L’An I pour Sébastien Bournac
Il y est et nous y sommes. Sébastien Bournac a pris officiellement la direction du Théâtre Sorano pour les trois saisons qui viennent. Une nouvelle ère et un défi à relever pour redonner une âme à ce lieu historique, chéri de plusieurs générations d’amoureux du théâtre à Toulouse. Autant dire que la première saison programmée et voulue par le nouveau maître de céans doit être à la hauteur des espoirs qu’a fait naître sa nomination et donner le ton pour les années à venir. Avec une volonté affichée, « retrouver l’énergie d’un théâtre populaire d’aujourd’hui ». Dévoilée en juin dernier devant un public nombreux et attentif, la programmation proposée par Sébastien Bournac et son équipe est aussi copieuse que variée. De l’antique, du classique, du contemporain, du musical, de l’inattendu, de l’insolite, des jeunes et des moins jeunes…
Bournac et Piemme, les mariés de l’an I
À tout seigneur, tout honneur, le premier spectacle de la saison sera une création de Sébastien Bournac lui-même. Deuxième collaboration entre le metteur en scène toulousain et le dramaturge belge Jean-Marie Piemme à qui il a commandé le texte de J’espère qu’on se souviendra de moi, à voir du 6 au 14 octobre. Une pièce inspirée d’un fait divers et sept personnages, parents et proches d’un certain Carlos, tous secoués et perturbés par le crime qu’il a commis. Des témoignages, des interrogations, des angoisses et une réflexion sur les temps ô combien troublés et troublants qui sont les nôtres. Dans la distribution, on retrouvera avec plaisir des comédiens comme Séverine Astel et Régis Goudot.
On reverra Régis Goudot du 5 au 7 janvier aux côtés d’Ismaël Ruggiero pour la reprise de Dialogue d’un chien avec son maître, sur la nécessité de mordre ses amis, première mise en scène d’une pièce de Piemme par Bournac, déjà programmée la saison dernière au Sorano. Décor et ambiance crépusculaires pour cette fable contemporaine mordante, face à face entre un chien matois doué de la parole, imitant parfois un ancien (qui se voudrait futur…) président de la République, et un portier d’hôtel aigri et cynique. Dans Dialogue d’un chien avec son maître se confrontent deux êtres échoués à la périphérie d’une société de plus en plus désenchantée et anxiogène, avec son cortège d’injustices, la violence de ses rapports sociaux et sa classe politique déconsidérée. Il est encore permis d’en rire mais… cave canem !
Supernova, la carte jeune
Supernova : ensemble des phénomènes conséquents à l’explosion d’une étoile, s’accompagnant d’une augmentation brève mais fantastiquement grande de sa luminosité. Autre volonté de la nouvelle direction du Sorano, créer un temps fort de la saison dédié à la jeune création et au théâtre émergent. Donner la parole et le plateau à de jeunes artistes issus de la scène toulousaine et d’ailleurs. Intitulé Supernova, ce coup de projecteur s’étalera sur trois semaines entre le 2 et 19 novembre. Cinq spectacles s’enchaîneront durant cette période, pour deux représentations chacun, la première partie de soirée étant consacrée à la découverte de chantiers de création, de projets en cours d’autres jeunes compagnies.
Premier épisode de la série avec Timon/Titus les 2 et 3 novembre, une création du collectif OS’O mise en scène par David Czesienski. Titus Andronicus et Timon d’Athènes, deux pièces de Shakespeare en toile de fond pour cette histoire d’une famille qui se déchire au moment d’un héritage, et un thème central très actuel : la dette, ses conséquences et ses tourments en tout genre, financiers, pratiques, moraux, politiques…
La saison dernière, les jeunes de l’Atelier du TNT s’étaient inspirés de Masculin féminin de Godard. Au Sorano c’est une adaptation d’un autre film de la Nouvelle Vague, le Pauline à la plage d’Éric Rohmer, qui sera présentée les 4 et 5 novembre par le Collectif Colette. De jeunes comédiens formés à la Comédie Française revoient le marivaudage rohmérien plus de trente ans après son tournage. La scène a remplacé la plage et Arielle Dombasle n’est pas annoncée…
Le spectacle avait été créé en fin d’année dernière au Théâtre des Mazades, ADN sera repris au Sorano les 8 et 9 novembre. La pièce de Dennis Kelly met en scène une bande d’adolescents qui torturent à mort un de leurs camarades dans une forêt. Thèmes éternels du bouc-émissaire, du remords et de la culpabilité qui rongent sont au cœur de ce drame servi par d’excellents jeunes comédiens et par la scénographie inventive de Yohan Bret.
Des territoires (Nous sifflerons la Marseillaise), titre provocateur d’une pièce de Baptiste Amann à voir les 14 et 15 novembre. Encore une histoire d’héritage dans une fratrie qui découvre… les ossements de Condorcet dans le jardin de la maison des parents récemment décédés. Un événement incongru dans ces territoires dits « sensibles », gangrénés par la laideur urbaine et l’islamisme. Avec cette question lancinante : rester ou partir.
Les derniers feux de Supernova les 18 et 19 novembre seront pour Angels in America, pièce du grand dramaturge américain contemporain Tony Kushner mise en scène par Aurélie Van den Daele et interprétée par les comédiens du Deug Doen Group. Les destins croisés de plusieurs personnages dans le New-York des années 1980, l’apparition du sida, une société chancelante aux idéaux battus en brèche. Peinture tragi-comique d’une époque, point de départ d’une mutation du monde occidental toujours en cours aujourd’hui.
Des classiques à travers les âges et les formes
Et d’abord Shakespeare bien sûr ! Trois rendez-vous sont prévus avec le maître de Stratford-upon-Avon. Le premier du 14 au 17 mars avec la pièce Antoine et Cléopâtre dans la version très libre du metteur en scène et dramaturge portugais Tiago Rodrigues, directeur du Théâtre national de Lisbonne. Sur le plateau, les danseurs chorégraphes Sofia Dias et Vitor Roriz pour un ballet amoureux à deux voix. Un mois plus tard, du 19 au 22 avril, c’est une des plus cruelles tragédies shakespeariennes qui sera au centre d’un solo de David Ayala (excellent comédien à voir aussi au TNT cette saison).
Dans Macbeth (The Notes), un metteur en scène fait part aux spectateurs des notes qu’il a prises pendant une répétition de Macbeth, se prenant tellement au jeu qu’il va interpréter devant eux tous les rôles de la pièce. Un impressionnant numéro d’acteur et du théâtre non pas dans le théâtre mais sur le théâtre, ses mécanismes et sa mise en scène. Encore un spectacle inspiré d’une tragédie célèbre du grand dramaturge anglais du 9 au 12 mai, Othello, Variations pour trois acteurs créé par la Compagnie du Zieu. Le Maure de Venise et la belle Desdémone s’y marient toujours pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Dans les manipulations du fourbe Iago et l’utilisation de l’étranger Othello par l’État vénitien pour mener une intervention militaire à Chypre contre les Turcs, il n’est pas interdit de faire un parallèle avec une situation très actuelle. À voir.
Shakespeare invité, il y avait des chances pour que Molière soit de la partie aussi. Et s’il est un metteur en scène qui connaît le sujet, c’est bien Gwenaël Morin, connu et apprécié à Toulouse grâce au Théâtre Garonne qui l’a souvent programmé ces dernières années. Du 10 au 21 janvier, Les Molière de Vitez seront proposés par Gwenaël Morin et ses comédiens. Une reprise des quatre pièces montées simultanément par Antoine Vitez dans les années 1970 : L’École des Femmes, Tartuffe, Le Misanthrope et Dom Juan. Ici, ce sont les rouages de la formidable mécanique théâtrale de Molière qui seront exploités et mis en lumière, chaque pièce étant l’histoire d’une journée. Ni décor, ni effet, une distribution des rôles tirée au sort. Le théâtre à l’état brut.
Si Ionesco a beaucoup été joué les saisons précédentes à Toulouse, c’est surtout par le biais de sa Cantatrice chauve. On apprécie donc de voir Les Chaises au programme du Sorano du 6 au 8 décembre dans la version mise en scène par Bernard Lévy. Pour jouer ce vieux couple qui reçoit des invités imaginaires et dont on se demande s’il perd la boule ou s’il s’amuse pour tromper l’ennui et la mort qui le guette, un couple à la scène et à la ville, Emmanuelle Grangé et Thierry Bosc. Histoire de brouiller un peu plus les pistes.
Considérer des auteurs contemporains aussi différents qu’Edward Albee, Copi et Bernard-Marie Koltès comme des classiques est encore prématuré, quoique… Le premier, le seul à être encore de ce monde bien qu’étant l’aîné des trois, est surtout connu en France pour sa pièce Qui a peur de Virginia Woolf portée à l’écran avec le couple Elizabeth Taylor/Richard Burton dans des rôles qui n’étaient peut-être pas que de composition. Vous pourrez la découvrir au Sorano dans la mise en scène d’Alain Françon du 27 au 29 avril. L’occasion de revoir encore ce huis-clos étouffant et la longue dispute alcoolisée de Martha et Georges devant leurs amis. Un véritable remède à la vie de couple.
De son côté, la Toulousaine Isabelle Luccioni a jeté son dévolu sur Les Quatre jumelles, pièce de Copi programmée du 7 au 10 mars. Deux paires de sœurs jumelles, les unes braqueuses internationales camées, les autres chercheuses d’or, réunies quelque part en Alaska. Argent caché, planque en Suisse, lutte à mort sans fin, polar burlesque entre réel et fantastique où l’on retrouve les thèmes chers à l’auteur argentin : la mort, l’exil, la drogue, la solitude, et la rage de vivre et de rire, malgré tout. Si l’on a beaucoup vu récemment aussi à Toulouse les pièces de Koltès, La Nuit juste avant les forêts et Dans la solitude des champs de coton, la version de cette dernière donnée du 1er au 3 mars par le compositeur-metteur en scène Roland Auzet promet de détonner par rapport à tout ce qu’on a pu voir auparavant. Deux comédiennes pour interpréter le face-à-face feutré entre le Dealer et le Client, un dispositif scénique singulier, des spectateurs équipés de casques audio et au centre, la question du désir inexprimé et inexprimable… Mais que nous veulent donc Koltès et Roland Auzet avec cette histoire ?
Madame Bovary est un classique parmi les classiques de notre patrimoine littéraire, lu autant à l’étranger qu’en France. On ne s’étonnera donc pas que le Portugais Tiago Rodrigues (encore lui) se soit inspiré du chef d’œuvre de Flaubert pour la scène. Sobrement intitulée Bovary, sa pièce est au programme du Sorano du 24 novembre au 1er décembre. Nourrie du roman mais aussi du procès public pour immoralité qui suivit sa parution en 1857, ainsi que de la correspondance qu’entretint Flaubert avec son grand amour Elsa Schlésinger, la création de Rodrigues scrute la peur qu’inspirent l’art et les artistes à tous les pouvoirs depuis toujours.
Œuvre fondamentale et nourricière de toute la littérature occidentale, L’Iliade, ses 24 chants et ses plus de 15 000 vers sont une gageure à adapter sur scène. Raison de plus peut-être de relever le défi pour Pauline Bayle et ses cinq comédiens qui donneront leur version épurée de l’épopée d’Homère du 22 au 25 février. Accessoires réduits au strict minimum, décor minimaliste, on attend avec impatience de voir sur scène cette représentation de la guerre entre Grecs et Troyens, et les histoires d’Achille, Hélène, Andromaque, Hector et consorts…
Un peu de musique quand même
Il y aura de la musique au Sorano sous l’ère Bournac mais les mots des grands auteurs lui seront souvent associés. Eh oui, le texte, toujours le texte…
Dès le 18 octobre, l’auteur-compositeur-interprète Babx donnera un concert littéraire où il ne chantera pas ses textes mais ceux des poètes qu’il admire, Baudelaire, Rimbaud, Kerouac, Genet, Miron, Tom Waits… Norah Krief de retour au Sorano ! Après Les Sonnets de Shakespeare la saison dernière, c’est à une Revue Rouge que la chanteuse-comédienne et ses musiciens nous invitent du 14 au 16 décembre. Le titre du concert est assez explicite, des chants révolutionnaires et contestataires seront au programme, arrangés par les bons soins de la bande à Norah pour un concert qui s’annonce explosif. Encore de la chanson engagée, Les Grandes Bouches les 2 et 3 février en partenariat avec le festival Détours de Chant. Un spectacle musical avec un comédien, un guitariste et un batteur pour faire swinguer et chanter les 7 Grandes Bouches, celles du Politique, du Publicitaire, de l’Artiste, du Sportif, du Mass-Média, du Militaire et du Spéculateur, ces figures qui occupent tout l’espace d’expression de notre époque.
Le groupe anglais des Tiger Lillies donnera lui un concert unique le 25 mars. Créé en 1989 à Londres, ce trio inclassable est présenté comme « le chaînon manquant entre Tom Waits et les Monty Python », croisement entre cabaret brechtien, fusion punk, burlesque de slapstick et music-hall british. Rien que par curiosité, il faudra voir ça sur scène… Une curiosité qui en appellera une autre quelques jours après puisque du 29 au 31 mars, une bande de jeunes comédiens de la Comédie-Française investira le plateau du Sorano avec Comme une pierre qui…, autre spectacle musical sur la genèse du fameux Like a Rolling Stone de Bob Dylan. La création d’une chanson qui a bouleversé l’histoire du rock comme si vous y étiez.
Pour être tout à fait complet, il faut noter la date du 31 janvier et l’atypique Africaman Original, un spectacle du performer Qudus Onikeku pour une plongée dans le monde des danses noires d’Afrique, du Brésil et des États-Unis.
Bouquet final de la saison, OUT ! un banquet-spectacle sur les allées Jules Guesde les 18, 19 et 20 mai en collaboration avec le festival ARTO de Ramonville, avec de nombreuses réjouissances et des soirées danses et denses comme promet de l’être toute cette première programmation made in Bournac.
Le Sorano nouveau est arrivé, vive le Sorano !
35 allées Jules Guesde
31000 Toulouse
Tel : 05 32 09 32 35
Billetterie en ligne
Crédit Photos
Sébastien Bournac © Patrice Nin
Antoine et Cleopatre © Magda Bizarro
Angels in America © Marjolaine Moulin
Qui a peur de Virgina Woolf © Dunnara Meas
Macbeth © Patrick Berger
Dialogue d’un chien avec son maître © François Passerini
Revue rouge © Brigitte Enguerand
Tiger Lillies © Lukas Hueller
Timon Titus © Pierre Planchenault
Iliade © Pauline Le Goff
Comme une pierre qui… © Simon Gosselin
Babx © Julien Mignot