Piano aux Jacobins est bien l’une des meilleures preuves que la musique est indissociable de la respiration culturelle de Toulouse. C’est la trente-huitième édition de cette manifestation sans thème particulier, hormis celui de l’écoute d’une palette très vaste des différents styles de l’interprétation pianistique, du classique au jazz en passant par le baroque jusqu’au contemporain.
Elle se déroule du 6 au 29 septembre inclus et ce, tout en prêtant l’oreille, si l’on peut dire, à l’évolution des goûts d’un public toujours présent et d’une grande fidélité, fidélité indispensable et “chouchoutée“ au fil des ans.
Une écoute qui a lieu, pour la grande majorité des concerts, dans le cadre magnifique s’il en est, et ô combien chargé d’histoire, du Cloître des Jacobins. Quatre à cinq cents “fidèles“ se pressent dans la Salle Capitulaire vieille de plus de sept siècles pendant que le piano trône sur une estrade dans une chapelle attenante plus petite. Les galeries du Cloître aussi ancien ont été refaites et terminées il y a une quarantaine d’années seulement et peuvent accueillir une autre partie du public. Avec précaution, le jardin peut être investi par quelques chaises les soirs de grande affluence. Fini le temps pas si lointain où il servait de cour de récréation aux collégiens tout proches de l’établissement Pierre de Fermat. Le reste se répartit entre divers établissements de l’agglomération : Halle aux Grains, Auditorium Saint-Pierre des Cuisines, Escale à Tournefeuille, Altigone à Saint-Orens, Le Rex, Le Connexion.
Les deux complices, Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan sont très attachés à l’un des principes fondateurs, à savoir, l’affiche se doit de mêler toujours de jeunes artistes à des figures emblématiques du clavier. Ainsi, cette année avons nous deux phares, que dis-je deux phares d’Alexandrie au rendez-vous avec Elizabeth Leonskaja et Nicholas Angelich, la première ouvre la série des concerts au Cloître le 6 septembre pendant que son acolyte clôture le Festival, toujours au Cloître, le vendredi 29 septembre. Faut-il présenter ces deux monuments, et leur programme ? Non ! A part que notre pianiste surnommée « la dernière grande Dame de l’Ecole soviétique » va se plonger corps et âme dans Franz Schubert tandis que notre franco-américain donne dans le “lourd“, débutant par du Bach / Busoni pour poursuivre avec Beethoven, et Brahms et enfin Prokofiev. Un programme d’acier. En passant, le vendredi 22, ce sera une gloire du clavier qui retrouve Toulouse au Cloître, le russe Arcadi Volodos dont les qualités paraissant au départ antinomiques forment au contraire un mélange captivant.
Les liens privilégiés que Piano aux Jacobins a su tisser sans faillir avec les artistes sont bien l’une des clés de son succès. Ils sont invités, et ils ne demandent qu’à revenir. Ainsi, pour les habitués du Cloître, des noms comme les précédents auxquels on peut ajouter maintenant François Dumont sonnent bien à leurs oreilles. On retrouve ainsi avec bonheur ces pianistes qui montrent ici leur fidélité au public du festival.
Attentives aux talents en devenir, ces rencontres musicales se doivent de réserver une place de choix à des artistes de la nouvelle génération. Les mélomanes découvriront des nouveaux, et cette année, ils sont nombreux. Chacun dans un programme captivant, très diversifié leur permettant de montrer l’éventail de toutes leurs qualités. Remarquons Juliana Steinbach, pianiste d’origine brésilienne et dont le parcours l’a conduite en France en passant par la Julliard School et qui arrive au Cloître avec un programme 100% français, puisque 100% Claude Debussy et ses Préludes.
Une autre pianiste, Simone Dinnerstein revient cinq ans plus tard au Cloître avec un voyage musical original puisque nous voguerons entre les deux rives occupées par Franz Schubert et Philip Glass. Original, n’est-ce pas ? le récital se termine tout de même par un morceau de choix, la D 960 de Schubert.
Piano aux Jacobins s’étend depuis plusieurs années dans la cité, présentant ses 23 concerts dans plusieurs autres sites comme l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines et ses quatre dates, dont l’une est occupée par cette création originale, un double concert si l’on peut dire donné le 25 septembre :Tandis que François Dumont donnera un récital Bach dans le Cloître, le danseur et sportif de haut-niveau Pierre Rigal réalisera lui-même à l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines une chorégraphie sur le même programme précédemment enregistré sur Disklavier par François Dumont. Ce sera la première fois que ce dispositif hautement perfectionné de reproduction du jeu d’un pianiste apparaîtra lors du Festival.
Mariam Batsashvili, Benedek Horvath, Florian Noack seront au rendez-vous les autres dates. Comme Jean-Baptiste Fonlupt à l’Escale à Tournefeuille, Kamilè Zaveckaitè à l’Altigone à Saint-Orens, ou, événement cette année, avec une Carte blanche Jazz donnée au Rex à Fred Nardin, ce jeune leader et sideman très sollicité ou encore, au Connexion, Laurent Coulondre et son fidèle partenaire Martin Wangermée dans un programme intitulé comme le titre de son album Gravity Zero, couronné d’un Choc de Jazz Magazine.
La Halle aux Grains est présente aussi avec le concert d’ouverture de la saison de l’Orchestre du Capitole, le mercredi 20. Ce partenariat nous donne comme soirée le Concerto pour piano et orchestre n°3 en ut mineur de Beethoven. Le soliste est donc Elisabeth Leonskaja et bien sûr, Tugan Sokhiev à la direction. Le concerto sera suivi de la Symphonie n°9 en mi bémol majeur de Chostakovitch.
Halle aux Grains toujours avec l’Inclassable artiste, le dénommé Chilly Gonzales, le pianiste aux charentaises, le brouilleur de pistes et touche à tout, de la pop à l’électro en passant par le hip-hop et le rap. Où on ne l’attend pas, on le trouve. D’ailleurs, en 2005 Piano aux Jacobins a été l’un des tous premiers festivals classiques français à le recevoir. « Sur scène, je peux être burlesque afin d’attirer l’attention du public et l’amener à la musique », expliquait Gonzales dans une interview au Monde. La dégaine, improbable, est relativement éloignée de celle de tout artiste devant un clavier de concert dit traditionnel. « Je suis convaincu que si j’ai quelque chose à offrir au plus grand nombre en passant par plusieurs formes, c’est mon « génie » musical».
Enfin, comme chaque année, un plasticien reconnu est invité à illustrer le livre-programme, véritable objet d’art au service de l’événement, et réalisé avec un maximum d’attentions, devenant un collector. Il s’agit cette fois de l’Américain Matt Bollinger, diplômé de la Yale University School of Art en 2002 (Norfolk Summer Session) puis, en 2003, du Kansas City Art Institute (B.F.A. Painting/Creative Writing Valedictorian) et, enfin en 2007, de la Rhode Island School of Design (M.F.A. with Honors, Painting Major) et de Brown University (Sheridan Center Teaching Certificate). La lumière est au cœur de l’œuvre de Matt Bollinger, que ce soit par le dessin, la pratique très prisée du collage ou la peinture.
Ainsi, grâce à ce festival qui occupe tout le mois de septembre, la rentrée semble plus douce à tous ceux qui veulent partager de superbes moments de musique, oublier les premiers soucis de l’automne, faire le plein d’émotions auditives mais aussi visuelles. Et sans restriction car jeunes et étudiants bénéficient de conditions tarifaires très privilégiées qui ne peuvent que les encourager à partager.
Petit coup d’œil dans le rétroviseur : Piano Jacobins se doit de repousser les frontières. C’est pourquoi le treizième Festival : Piano aux Jacobins en Asie fut capable de présenter 19 concerts en Chine, Vietnam et Japon du 5 mai au 10 juin 2017. Les chinois sont fans de jazz. Baptiste Trotignon, Thomas Enhco, ont pu assouvir leur désir tandis que François Dumont, Alexia Mouza, Jean-Baptiste Fonlupt, Dana Ciocarlie donnaient des récitals avec des programmes dits plus classiques.
Michel Grialou
Festival International Piano aux Jacobins
Réservations par téléphone : 05 61 22 40 05
Mail : contact@pianojacobins.com
Piano aux Jacobins © Jean-Claude Meauxsoone
Arcadi Volodos © Marco Borggreve
Simone Dinnerstein © Lisa-Marie Mazzucco
Juliana Steinbach © Balázs Böröcz / Pilvax Studio