Il y a des courts-métrages qui vous marquent. « Perrault, La Fontaine, mon cul ! » en fait partie, avec cet acteur, Daniel Vannet. Je me souviens avoir cherché les autres films où il avait joué après l’avoir vu. Aucun. Puis son retour avec « Ich bin eine Tata », avec la même équipe : Marielle Gautier déjà au générique rejoignait Ludovic et Zoran Boukherma et Hugo P. Thomas à la réalisation. Alors quand j’ai découvert que ces cinq-là étaient de nouveau réunis pour « Willy 1er », leur premier long-métrage, il a été le film que j’attendais le plus. S’il n’est jamais bon de mettre trop d’attentes dans un film, il est par contre fort bon de constater que les réalisateurs restent fidèles à leur univers, tout en se renouvelant, pour leur premier pas avec ce long.
« Willy 1er » est un film inspiré de la vie de l’acteur principal, Daniel Vannet, un adulte qui a découvert après avoir travaillé 20 ans qu’il était payé à mi-temps alors qu’il faisait un temps plein. La raison ? son illettrisme. Il veut alors apprendre à lire et changer « À Aulnoye j’irai ; un appartement, j’en aurai un ; un scooter, j’en aurai un ; des copains, j’en aurai et je vous emmerde ! ». Cette phrase qu’il a prononcée devient le fil conducteur du film – Caudebec remplaçant Aulnoye – des étapes de l’émancipation de Willy, personnage de cette fiction qui décide de partir de chez ses parents à la mort de son frère jumeau de 50 ans.
Marielle Gautier, Ludovic et Zoran Boukherma et Hugo P. Thomas continuent après leurs courts de filmer Daniel au plus intime, la solitude, et des solitudes à deux qui se croisent, sans que le film soit creux ou vide, sans ennui. Ils n’hésitent pas à montrer la violence sociale envers ceux qui ne sont pas dans la norme, sans en faire un film glauque ou sombre. La violence des petites villes (scène des boutons au PMU), la violence verbale (homophobie quotidienne avec l’autre Willy, joué par Romain Léger) et la violence physique. Si Daniel Vannet est ce qu’on appelle au cinéma « une tronche », le regard des quatre réalisateurs à son égard est toujours bienveillant, sans apitoiement, ce qui autorise aussi de le filmer violentant sa curatrice Catherine, impeccable Noémie Lvovsky, seule actrice professionnelle du film.
De la violence et cette cruauté, donnant des scènes purement dramatiques, « Willy 1er » réussit à insuffler une réelle tendresse dans cette épopée vers une intégration sociale, une vie « normale » en résumé. Nul besoin d’aller loin pour trouver un héros ordinaire, sans super pouvoir, si ce n’est son courage et sa persévérance. Et puis, comme dans leurs courts-métrages, les touches d’humour font mouche. Le gag de la photo (que je ne vous dévoile pas) est juste la scène la plus drôle vue cette année en salles. « Willy 1er » fut donc légitimement présenté en compétition au 5e FIFIGROT (Festival International du FIlm GROlandais de Toulouse) et pour la première fois de sa courte histoire, le jury présidé par Pierre Etaix et le public le couronnèrent chacun d’un prix.
Durant ce 5e FIFIGROT, j’ai eu la chance de rencontrer deux des quatre réalisateurs du film, Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma, ainsi que l’acteur principal Daniel Vannet.
Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Ludovic Boukherma : J’ai 24 ans, j’ai fait un lycée option théâtre, filière littéraire, suivi d’études d’anglais, donc rien à voir avec le cinéma, a priori, mais j’écris avec Zoran des films depuis que j’ai 18-19 ans. On a fait des petits films tous les deux ensemble, avant de rencontrer Hugo et Marielle avec qui on a fait des courts-métrages sur et avec Daniel, puis le projet de « Willy 1er ».
Zoran Boukherma : Je suis le frère jumeau de Ludovic, j’ai fait un lycée avec option théâtre, puis un an de fac d’anglais à Paris 7, puis l’école de Luc Besson, en scénario, pendant deux ans. Et cela fait deux ans que j’en suis sorti.
Daniel Vannet : Je suis l’acteur principal du film « Willy 1er ». Je n’ai pas fait d’études (rires). Ils m’ont contacté après un passage sur France2 pour un premier court-métrage « Perrault, La Fontaine, mon cul ! ». Puis j’ai fait avec eux « Ich bin eine Tata », un autre court-métrage, et là « Willy 1er » qui est un long-métrage, qui n’était pas facile à faire. On a eu un petit peu des merdes, mais on y est arrivé quand même !
Le personnage étant inspiré de la vie de Daniel, a-t-il participé à la phase d’écriture du scénario ?
Ludovic : Pendant l’écriture, on a contacté Daniel et ses proches pour qu’ils nous racontent des anecdotes sur sa vie, et on a écrit une fiction sur son parcours à partir de cette matière-là : quelqu’un qui s’émancipe tard, qui découvre la vie à 50 ans. Daniel n’a pas lu le scénario fini, et on ne lui a pas donné pendant le tournage. On lui a raconté un peu l’histoire d’un bout à l’autre, et au jour le jour on lui expliquait les séquences.
À propos « Ich bin eine Tata » Hugo dit « le fait d’avoir peu de temps stimule la créativité » et Marielle « tourner quelque chose qui n’est pas figé permet d’ajouter des idées ». Le tournage de ce premier long a-t-il autorisé des libertés par rapport au scénario ?
Zoran : En plus des pans d’intrigues qu’on a dû couper car ils ne marchaient pas au tournage, on savait au moment de l’écriture qu’il y aurait un espace de liberté pour les comédiens. C’est aussi pour cette raison qu’on a pris des comédiens non-professionnels, pour qu’ils apportent leur façon d’être. On savait que toutes les répliques de Daniel ne seraient pas dites au mot près, qu’il amènerait de ce qu’il est au personnage. Pour les séances de bar, même si on les avaient écrites, on s’est beaucoup adapté aux comédiens : à partir de la situation qu’on leur décrivait, ils improvisaient. Le texte n’est pas restitué exactement. Une liberté qu’on a prise concerne le second Willy, qui était à la base homosexuel, mais pas transformiste.
Ludovic : La séquence où il chante Zaz n’était ni écrite, ni tournée. C’est au montage qu’on s’est rendu compte qu’il manquait une scène avant qu’ils aillent au stade. On avait été voir Romain Léger qui interprète l’autre Willy, qui est transformiste, et sur scène reprend Zaz. On est retourné en Normandie en équipe archi-réduite, juste Zoran, Hugo, Marielle et moi et on a fait cette scène où le personnage est transformiste, avec zéro lumière, zéro matériel.
Comment t’es-tu préparé pour jouer dans ton premier long-métrage ?
Daniel : Pour devenir acteur, normalement, faut faire des études, ce qui n’est pas mon cas… mais bon, ça ne fait rien ! Quand je vois mon film, je me dis que je ne suis pas aussi bête que ça puisque j’ai réussi à faire ce tournage. Fin novembre je suis venu les rejoindre, on a commencé à tourner le 7 décembre, on a fini le 2 février. On a refait des choses après, pour boucler le film. Même si ce n’est pas facile de partir de chez moi pendant 2 mois et demi, c’était génial pour moi de faire ce film.
Daniel, te considères-tu comme un acteur professionnel ou non ?
Daniel : Je pense que maintenant je peux dire que je suis un acteur professionnel. Sur les trois films que j’ai faits, je pense que ça a marché, car tout le monde me parle de « Willy 1er », en me disant que je suis bien dedans. Même des copains me demandent « comment ça se fait que tu sois acteur maintenant ? ». Alors que pour moi, j’ai fait ce qu’il y avait à faire.
Tu étais déjà formidable dans les deux courts-métrages.
Daniel : Oui, c’est vrai (rires de tout le monde). Il y a un déclic qui s’est fait, j’ai eu un prix pour « Perrault ».
Et vous les réalisateurs, considérez-vous Daniel comme un acteur professionnel ou pas ?
Ludovic : On peut dire que c’est un acteur qui s’ignorait car tous les non-professionnels ne peuvent pas forcément jouer comme Daniel. Sur les court-métrages, on s’est rendu compte d’une chose : à partir du moment où on lui explique une situation et qu’il comprend les enjeux de la séquence, il est capable de restituer une émotion, même s’il ne la connaît pas dans la vie. Il est capable de s’énerver, d’être touchant tout de suite, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Quoi qu’on lui demande, il est juste. Après, les méthodes qu’on utilise sont différentes de celles qu’on emploierait avec des acteurs professionnels. Premièrement, on ne lui fait pas lire le texte, il improvise à partir de situations qu’on lui décrit. Sa capacité à improviser est assez exceptionnelle. La seconde chose est qu’on lui donne parfois une oreillette. Ça nous permet de lui parler sans embêter les autres comédiens, et il rebondit sur ce qu’on lui dit, s’il ne sait plus quoi dire par exemple, ou d’aller dans une autre direction. Daniel n’est vraiment pas un acteur professionnel même s’il est juste, il arrive à tout jouer sur commande.
Zoran : Mais on peut aussi considérer que c’est un acteur professionnel, car il peut aussi aller au delà de ce qu’on lui demande. Certes il est intimement lié au personnage, mais il joue, il s’amuse aussi beaucoup avec la caméra. Il fait des propositions aussi.
Et travailler avec Noémie Lvovsky, qui est une actrice et une réalisatrice confirmée.
Zoran : L’interaction qui se faisait entre elle et Daniel était très intéressante. Elle jouait beaucoup avec lui, donc leurs scènes fonctionnaient très bien. Alors qu’elle a l’habitude de jouer avec un texte, un scénario, des méthodes plus classiques que la nôtre. Elle s’est prêtée à notre façon de travailler : elle a lu le scénario, mais n’avait pas de texte mot pour mot. Elle a donc fait des improvisations avec Daniel.
Daniel : Ça a été génial de tourner avec elle. Elle avait l’air de bien m’aimer, le courant est bien passé dès qu’elle est arrivée.
Un mot sur la scène où tu la violentes ?
Daniel : Quand j’ai commencé à me battre avec elle, je ne voulais pas lui faire de mal, ça c’est sûr (rires) mais elle a eu quand même un petit coquard sur le coin de l’œil le lendemain. Moi j’avais aussi un petit coquard aussi de l’autre côté, on était pareils (rires).
La scène où tu te bagarres avec l’autre Willy dans le supermarché a dû être plus facile à faire…
Daniel : Oui. Je ne le poussais pas à fond, car il y avait les rayons qui ne tenaient pas très bien, et j’avais mal à la hanche. Je n’aurais pas eu ça, j’aurais été plus violent que ça (rires).
Marielle et Hugo jouent dans les deux courts-métrages. Avez-vous hésité à jouer dans « Willy 1er » ?
Ludovic : Non parce qu’il n’y avait pas vraiment de rôles qui s’y prêtaient. On ne se considère pas du tout comédien. Je suis très très mauvais acteur alors ce serait la catastrophe.
Zoran : Nos courts-métrages sont faits avec nos moyens à nous. On était obligé de mettre la main à la pâte alors c’était bien pratique. On n’avait personne pour jouer alors on jouait nous-mêmes. Dans « Perrault », l’actrice qui devait jouer la prof s’est décommandée alors on a fait jouer Marielle qui est actrice à la base.
La scène la plus dure à tourner ?
Daniel : (silence) je ne sais pas quoi vous…. ah si, au stade ! On a tourné au stade pendant deux jours, de 5 heures du soir à 4 heures et demi du matin. Il gelait à pierre fendre. Si on voulait mettre la viande au congélateur, on pouvait la laisser à côté de nous. On m’a dit « tu te mets comme ça » alors je l’ai fait. On est resté une heure et demi sans bouger, je commençais à avoir les orteils gelés, mais on avait des petits cabanons où on pouvait se chauffer. On n’a pas eu tellement de flotte durant le tournage, mais le froid sur le stade, je m’en souviendrai !
Ludovic : La séquence quand les potes font du scooter devant le PMU était assez dure à gérer car il y a beaucoup d’acteurs à qui on venait juste d’expliquer la scène, ils n’avaient pas forcément tous bien en tête ce qu’ils devaient faire. On devait la tourner en un seul soir. On a dû la découper en trois fois. Le premier soir, le scooter ne démarrait plus. On l’a refaite deux jours plus tard. Et Marielle, Hugo, Zoran et moi y sommes revenus après le tournage car il nous manquait des plans des figures qu’ils font. C’est une scène assez clé dans le film, où Daniel se bat avec l’autre Willy. La bagarre a été tournée en deux fois aussi car Daniel avait mal à sa jambe. On venait déjà le faire se battre avec Noémie. On l’a fait beaucoup se battre en fait dans ce film (rires de tous).
Zoran : La scène qui pour moi a été la plus dure à tourner a été coupée au montage. La scène où Daniel se bat dans la cuisine de Noémie devait initialement se passer en voiture. Noémie conduisait avec Daniel à côté, et ils s’engueulaient, Noémie se garait sur le bas côté, Daniel pétait un câble, la frappait avant de sortir. C’était notre premier tournage en voiture. Trop de choses à gérer à la fois : le trajet de la voiture, le jeu des acteurs, le fait qu’on soit quatre réalisateurs et qu’on ne puissent pas être ensemble dans la voiture, la communication avec des talkies-walkies où on n’avait accès qu’au son. Le dispositif était tellement impressionnant que Daniel était un peu tétanisé, donc c’était dur pour lui de sortir son texte. C’est une scène clé et quand on a eu fini de la tourner à trois heures du matin, on savait qu’on ne l’avait pas.
Ludovic : On a fait une réunion d’urgence, tous les quatre, et on a dit à la première assistante qu’on devait la refaire le lendemain, mais dans la cuisine pour que ce soit plus simple. On n’a même plus donné le texte à Noémie, on a réécrit une trame de scène le matin même sur la table du décor. Ça a été super de suite. On a fait quatre prises, qu’on a mélangé au montage.
Qui a eu l’idée du gag avec la photo ?
Zoran : Nos parents inversaient nos photos sur nos carnets de correspondance. En 3e, ça me soûlait d’avoir la tête de Ludovic sur mon carnet. On est parti de là, et on a poussé le concept plus loin pour le film.
Combien de temps ont pris l’écriture, le tournage et le montage ?
Ludovic : À la base, on pensait qu’on autoproduirait le film. On est parti tous les quatre en Normandie pour écrire le film dans le camping du père de Marielle, dans un mobil-home. On avait fait « Ich bin eine Tata » en 48 heures et sur le même principe, on a écrit le long-métrage en se donnant une semaine. On a fait des réunions d’écriture de 8h du matin jusqu’à minuit. Ensuite, on a rencontré le producteur. On a un peu réécrit, pour revenir finalement à la version initiale, donc on peut dire qu’on a écrit le scénario en une semaine. On a tourné en 7 semaines, ce qui est plutôt pas mal pour un petit film comme le nôtre, et on l’a monté très rapidement, en 3 mois. Tout s’est fait super vite pour ce film : on a signé le contrat avec le producteur en janvier 2015 et on a tourné en décembre.
Le leitmotiv du film sont les vraies paroles de Daniel, sauf la ville. Pourquoi avoir changé ?
Ludovic : À la base on aurait aimé tourner dans le Nord, la région. C’est la région de Normandie qui nous a subventionnés, qui nous a vraiment beaucoup aidés. Elle nous a permis de faire le film alors on y a transposé notre intrigue On a donné un nom de ville normande.
L’idée de la voix-off de Daniel était-elle présente dès l’écriture ?
Ludovic : Non, c’est venu après au montage. On avait monté une première version sans voix-off qui était scène pour scène le scénario, et il y avait plein de choses qui ne fonctionnaient pas. Il a fallu trouver une autre écriture et la voix-off nous a permis de la trouver. Comme on a écrit le film en allant à la pêche aux informations au téléphone avec Daniel et ses proches, on a mis un filtre sur la voix-off pour donner l’impression qu’elle sorte d’un téléphone.
C’était combien de temps après le tournage ?
Zoran : On l’a fait quasiment en dernier. On avait une voix-off qui était vraiment écrite, on essayait de lui faire raconter des passages, de faire parler Daniel, sinon on faisait du mot pour mot. On lui disait une phrase, on lui faisait répéter des dizaines de fois jusqu’à que ce soit juste et on a tout assemblé comme un puzzle. C’était assez difficile à faire pour que ça fonctionne.
Daniel : Je suis venu deux fois à Paris pour ça. J’ai dit oui, je voulais y aller. J’arrivais le matin, je repartais le soir. Mais il y a eu le problème du train qui m’a foutu en l’air. Je suis arrivé en retard à Paris car il n’y avait pas eu de train, j’ai dû prendre un bus. J’y étais deux jours avec eux, dans une cabine qui devait être fermée. Tout à été fait sur place. C’était assez difficile mais on a répété, répété, répété, et j’ai parlé normalement.
Première fois que vous travaillez avec des trucages, pour le double et le fantôme. Pour un premier long, vous ne vous ménagez pas…
Ludovic : L’effet de mettre deux Daniel côte-à-côte est assez facile. On fait un plan fixe, il est sur la gauche, puis il est sur la droite et on mélange les deux images. C’est plus dur quand ils se parlent, il faut un super timing pour qu’ils se répondent au bon moment, qu’ils aient les bonnes réactions par rapport à l’autre. On filmait Daniel seul avec Marielle en face de lui, et elle lui faisait des gestes pour qu’il dise sa réplique au bon moment. Une fois fait, on repassait la séance sur un écran, et on la filmait avec un téléphone portable. Daniel jouait alors son frère jumeau, de l’autre côté, et nous on regardait la vidéo et on lui disait « top » quand il devait dire sa réplique. Au début du tournage, on a fait la scène de la véranda, et une fois montée on a vu que ça ne marchait pas : ils se parlaient mais ne se regardaient pas dans les yeux. On a dû la refaire. Pour le fantôme, c’est le même procédé sauf qu’il y a un côté de l’image à 50 % d’opacité.
Zoran : Ce qui était difficile, c’est que l’on n’avait pas de directeur des effets spéciaux, on a tout fait nous-mêmes, c’était du bricolage. Toutes ces scènes, on ne savait si elles allaient marcher ou non, on naviguait à vue.
Bien joué l’école Luc Besson…
Ludovic : Ah ah. D’ailleurs au scénario, on avait prévu de faire des plans en mouvement avec Daniel et le fantôme mais on s’est rendu compte que ce n’était pas du tout possible avec le dispositif qu’on avait.
Comment c’était de jouer les deux rôles ?
Daniel : Ce n’était pas facile parce qu’il fallait mettre et retirer les lunettes, Willy n’en a pas, Michel si. On me mettait des bouts de tétine dans mon nez pour l’élargir et le faire grossir. Changer de personnage comme ça 10 fois, 20 fois, faut remettre ça, faut l’enlever… À un moment je perdais les pédales parce que je ne savais même plus comment je devais être. Je demandais si je devais garder les accessoires, on me répondait « Non, enlève-les ! ». Jouer les deux rôles n’a pas été facile pour moi, mais on ne peut pas penser qu’à soi, y a les autres aussi. Il faut dire que j’ai eu 4 réalisateurs avec moi qui étaient supers.
Dans vos trois films on retrouve l’idée du travestissement, même si pour ce film, ce n’était donc pas prévu au scénario, comme vous venez de le dire…
Zoran : C’est une idée qui nous plaît visuellement. En général, on aime bien parler de ce qui est un peu marginal ou considéré comme tel. Après c’est plus esthétique, on ne revendique pas de cause. Dans « Perrault », on voulait que le père et le fils aient une activité ensemble. Jouer au foot était un peu cliché. On a eu cette idée du travestissement, qui est moins cliché (rires), on aime bien jouer avec ce côté borderline. On peut penser que c’est bizarre mais on voit que c’est leur façon de s’amuser, sans jugement de valeur. Dans « Ich bin », là c’était clairement le personnage qui était homosexuel -il n’y a pas de rapport entre l’homosexualité et le transformisme évidemment- mais quitte à traiter de la différence, autant le faire frontalement et d’avoir Daniel avec une perruque. C’était quelque chose d’assez cru et qui nous plaisait.
Commencer avec deux courts-métrages où tu dois te travestir…
Daniel : Sur le coup ça m’a fait un petit peu peur mais après j’ai pris ça à la rigolade. C’était marrant la perruque avec la boucle d’oreille. Après j’ai fait la danse, ce n’était pas une robe, c’était un rideau de douche (rires). On n’avait pas de robe pour moi, alors on a pris un rideau chez les parents d’Hugo. Ce n’était même pas fermé du tout dans le dos, c’est pour ça que je ne bouge pas trop et que je ne tourne pas à la fin de la chorégraphie.
La solitude est aussi un thème commun à vous trois films. Vous réussissez à filmer des gens seuls, mais à deux.
Zoran : On essaie de montrer comment des gens différents peuvent être seuls dans une société dans laquelle ils ne sont pas forcément adaptés. Tu as raison pour la solitude à deux : dans « Perrault », c’est un père et son fils qui sont seuls, et à la fin, le père reste seul. Dans « Ich bin », c’est un père de famille qui se ressent seul malgré le fait qu’il soit père de famille, et il rencontre une autre personne seule elle aussi dans le parking. Et dans « Willy 1er », la scène dans le stade est aussi la rencontre de deux solitudes.
D’autres thèmes ou images reviennent. Dans « Perrault » et « Willy 1er », ce sont l’appareil respiratoire, le suicide, la chanson kitschouille et des ralentis. Dans « Ich bin » et « Willy 1er », y a la comparaison France/Allemagne, et taper sur Souchon-Voulzy (rires de tous)
Ludovic : L’appareil respiratoire ou le suicide sont des thèmes qui sont liés à lui. Vu que nos films s’inspirent de lui, automatiquement, on les remet dans nos films. « Perrault » et « Ich bin » ont été un terrain d’expérimentation où on a découvert une façon de faire des films qu’on a ensuite développer dans le long-métrage.
Zoran : On ne voulait pas faire un reportage ou un documentaire sur la vie de Daniel. Souvent quand on filme ce genre de personnage, on peut tomber dans un truc trop naturaliste. On avait envie que Willy soit un vrai héros de cinéma. On a donc utilisé des procédés très cinématographiques comme les ralentis et la musique kitschouille, pour sortir du côté documentaire, pour éviter qu’on nous dise d’avoir fait un documentaire sur la vie de Daniel. Et pour Souchon Voulzy, c’est complètement gratuit (rires de tous). Ils font partie des chanteurs qu’on aime bien, et on trouve rigolo de taper dessus.
Au cinéma, Daniel fait partie de ceux qui ont « une tronche ». Je n’ai jamais douté que vous le respectiez, comme dans les films de Kerven et Delépine, on rit « avec » et pas « de », ce qui n’est pas le sentiment que j’ai eu devant « P’tit Quinquin » de Bruno Dumont.
Ludovic : Merci, c’était notre but. C’est aussi assez peu admis qu’on puisse faire de la comédie, où des scènes où on peut railler certains aspects des personnages comme celui de Willy. On peut se moquer des bourgeois, des gens qui sont beaux et qui ont tout, mais on trouve dommage qu’on ne puisse pas rire de certains travers de personnes comme Daniel, ou des classes populaires dont on est issues. La meilleure façon de respecter tout le monde est de ne pas les ménager. Donc on n’a pas peur de les filmer, de faire du drame qui contrebalance la comédie. On trouve qu’il y a une condescendance à ne faire que du drame avec ces gens-là.
Une question à la distributrice : comment ce film trouve le chemin des salles ?
Zoé de UFO : On a vu le film une fois qu’il a été sélectionné par l’ACID qui sélectionne souvent des films sans distributeur. Ils nous ont envoyé un DVD, on choisit à plusieurs et il y a eu un « Oui » général. C’est exactement la ligne qu’on a, les films qu’on défend. On a été très touché par le personnage de Daniel, ça a été très vite, on a signé le film juste avant Cannes.
Une remarque sur le fait qu’« Ich bin eine Tata » ait été remontré sur Arte dans le cycle LGBTI ?
Zoran : Ça nous a fait très plaisir. À la base, il a été fait en 48 heures, sans aucune volonté de notre part de militer. Après si ça peut toucher et servir à une cause, tant mieux.
Ludovic : Après c’est un peu risqué le travestissement parce qu’on peut l’interpréter comme des clichés sur les homosexuels qui se travestissent. Pour nous il n’y a aucune généralité, il y a quelque chose qu’on trouve beau et hyper touchant dans l’idée qu’il ne s’assume pas et se travestisse la nuit. Ça nous amusait un peu aussi de prendre le contre-pied des films comme « Laurence Anyways » de Dolan, qui montrent des gens beaux qui se travestissent, avec un résultat assez gracieux, avec Daniel qui n’est pas un éphèbe, ça nous intéresse. On aime bien prendre des images qui peuvent être gênantes, comme quelqu’un de normal, de 50 ans, un peu fort qui se travestit et proposer quelque chose de beau et poétique.
Vos projets ?
Zoran : On voulait vraiment raconter l’histoire de Daniel tous les quatre ensemble et après on savait qu’on ferait des choses différentes. Ludovic et moi venons de terminer l’écriture de notre second long qu’on veut tourner dans le Lot-et-Garonne où on a grandi. Le producteur est en train de lire le scénario, on attend son retour. C’est toujours dans l’univers de « Willy 1er », l’idée de filmer les classes populaires avec des acteurs non-professionnels, dont celui qui joue José dans « Willy 1er », le moustachu qui accueille Willy au début. C’est notre oncle en fait. Toujours le même univers, comédie sociale dramatique, mais pas que. Il y aura peut-être Daniel aussi mais dans un petit rôle. On a fait nos trois films avec lui, on aimerait prouver qu’on sait faire autre chose, les gens vont commencer à douter (rires). Hugo est dans l’écriture de son prochain long-métrage, et Marielle aussi de son côté.
Daniel, tes projets ? As-tu été contacté par d’autres réalisateurs ?
Daniel : Pour l’instant non. Comme projet pour l’instant je me retape, je me remets d’aplomb, je vais me reposer un petit peu et après on verra. Je vais continuer avec mon basket à Aulnoye et je vais retourner à l’association « Mots et merveilles » pour apprendre encore à lire comme il faut. Ça fait un bout de temps que je n’y ai pas été, j’en parlais hier à Caroll (la directrice de « Mots et merveilles »). J’aimerais bien reprendre ma lecture et mon écriture. Ça me manque . Quand vous êtes tout seul chez vous et que vous prenez un livre… je lis deux lignes et si je bute sur un mot, je le ferme et j’arrête. Je voudrais quelqu’un avec moi pour me suivre. Il y a des bénévoles qui sont avec moi.
« Willy 1er » de Hugo P. Thomas, Marielle Gautier, Ludovic et Zoran Boukherma, avec Daniel Vannet, Noémie Lvovsky et Romain Léger, en salles le 19 octobre.
Le making of du court-métrage « Perrault, La Fontaine, mon cul ! » est visible sur Arte ici.
Le court-métrage « Ich bin eine Tata » est visible ici, l’analyse et le décryptage avec ses quatre réalisateurs ici.