Archives consultées, autant dire que le chef-d’œuvre reconnu de Vincenzo Bellini ne brille pas par sa fréquentation de la scène du Théâtre du Capitole. Plutôt rare. Il aura fallu attendre quarante années pour le voir resurgir, grâce à la volonté de notre directeur artistique Christophe Ghristi, et ce, en ouverture de saison.
Ce sera dans une nouvelle production, entièrement toulousaine, et pour huit représentations assurées par deux distributions sur quinze jours du 26 septembre au 10 octobre. Pour mener à bien le tout, c’est le chef d’orchestre Giampaolo Bisanti qui en est le responsable. On peut signaler qu’il passe par Toulouse entre deux productions, Traviata et Macbeth au Wiener Staatoper, rien que ça, et qu’il dirige jusqu’à présent essentiellement des opéras italiens. Une “pointure“, comme on dit. Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole, avec, c’est à remarquer, les bois par deux. À signaler d’emblée, l’importance des chœurs dans cet ouvrage, Chœur du Capitole préparé par leur Directeur, Alfonso Caiani. Norma est en effet essentiellement un opéra à caractère choral, combiné avec des soli, et dans lequel les grands airs lyriques, à commencer par le plus important, le Casta diva, se trouvent soutenus par un accompagnement choral et orchestral aux sonorités d’un moelleux et d’une richesse extrêmes. Le fameux Casta diva, la mélodie de l’opéra baroque romantique sûrement la plus enregistrée au monde, que Bellini reprit huit fois avant de s’en déclarer satisfait.
Pour le côté théâtre, c’est entre les mains d’Anne Delblée et toute son équipe réunie. Femme de théâtre à part entière, Anne Delbée est à la fois comédienne, metteur en scène, directrice de compagnie et pédagogue, et écrivaine. Elle a signé la mise en scène d’une cinquantaine de spectacles pour le théâtre et l’opéra. On retiendra : La Traviata de Verdi, Don Giovanni de Mozart… Les Brigands de Schiller, L’Aiglon de Rostand, Othello de Shakespeare, Phèdre de Racine, Suréna de Corneille, Hernani de Hugo.
« Dans Norma, où le poème atteint la grandeur tragique des anciens Grecs, les formes strictes de l’opéra italien, que Bellini anoblit et élève à la fois, donnent du relief au caractère solennel et grandiose de l’ensemble ; toutes les passions qui sont ainsi singulièrement transfigurées par son chant profitent d’un fond majestueux sur lequel elles n’errent pas incertaines mais se dessinent en un tableau grand et clair qui fait penser involontairement à Gluck et à Spontini. » Richard Wagner.
De son compositeur, Vincenzo Bellini, le natif de Catane en Sicile en 1801, le créateur de ces « longues, longues mélodies », son ouvrage lyrique le plus renommé donc, Norma, fut écrit à l’intention de plusieurs chanteurs célèbres du moment, dont le nom et l’art s’auréolent encore aujourd’hui d’un prestige fabuleux. Pour cette raison, avec d’autres productions, ils connurent une grande vogue en Europe pendant le siècle dernier, époque qualifiée « d’Âge d’or de l’opéra ». Peu à peu, ils perdirent les faveurs du public à mesure que l’art du bel canto déclinait, cet art du beau chant, cela va sans dire, et non de la belle voix !! Mais, Norma n’est pas qu’un opéra pour chanteuses, c’est aussi une œuvre au dramatisme accomplie, une réussite aussi bien dans l’écriture du livret que côté partition pour un orchestre d’opéra. Une de ses plus grandes interprètes du rôle-phare la résumait ainsi : « Cet opéra qui renferme tant d’amour ne saurait être donné avec légèreté. Il doit être chanté et joué avec fanatisme, exécuté par les chœurs et surtout par l’orchestre avec déférence, dirigé avec autorité, et chaque mesure devrait recevoir l’hommage qui lui est dû. »
Dans ce rôle incontournable et écrasant de Norma, nous aurons les sopranos Marina Rebeka et Klára Kolonits. C’est la relève, après tant de gloires du chant qui se sont “attelé“ à ce monument avec plus ou moins de réussite. Dans celui d’Adalgisa, elles seront confrontées respectivement à Karine Deshayes et Ilseyar Khayrullova, mezzo-sopranos. Deux ténors aussi pour Pollione, Martin Mühle et Airam Hernández, ce dernier apprécié dans le dernier Alfredo ici même. On remarquera que l’exigence vocale pour ces ténors n’est pas des plus aisées. Enfin, pour Oroveso, deux barytons-basses, Bálint Szabó et Julien Véronèse, ce dernier apprécié ici dans Lucrèce Borgia. Un seul confident pour Pollione, dans le rôle de Flavio, une valeur montante du chant lyrique, le ténor toulousain François Almuzara. Une seule nourrice aussi pour les enfants de Norma, Clotilde, rôle confié à la soprano Andreea Soare, impressionnante la saison passée dans un récital et dans Melisande de l’Ariane et Barbe-Bleue.
Richard Wagner qui n’était pas un grand admirateur de la musique italienne faisait une exception pour cet ouvrage. On sait qu’il le dirigea à Riga en 1837 à l’âge de 24 ans : « N’ayons pas honte d’être transportés par la noblesse et le charme de cette mélodie ; n’ayons pas honte de verser des larmes d’émotion en l’écoutant. Ce n’est pas un crime que de croire en cette musique ! le public est persuadé que je déteste toute l’École Italienne et particulièrement Bellini. Non, non, mille fois non ! Bellini est un de mes compositeurs préférés, parce que sa musique touche infiniment et qu’elle épouse parfaitement le texte. » et par ailleurs : « J’admire en Norma l’inspiration mélodique, unie avec la plus profonde réalité à la passion la plus intime ; une grande partition qui parle au cœur, le travail d’un génie. » Osons affirmer que c’est bien l’unité, à la fois de ligne et de sentiment, jointe à la sublimation de l’émotion qui est le trait caractéristique des mélodies chantantes de Bellini.
Si on laisse pour l’instant de côté en quel lieu se situe l’action –nous sommes aux temps primitifs de la Gaule – le drame principal se noue bien autour de ces passions amoureuses qui semblent pour certaines induire indubitablement la Tragédie. Terreur et pitié, ces deux passions particulières, sont bien au rendez-vous chez le spectateur, ce en quoi, cet opéra rejoint bien Aristote dans sa Poétique, sur sa définition du côté tragique ou non d’une pièce de théâtre. Mais, l’amour ne serait-il donc qu’aliénation, de l’un comme de l’autre ? On comprend mieux alors que toute transposition éventuelle peut devenir d’une grande facilité. Ce qui ne signifie pas, réussite assurée. Pour résumer l’argument au plus simple, il faut bien qu’un proconsul romain, l’envahisseur, Pollione, ténor, tombe amoureux d’une habitante de la Gaule, une héroïne aux allures mythologiques, Norma, soprano, qui plus est une druidesse, grande-prêtresse du chêne d’Irminsul et, mieux que ça, inspiration heureuse du librettiste, elle est aussi fille du grand-prêtre des Gaules, Oroveso, basse. Il y a même deux enfants, cachés bien sûr, nés de cet amour inavouable et inavoué. Trahie par son amour, elle est traitresse devant son peuple, mentant à ses fidèles.
Cela se complique un peu avec ce romain qui est un “bourreau des cœurs“ puisqu’il délaisse son premier amour, pris sous le charme d’une autre druidesse plus jeune, Adalgisa, mezzo-soprano, qu’il veut absolument ramener à Rome, et épouser. Celle-ci va hélas se confier, mais ne frappe pas à la bonne porte puisque c’est à la délaissée qu’elle livre son histoire d’amour. Colère, fureur jalouse, haine puis réconciliation, apaisement, tous ces rebondissements sont l’occasion pour un compositeur très inspiré d’écrire des pages inouïes de beau chant, ce “bel canto“ dont Bellini semble être l’un des plus grands maîtres puisque cet opéra est qualifié de sommet de cette forme d’art lyrique. Mais, Norma est une tragédie et donc, finit mal. Norma a fauté et doit payer. Elle a, ni le courage de tuer ses enfants, ni celui de livrer sa rivale. Il ne lui reste plus qu’à se dénoncer et est ainsi vouée au bûcher, après avoir négocié la vie de ses enfants auprès de son père. Norma n’est pas Médée. Elle est rejointe dans les flammes par Pollione, revenu enfin à de meilleurs sentiments, mais qui n’a pas d’autre échappatoire. Adalgisa est épargnée.
Les pages les plus abouties, celles traduisant les principales passions tragiques, seront pour Norma, voix dite de grand soprano colorature dramatique sombre, aussi bien dans les arias, seule, que dans des ensembles époustouflants. Norma est bien LE rôle des rôles, sans doute l’Isolde de l’opéra italien, auquel rêve toute chanteuse en possédant la tessiture, une tessiture bien difficile à définir d’ailleurs, carrément impossible même. Aucune, alors, n’a su lui résister.
Appendice : Certains font la remarque que beaucoup d’opéras du bel canto comportent des éléments patriotiques, d’ailleurs souvent déguisés pour éviter toute censure. L’Italie, qui n’est pas encore l’Italie que nous connaissons, est en partie sous domination autrichienne et deux des quatre fiefs de l’opéra étaient des villes de la province autrichienne à savoir, Milan et Venise. Province aux multiples lieux de représentations. En 1871, il a été dénombré dans tout ce qui va constituer la future Italie, 940 théâtres lyriques dans 699 communes !! Norma est bien l’un des premiers opéras à connotation patriotique dont la création eut lieu à Milan, à la Scala, le 26 décembre 1831. Vincenzo Bellini est alors, à l’apogée de sa renommée.
L’action de l’opéra se déroule alors dans la Gaule occupée par les Romains. Le drame illustre un épisode de la résistance gauloise. Cela peut être un rappel évident de la situation de cette partie de l’Italie placée sous domination autrichienne. Les Romains représenteraient donc les ennemis autrichiens, ce qui peut permettre une transposition osée mais il y a eu pire ! Le librettiste Felice Romani aurait donc trouvé le moyen d’abuser les censeurs et de détourner leurs pièges. L’action s’oriente bien, principalement vers la revendication de la liberté et de l’unité, un sujet qui ne pouvait que flatter les nationalistes agissants. Et la fin du deuxième acte comporte un appel rugissant du chœur, le fameux Guerra, guerra, futur hymne secret du Risorgimento, et élément déclenchant le 10 janvier 1859, à la Scala de Milan, de violentes réactions antiautrichiennes, environ deux ans avant la création du Royaume d’Italie.
Sachons que « le théâtre représente la forêt sacrée des druides. » Les valeureux légionnaires romains qui ne redoutaient aucun peuple si sauvage et si féroce fut-il, perdaient leur courage à la vue de la forêt gauloise, ces Gaules que l’on disait alors chevelues tant les forêts y étaient épaisses et drues. Ainsi le chêne d’Irminsul qui occupe le milieu de la scène les terrifie. D’autant qu’au pied de l’arbre on voit une pierre druidique servant d’autel……
Ceux qui voudront en savoir plus iront consulter du côté des Borusses !! Tout cela pour dire qu’une Norma sans l’expression de ce règne végétal, ou l’absence de faucille d’or, ou de feuilles de verveine, ou de la lune n’est plus Norma !
Michel Grialou
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Norma • Vincenzo Bellini
du 26 septembre 2019 au 10 octobre 2019
Crédits photos
Giampaolo Bisanti © Laila Pozzo • Anne Delbée © Emmanuel Orain • Marina Rebeka © Jānis Deinats • Karine Deshayes © Aymeric Giraudel • Martin Muehle © Simon Pauly • Klára Kolonits © Ariel Woytynowska • Airam Hernández © Dik Nicolai • Choeur du Capitole et Alfonso Caiani © Patrice Nin • Andreea Soare © Jean-Pierre Ronnay