Rencontre avec Dany Laferrière / Rencontre avec Alain Mabankou
Je mêle ici en un compte-rendu unique ces deux rencontres distincts car elles ont des similitudes. Même lieu : la librairie Privat, prise d’assaut, 50 minutes avant la rencontre, la salle affiche complet ; 45 minutes avant, elle déborde. Ce qui me laisse le temps de faire connaissance avec ma voisine Marie-Paule, fidèle marathonienne qui vient découvrir Dany Laferrière. Les deux auteurs partagent leur parcours, du premier roman publié à leur entrée dans une institution : Collège de France pour Alain Mabankou, Académie Française pour Dany Laferrière.
Les deux utilisent le mot nègre. Les deux ont une finesse dans la formulation qui décroche irrésistiblement les rires : ce que le titre « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » devient « Comment faire l’amour avec un nègre c’est-pas-moi-qui-le-dit-c’est-l’auteur sans se fatiguer », « Comment faire l’amour avec un nègre sans le fatiguer », « Comment faire l’amour avec un nègre sans devenir noir », « How to make love », la participation de Dany Laferrière à une émission américaine « I don’t speak english, I don’t understand your question, but I have an answer ». Alain Mabankou raconte comment lui et ses amis pensaient que les livres rangés à la bibliothèque se lisaient obligatoirement par ordre alphabétique, et qu’un Zola en main épatait forcément les filles. Même quand il déclare qu’il ne peut plus aller au Congo depuis les propos qu’il a tenus sur le Président « si je prends l’avion aujourd’hui, vous allez faire des pétitions pour qu’on me libère… et je ne veux pas vous faire de la peine ».
« Ecrire quelque chose qui vienne du ventre », « faire voir par le trou de la serrure, de l’intime », « être écrivain, c’est une posture, avant même d’écrire » pour Dany Laferrière ; « être écrivain, c’est n’être jamais content de soi », « un écrivain est un adulte qui n’a jamais cessé d’être un enfant » pour Alain Mabankou. Au vrai et vraisemblance d’un roman, Dany Laferrière ajoute la notion de vivant : « les gens honnêtes ne font pas de bons écrivains », Alain Mabankou « Petit piment est un personnage réel, mais la fiction met en scène son histoire, l’écrivain choisit les coutures pour écrire une histoire que le lecteur prendra pour sienne ». Les deux se citent, sont amis, et ont un rendez-vous commun samedi au cloître de Jacobins à 11h pour « L’un et l’autre ».
Jacques Bonaffé lit « Petit piment » d’Alain Mabankou.
Véritable passeur, Mr Bonaffé donne une voix à Petit Piment, ainsi qu’aux autres membres de l’orphelinat, et à Maman Fiat 500, sous les yeux de l’auteur amusé. Le petit morceau de trompette fait son effet. Jacques Bonaffé était présent à la librairie pour la rencontre avec Alain Mabankou, à qui il laissera la parole en fin de lecture pour une explication de texte, ce qui est vrai, ce qui tient de l’autofiction.
Dany Laferrière lit « L’odeur du café » de lui-même.
Arrivant sous les applaudissements nourris, il commencera sa lecture par « j’ai intérêt à être bon maintenant ». Nous découvrons sa grand-mère Da, son mari, leurs 5 filles. La lecture est elle aussi ponctuait de commentaires, comme pour la présentation des gens « tout autour de ma grand-mère, les gens passaient, elle leur offrait du café. Elle savait tout ce qu’il se passait dans la ville, sans jamais bouger de sa place. C’est comme ça que j’ai appris à écrire : c’est quelqu’un qui raconte le monde qui bouge sans jamais bouger de sa chaise. La première qualité d’un écrivain n’est pas le talent, mais d’avoir des bonnes fesses ». La lecture se termine. Ça remue dans mon bidou, les yeux de Dany Laferrière brillent plus que d’habitude. On a droit à un rappel avec l’histoire de marchand de foin. Cette fois-ci, c’est la gorge de Dany qui se ressert, et laisse échapper un « pardon » quand l’émotion prime. Nous n’avons rien à lui pardonner, on est dans le même état. Cette lecture se finit pour de bon cette fois, je ne sais pas qui est le plus ému entre lui et nous. Que ça fait du bien d’être chamboulée !
Pierre Grillet lit « Madame rêve » accompagné par Benjamin Siksou.
Pierre Grillet est un homme de l’ombre dans la musique, il est parolier. « C’est la ouate », c’est lui. Et bien sûr « Madame rêve » qu’on découvrira avec la voix d’Alain Bashung. Pierre Grillet écrira un livre, sur sa muse, Natasha, grâce à qui il écrira ses chansons. De l’écriture de « Madame rêve », au refus d’être dans l’album « Novice » de Bashung, à l’annonce d’être dans son suivant « Osez Joséphine », découvrir qu’un couplet n’existe plus. Et puis, vient le moment de l’entendre. « Madame rêve » est l’exemple même de chanson que je peux relancer de suite, en boucle, même plusieurs fois de suite. J ‘en ai deux qui ont cette caractéristique, « Madame rêve » est l’une d’elle. Je l’ai toujours aimée, de suite. Aimée aussi et surtout avec la voix de Bashung. Benjamin Siksou l’a jouée et chantée magnifiquement. « Madame rêve » dans le Cloître des Jacobins, ça l’fait quand même ! La pluie s’est même invitée à ce moment précis du spectacle, sans le perturber, un accompagnement inattendu. « Les gens s’en foutent des paroles » quand elle sera utilisée pour la publicité pour le café fait sourire. La lecture continue sur la relation en pointillé entre Pierre Grillet et Natasha, avec d’autres chansons. Jacques Bonnaffé est même cité, pour une réplique dans « Prénom Carmen » Même si Pierre Grillet n’est pas totalement à l’aise avec l’exercice de la lecture – ce spectacle est une première -, le charme opère déjà.