Je viens de vivre, comme beaucoup de monde, l’une des semaines les plus étranges et bouleversantes de ma vie.
Même si je ne connaissais pas personnellement Charb, Cabu, Bernard Maris et tous les autres, ils faisaient partie de mon histoire, de mes références et jamais je n’aurais imaginé qu’une tragédie pareille puisse se dérouler ici, en France.
Passé la stupéfaction et l’incrédulité, c’est un profond chagrin qui m’a étreint. Pendant ces derniers jours, j’ai eu du mal à vivre le quotidien, à me concentrer, ne parlons même pas de plonger dans un livre ou un film, les mots Charlie Hebdo tournants sans interruption dans ma tête. Aujourd’hui, je suis retournée au cinéma. Pendant 1 h 47 mn, je n’ai plus été là, j’ai été happé, ça m’a fait du bien. Il se pourrait qu’à vous aussi.
Andrew entame sa première année dans un prestigieux conservatoire new – yorkais. Il ne vit que pour son instrument (la batterie) et le projet très concret de devenir un musicien qui marquera l’histoire du jazz. Pour cela, il est prêt à tout : ne pas compter les heures de répétitions qui laissent les doigts en sang, prendre part à la compétition féroce qui règne entre étudiants, nier toute vie sociale …
Quand Andrew est repéré par Terence Fletcher (l’un des professeurs les plus renommés de l’école), il comprend que ses efforts ne sont pas vains, qu’il commence à toucher du doigt son but ultime.
De la part de ce mentor génial à la méthode implacable, il va être capable de tout accepter. Même la pire tyrannie, même les plus odieuses pressions, même le rapport de force destructeur qui s’instaure.
Jusqu’à présent, lorsque je pensais jazz, j’y associais volubilité et improvisation (mais ça c’est sûrement la faute d’André Manoukian). J’étais loin d’en intégrer la rigueur militaire nécessaire à son apprentissage (la tension, le piétinement psychologique présents dans le long – métrage n’étant pas loin de rappeler certains passages de Full metal jacket).
C’est pourtant le parcours d’étudiant de Damien Chazielle, dont Whiplash est très largement inspiré. Le réalisateur reprend les éléments de son passage au conservatoire, pour lequel il le dit lui – même » je ressentais bien plus souvent de la peur. La peur de rater une mesure, de perdre le tempo. Et surtout, la peur de mon chef d’orchestre. «
C’est exactement ce que l’on retrouve dans la relation toxique d’Andrew et Fletcher, ce dernier ne reculant devant aucune brimade ni aucune cruauté pour que son élève donne le meilleur de lui – même.
Les scènes qui en résultent sont incroyablement denses et d’une beauté brute (mention plus que spéciale à une photo magnifique et un montage aussi dingue que les tempos qu’il souligne).
Les deux qui occupent le cœur de cette histoire n’y sont bien évidemment pas étrangers. On saluera la prestation de Miles Teller (qui, bien que jouant de la batterie depuis l’âge de 15 ans, a donné de sa personne pour se mettre au niveau) et celle de J.K Simmons (abject et destructeur mais foutrement impérial).
En allant voir Whiplash, vous vous enfoncerez dans un univers musical foisonnant (la richesse de la B.O est évidente), souvent raffiné mais aussi (et c’est peut – être là le plus surprenant) plein de rage, d’obstination, de sueur et de larmes.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio