« Hop ! Hop ! » s’écrie le satanique et fascinant Mephisto. Le vendredi 22 février à 20h, à la Halle, l’Orchestre National du Capitole interprète, La Damnation de Faust d’Hector Berlioz, ouvrage dirigé par son chef, Tugan Sokhiev, et ce, en version concert. C’est le premier événement de ce festival qui en comportera une vingtaine, entre cette date et la clôture le 16 mars.
Pour les détails des différentes manifestations, vous consulterez les articles de Serge Chauzy et Nicolas Coulaud sur ce même site.
Il doit exister une sympathie particulière entre la musique de Berlioz et le sentiment intime des Russes. (Le prince Odoievsky en 1847)
Quelques mots en explication du choix de l’œuvre d’abord et de celui de la version concert ensuite.
Les relations musicales franco-russes ne datent pas d’hier. Elles commencent par le long séjour que fit François Boieldieu (1803-1811) en tant que directeur de la musique à Saint-Petersbourg et vont se poursuivre justement par les tournées que Berlioz fit en 1847 puis en 1867. Sortant juste des échecs de La Damnation à l’Opéra-Comique, c’est Balzac qui lui conseille la Russie. Il part le 14 février, fauché, pour un long et épuisant voyage à travers l’Europe enneigée (en train jusqu’à Berlin, les premiers trains !! puis en chaise de poste jusqu’à la frontière russe, enfin en traîneau jusqu’à Saint-Pétersbourg) – on ne peut mesurer qu’avec difficultés ce que pouvait être les conditions d’un déplacement pareil – Berlioz est accueilli comme une sorte de messie.
N’oublions pas qu’il a dédié sa Symphonie fantastique à Nicolas Ier, son œuvre de toutes les jeunesses et de toutes les audaces, en hommage à l’un des tsars les plus autocrates que la Russie n’aura jamais connus. Il est vrai que notre compositeur n’est pas un grand admirateur des régimes parlementaires. Ce premier voyage en Russie, Berlioz le qualifiera de petit “miracle“ le sauvant de la ruine définitive. 1847, la musique russe telle que nous l’entendons, en est à ses premiers balbutiements. Jusqu’au XVIIIè, on joue en effet de la musique italienne et française. La musique russe, considérée comme étant de mauvais goût, était rigoureusement proscrite dans les cours. Il faudra attendre Pierre le Grand, « j’ai besoin de percer une fenêtre sur l’Europe » dit-il, et un décret de 1722 qui va l’autoriser à nouveau. Auparavant, sous le tsar Alexis, la musique sous toutes ses formes, aura été sauvé grâce aux idées plus avancées de sa seconde épouse, et à la persévérance d’un boyard éclairé, Matvéiev. Apparaît alors Glinka, contemporain de notre Hector, qui sera parmi les premiers à revendiquer l’héritage artistique et historique de son pays. Berlioz, lui, lors de six concerts, dirige, défend sa musique, entre autres, l’intégrale de Romeo et Juliette, les deux parties initiales de La Damnation, à Saint-Pétersbourg ainsi qu’un à Moscou, la “mezzo-asiatique“, rencontrant partout le succès et aussi une certaine princesse Sayn-Wittgenstein, véritable mécène, qui le soutiendra jusqu’en 1867. En un mot, si tout va mal à Paris, tout va bien en Russie, pour quelques mois car il faut rentrer.
Lors de son deuxième voyage, Hector Berlioz est un homme vieilli. Il lui reste deux années à vivre, hantées par l’ennui, ayant dû supporter les représentations tronquées de son chef d’œuvre Les Troyens et venant de subir le choc le plus cruel de sa vie : la mort de son unique fils, Louis. Après avoir refusé une offre mirobolante du facteur de pianos Steinway pour venir à New-York, il fuit Paris et accepte l’invitation de la Grande Duchesse Elena Pavlovna, rencontrée lors de la nouvelle Exposition Universelle de 1867 à Paris, et qui l’aurait hébergé ( ?) lors de son premier voyage en 1847 dans son palais (elle est alors la belle-sœur du tsar). Elle l’invite à donner plusieurs concerts à Saint-Pétersbourg. Il jouit maintenant d’une célébrité importante et de jeunes musiciens russes, notamment Balakirev et César Cui, deux futurs membres du fameux Groupe des Cinq, entièrement dévoués à sa musique, réclament sa présence. On retrouvera, dans les dernières lettres reçues par Berlioz, l’intense admiration qu’ils lui vouent, le suppliant de poursuivre sa carrière musicale. Mais ce voyage donnera également à Berlioz l’occasion de faire entendre au public russe la musique de Beethoven et de Gluck, qu’il vénère et qui est encore peu connue là-bas. Le froid et la neige achèveront de l’épuiser.
« Mais c’est pour la scène que Berlioz a écrit la Damnation ! Veuillez jeter un œil sur la partition ou le livret, et vous verrez que cette œuvre colossale n’a été faite que pour le théâtre. Pas un détail n’y est omis, tout y est prévu. » C’est ainsi que le metteur en scène et compositeur Raoul Gunsbourg, alors directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, défendait sa tentative de mettre pour la première fois La Damnation de Faust en scène comme n’importe quel opéra du répertoire courant. Mais on était alors en 1893, et d’aucuns auraient pu rétorquer à Gunsbourg que s’il avait fallu attendre cinquante ans pour que cette « Légende dramatique » monte sur les planches, c’est peut-être qu’on redoutait qu’elle n’y fut pas à l’aise !!
Avant de devenir l’une de ses œuvres les plus populaires et les plus jouées, La Damnation de Faust tomba à plat ce soir glacial du 6 décembre 1846, où le public parisien resta frileusement chez lui. Pas mieux le 20 décembre. Ce fut un véritable désastre financier pour Berlioz, qui avait tout misé sur le succès de son œuvre nouvelle. Il mourra en 1869, désespérant qu’elle puisse revivre. Soudain, en 1877, elle va ressusciter. Grâce, au début, à un certain Edouard Colonne, chef d’orchestre, les fameux Concerts Colonne, elle va connaître pendant plus de cinquante ans, une vogue triomphale.
Plus d’un siècle après cette création scénique tardive, le statut exact de La Damnation de Faust reste discuté. Oratorio profane génialement dramatisé, ou opéra trop statique ? En fait, l’œuvre appartient aux deux genres à la fois. En consultant la liste des Huit scènes de Faust mises en musique par Hector Berlioz dès 1829, on est déjà confronté à une suite d’épisodes contemplatifs presque dépourvus d’action : « Chant de la fête de Pâques », « Paysans sous les tilleuls », « Concert de sylphes », « Ecot de joyeux compagnons », « Chanson de la puce », « Ballade du roi de Thulé », « Romance de Marguerite », Sérénade de Méphistophélès ». Peut-on parler de scènes dramatiques, ou bien ne songerait-on pas davantage à une succession de gravures de genre, telles les lithographies qu’Eugène Delacroix consacrait au mythe de Faust à la même époque ? On peut penser aussi que l’œuvre est elle-même de nature voyageuse puisqu’elle fut composée lors d’un périple que Berlioz fit en Europe centrale, l’emmenant des plaines de Hongrie à Leipzig, du cabinet du docteur Faust à la chambre de Marguerite, de l’enfer au paradis.
Dans la mouture définitive de La Damnation, de 17 ans postérieure, on retrouve ces pièces intégrées dans un projet beaucoup plus vaste. Mais de son embryon initial, cette « Légende dramatique » a gardé un certain statisme, encore accusé par des transitions trop abruptes, voire inexistantes. Exposant beaucoup, donnant à penser mais racontant peu, cette esthétique du tableau vivant, n’a pu que rendre durablement atypique la carrière dramatique de l’œuvre.
Sur scène, La Damnation de Faust révèle finalement plus d’analogies formelles avec un opéra-ballet du XVIIIè siècle français qu’avec un drame romantique à part entière. Souligner ce hiatus n’est sans doute pas la meilleure façon de servir une partition dont les épanchements visionnaires s’épanouissent infiniment mieux au concert.
C’est pourquoi on retrouve l’ouvrage si fréquemment donné en version concert et si peu sur scène. Pour diriger et mener à bien ces épanchements visionnaires, quoi de mieux que la baguette du chef d’orchestre Tugan Sokhiev. Ce fut une réussite il y a peu. Son retour à l’affiche nous comble, les places de concert seront âprement disputées.
L’œuvre est répartie en quatre parties, d’ampleur d’ailleurs fort inégale. La deuxième, en effet la plus longue, dure le triple de la première, et l’entracte se situe généralement après elle. Ce sont, non moins de vingt scènes, parfois constituées de plusieurs “numéros“ musicaux, ceci sans compter les récitatifs et dialogues de liaison. Tous ces morceaux sont donc relativement brefs, ce qui en fait bien un oratorio profane.
La distribution pour cette version concert : cliquez ici
Billetterie en Ligne de l’Orchestre National du Capitole
Orchestre National du Capitole
Tugan Sokhiev (direction)
vendredi 22 février 2019 à 20h00 • Halle aux Grains