuis bientôt plus de douze ans, qui a fait grimper l’ONCT sur les plus hautes branches des phalanges internationales, actuel Directeur artistique du Théâtre Bolchoï de Moscou, et bien sûr chef hautement convoité par tant d’autres structures ?
Sans négliger les autres œuvres présentées lors de ces deux concerts, disons quelques mots sur celles concernant ce compositeur russe qui, ô surprise, permet maintenant au concert qui le met au programme, d’afficher complet.
Enfouie sous contraintes et persécutions, vivant une succession d’honneurs, de disgrâces et d’éclipses, l’existence de Dimitri Chostakovitch aura été entièrement fidèle à la terre russe. Malgré la terreur psychologique institutionnalisée par le régime soviétique et son dictateur culturel, le sinistre Andreï Djanov, qui va régenter sa vie entière, le dernier Géant de l’écriture symphonique, l’orchestrateur virtuose, le formidable bâtisseur d’architectures disproportionnées laisse une œuvre considérable, universellement reconnue. Et dire qu’il connut la gloire dès ses dix-neuf ans avec sa Symphonie n°1. Il demeure bien là comme le plus proche héritier de l’art d’un Gustav Mahler.
Concerto pour violoncelle et orchestre n°1, en mi majeur, opus 107
- Allegretto
- Moderato
- Cadenza
- Allegro con moto
Les trois derniers mouvements sont enchaînés, faisant bloc.
Il fut créé à Léningrad le 4 octobre 1959 par un jeune prodige, né à Bakou, Mstislav Rostropovitch, dit Slava, son inspirateur, et dédicataire, ancien élève de la classe d’orchestration de Chostakovitch au Conservatoire de Moscou. Sous la direction de l’incontournable chef Evgueni Mravinski à la tête du Philharmonique de Léningrad.
Le compositeur a écrit deux concertos pour chacun des trois instruments privilégiés de cette forme musicale, le piano, le violon et le violoncelle. Ceux pour violon et violoncelle seront directement inspirés par les virtuoses les plus accomplis du XXe siècle, David Oïstrakh et Mstislav Rostropovitch. Deux à chaque fois, il paraît difficile de parler de simple coïncidence : cette symétrie formelle fait pendant aux conceptions divergentes de la musique concertante qui s’y expriment.
Ce principe s’applique tout particulièrement aux deux concertos pour violoncelle, composés à sept ans d’intervalle, durant l’été 1959 pour le premier. De durée comparable, ils se ressemblent également par l’importance accordée au soliste et par l’orchestration réduite. On note l’absence de trompettes et de trombones, mais un cor tout de même ici. Cependant, leurs caractéristiques essentielles sont fondamentalement différentes.
Tandis que, le Concerto n°2 brille de toute cette originalité dont Chostakovitch a fait preuve dans l’immense majorité de ses œuvres, le Concerto n°1 est écrit dans l’esprit virtuose et ludique du divertimento classique, sous un masque caricatural, satirique et grimaçant. Il se distingue aussi par ses redoutables difficultés techniques. Les très doués du solfège remarqueront la construction de la partition autour de la signature musicale de son nom, DSCH (ré, mi bémol, do, si), selon la dénomination anglo-saxonne des notes de la gamme, procédé qu’il réutilisera à nouveau plus tard.
Dés les premières mesures de l’Allegro, le soliste prend la main et la conservera tout au long du mouvement, qui n’est peut-être pas tout à fait « la marche humoristique » dont parlait le compositeur mais l’ostinato du violoncelle renforcé par un orchestre tourbillonnant a tout du bourdonnement irritant de guêpes, éveillant les répliques du seul cor. La berceuse nostalgique du Moderato évolue de la pudeur au pathétique pour s’effacer dans un dialogue violoncelle / célesta. Expression de réactions affectives ou ironiques, parfois proche du burlesque, profonde méditation, nostalgique et angoissée, la Cadenza, confiée au seul violoncelle, exploite toutes les possibilités expressives et techniques de l’instrument. Elle mène au Rondo, regroupant des éléments des précédents mouvements et finissant sur la marche initiale. C’est bien une des œuvres les plus brillantes du répertoire pour violoncelle et orchestre.
Le Concerto n°1 constitue la première œuvre de Chostakovitch enregistrée aux Etats-Unis en sa présence, et c’est en même temps le premier compositeur soviétique à avoir assisté à l’enregistrement d’un de ses propres ouvrages sur le sol américain, supervisant même son déroulement.
Il faudra attendre le 7 décembre pour l’écoute de ce monument symphonique que représente la Huitième en ut mineur, op. 65 dont voici quelques mots :
- Adagio 27’
- Allegretto 6’
- Allegro non troppo 6’
- Largo 10’
- Allegretto 15’
Elle est dédiée au chef d’orchestre Evguéni Mravinski.
Elle fut créée à Moscou le 8 novembre 1943 sous la direction de son dédicataire.
Œuvre aux dimensions énormes, cette gigantesque fresque fut écrite en 40 jours. Quand le compositeur s’asseyait pour écrire une symphonie, elle était déjà terminée dans sa tête. Il ne faisait qu’écrire une partition déjà composée. La Huitième sera la terrible illustration musicale des temps d’horreur absolue que furent l’agression nazie et le stalinisme.
« Chaque symphonie de Chostakovitch est une époque et ses symphonies sont l’histoire de notre pays, l’histoire de l’Union soviétique et l’histoire de la Russie, ou plus précisément leur histoire exprimée sur le plan de la perception et de l’émotion. Le cycle correspond à des stations de notre vie. » Ainsi, témoignait M. Rostropovitch au sujet de la complicité qui s’était instaurée entre le compositeur et le public russe qui guettait, à chaque création, le message du musicien devenu chroniqueur de son temps, avec à chaque fois des prises de risque qui pouvaient se révéler fatales.
« J’ai voulu recréer le climat intérieur de l’être humain assourdi par le gigantesque marteau de la guerre. J’ai cherché à relater ses angoisses, ses souffrances, son courage et sa joie. Tous ces états psychiques ont acquis une netteté particulière, éclairés par le brasier de la guerre. » D. Chostakovitch, au sujet de cette Huitième, son « poème de la souffrance ».
Comme la Septième Symphonie, composée pendant le siège de Léningrad sous les bombardements de l’armée allemande, la Huitième appartient aux années de guerre. Son climax et ses accents ne pouvaient que s’en ressentir. Le compositeur est réfugié à Moscou. Il suit avec anxiété et peur, les événements de la bataille de Stalingrad, l’une des plus meurtrières de l’Histoire, six mois au bout desquels l’Armée rouge finira par reprendre l’avantage. Le régime soviétique attend alors de son musicien une sorte d’ode victorieuse à la gloire de l’armée et du peuple vainqueur. Ce sera tout le contraire. Amertume et désolation transpirent tout au long d’une œuvre de plus d’une heure, sans concession aucune. Si l’espoir est là, le fil est bien ténu.
« …On a le cœur serré dans l’adagio initial, en écoutant cette mélodie glacée des violons, qui se développent lentement, à l’infini. Peu à peu, la plainte désolée se change, à travers les déplorations de l’harmonie et les battements des tambours, en un vent de panique traversé d’étonnants relents de musique de foire pour retomber, par un solo de cor anglais, dans la tristesse initiale. Le scherzo, grimaçant et caricatural, emporté dans un mouvement tragique, précède une image symbolique, quasi dantesque, de la guerre, sous la forme d’une toccata, sorte des laminoirs des corps et des cœurs, mouvement perpétuel parsemés de cris d’horreur. L’œuvre se recueille en une passacaille, large et souterraine, sur laquelle s’enroulent des broderies de bois, d’où, peu à peu l’espérance va renaître en des visions idylliques encore timides, qui disent que, malgré l’horreur, la joie, un jour, pourra étreindre encore les hommes. » Jacques Longchamp – 1er février 1969.
Cette analyse correspond bien au discours nécessaire donné à sa création pour en permettre l’exécution en public, mais c’est une pure absurdité intentionnelle, dixit, le chef Kurt Sanderling : « Ce ne sont pas les horreurs de la guerre, mais les horreurs de la vie qui sont le fond de cette symphonie, la vie d’un intellectuel dans les conditions qui régnaient à cette époque. Quant au Finale, Chostakovitch veut davantage évoquer un engloutissement dans l’éternité du néant par lassitude, plutôt que la foi dans la vie éternelle. » Prokofiev avait bien deviné les intentions du compositeur, ne se gênant pas pour ajouter sa voix pour que fut mise finalement à l’index cette œuvre « contre-révolutionnaire et anti-soviétique », « qui insiste beaucoup trop sur les aspects sombres et tragiques de la réalité » et fait montre « d’un pessimisme invétéré. » Aux critiques officielles qui accablèrent cette symphonie, un seul poète, Ilya Ehrenbourg, prit le risque de s’y opposer : « J’étais bouleversé en revenant du concert ; j’avais entendu soudain la voix du chœur antique des tragédies grecques…la musique possède l’immense avantage de pouvoir tout dire sans rien mentionner. » Vous avez plus d’une heure pour vous forger une opinion !!
Mis à part Chostakovitch, vous aurez quand même aussi le 22, les Variations « Enigma » d’Edward Elgar, ce qui n’est pas rien, et le 7, c’est le jeune pianiste Lucas Debargue dont le nom brille au firmament des nouvelles stars du clavier depuis son passage plus que remarqué au XVè concours Tchaïkovski, Lucas Debargue qui interprètera le Concerto pour piano et orchestre n°1 de Franz Liszt. Deux soirées essentielles à la Halle.
Billetterie en ligne de l’Orchestre du Capitole