« La Passion Van Gogh » de Dorota Kobiela et Hugh Welchman est au programme de la 10ème édition du festival Kinopolska dédié à la jeune production cinématographique polonaise, du 6 au 8 avril, au cinéma ABC.
Le talent et l’inventivité des artistes polonais en matière d’animation ne sont plus à prouver. « La Passion Van Gogh » de Dorota Kobiela et Hugh Welchman en est encore l’une des manifestations les plus enthousiasmantes. Cette production polono-britannique sortie à l’automne 2017 et programmée ces jours-ci dans le cadre du festival Kinopolska, rend un hommage émouvant au peintre hollandais par son parti pris esthétique inédit. En effet, le film entier est une peinture à l’huile à la manière de Vincent van Gogh, réalisée à la main par une équipe de 90 artistes peintres et dessinateurs et animée et retouchée numériquement. Les protagonistes et les décors s’incarnent ainsi à l’écran comme si les tableaux prenaient vie. Le film reproduit la matière, la palette (jaune, bleu, vert, violet, orange) et les mouvements du pinceau, restituant le plus souvent à l’identique des tableaux connus – plus d’une centaine au total – des lieux et des personnes que l’artiste à l’oreille coupée fréquenta et peignit. Ce sont des acteurs en chair et en os qui prêtent leurs traits aux personnages, d’après leur ressemblance avec les originaux portraiturés par van Gogh en son temps. Parmi eux : Armand Roulin. Ce dernier est le héros d’un scénario s’appuyant sur la correspondance prolixe (plus de 600 lettres) entre les frères Vincent et Théo van Gogh. Armand Roulin, beau jeune homme bagarreur et un peu désœuvré est au centre d’une intrigue se déroulant en 1891, un an après le suicide du peintre. Il est mandaté par son père, le célèbre facteur arlésien Joseph Roulin, afin de remettre à Théo van Gogh la dernière lettre de son frère. Peu convaincu du bien-fondé de sa mission et jaloux de l’affection que porte son père à l’artiste, Armand Roulin prend toutefois la route pour Paris puis Auvers-sur-Oise, sur les traces de l’ami de son père qui ignore que Théo ne survécut que six mois à Vincent. Une route qui prendra la forme d’une enquête sur les circonstances de la mort du peintre – son suicide fait ici l’objet d’une remise en question – et d’une quête initiatique à la rencontre de lui-même.
Le titre anglais original « Loving Vincent » est d’ailleurs beaucoup plus fidèle à l’esprit du film de Dorota Kobiela de Hugh Welchman. L’entourage de l’artiste maudit que sera amené à croiser sur sa route Armand Roulin composera à son tour un tableau vivant, contrasté et extrêmement touchant de van Gogh : le Père Tanguy, marchand de couleur parisien, le très ambigu docteur Gachet, sa fille Marguerite dont était épris le peintre, la fille de l’aubergiste d’Auvers, Adeline Ravoux, chez qui il acheva sa triste vie, le batelier de l’Oise, le gendarme Rigaumon, etc. Bien que le film pèche par trop d’académisme dans sa mise en scène et pâtit de lourdeurs didactiques dans son scénario, il touche à la grâce par l’onirisme et l’émotion artistique pure qu’il produit et par sa capacité à restituer l’immense solitude et complexe d’inutilité dont souffrait le peintre néerlandais. Enfant mal aimé, invisible aux yeux de ses parents, il devint cet homme coupable d’exister, mal à l’aise avec les femmes, mis au banc de la société de l’époque qui considérait comme un déséquilibré celui qui consacrait ses journées à peindre seul au milieu de la nature. Le film rend compte aussi de son sentiment de culpabilité vis-à-vis de son frère Théo, marchand d’art convaincu du talent de son aîné qui, le premier, le poussa à prendre un pinceau et lui procura ses fournitures jusqu’à la fin de sa vie. Un carton à la fin du film rappelle que Vincent van Gogh ne vendit de son vivant qu’une seule toile sur les 800 qu’il produisit et que le célèbre tableau Le docteur Paul Gachet se vendit en 1990… à 82 millions de dollars !
Si les acteurs apparaissent à l’écran dans des couleurs expressionnistes et fauves, leur jeu n’en n’est pas moins naturaliste : dans ce casting majoritairement britannique et irlandais, le Polonais Robert Gulaczyk qui interprète Vincent van Gogh impose une présence d’une intensité inouïe. Le regard habité par une mélancolie et un désarroi profond, chacune de ses apparitions bouleverse. Quant à Armand Roulin incarné par le jeune Douglas Booth, aux traits physiques empreints de sensualité, il fait figure du candide, ému comme nous, face au destin tragique de Vincent van Gogh dont le mystère reste à jamais entier.
Sarah Authesserre
« La Passion Van Gogh », vendredi 6 avril à 19h, dans le cadre du Festival KINOPOLSKA du 6 au 8 avril, au cinéma ABC, 13, rue Saint-Bernard (05 61 21 20 46, abc-toulouse.fr)