Né en 1987 et diplômé de l’école des Beaux-arts de Toulouse, Rémi Groussin présente « Cuesta Verde » au Pavillon Blanc de Colomiers, une exposition personnelle dans le cadre du Festival international d’art de Toulouse. Entretien.
Qu’est-ce qui caractérise la «nouvelle scène artistique toulousaine formée ces dernières années à l’Isdat de Toulouse», école dont vous êtes issu ?
«Cette question est très intéressante car elle soulève mon désaccord avec cette nouvelle notion que certains tentent de faire valoir depuis quelques mois. Je sais que cette formulation figure dans le texte de présentation de l’exposition, mais je ne suis pas forcément en accord avec cette idée. Pour moi, il n’y a pas de scène émergente toulousaine, d’une part parce que je trouve que le terme de scène est totalement obsolète, et d’autre part il me semble que l’artiste n’a plus de territoire aujourd’hui. Dans mon travail, je tente de mettre à mal cette notion de rattachement à un territoire. C’est d’autant plus compréhensible que, depuis la fin de mes études, j’ai été plus souvent en résidence hors de Toulouse que dans cette ville. Ma dernière vidéo, « SL’ALOM », est née de cette réalité : l’artiste se déplace de plus en plus, et son travail avec. Dans ce film, j’utilise les moyens de déplacement liés au voyage (trains, avion, bateau), au parcours (télésiège) ou parfois au divertissement (manège à sensation ou toboggan) comme nouveau système de travelling. Cette vidéo propose un voyage déviant où les différents lieux que l’on observe ne sont plus du tout identifiables et perdent leur rapport à l’exotisme, à l’essence du voyage.»
«Je ne pourrais pas dire ce que serait cette supposée nouvelle scène toulousaine. Les artistes avec qui je travaille et qui composent mon entourage proche et familier ne sont pas du tout de la même génération et sont des gens qui déplacent leur travail. Au jour où l’artiste se montre beaucoup sur Internet, je ne comprends pas pourquoi on s’obstine à parler de scène locale. En revanche, j’aime énormément ma ville, Toulouse. Ce n’est pas pour rien que je reviens ici tout le temps. Mais j’aime justement Toulouse parce que je ne me sens pas enfermé dans une idée de scène. Pour moi il n’y a pas de nouvelle scène artistique toulousaine.»
Quelles œuvres seront présentées au Pavillon Blanc ?
«L’exposition « Cuesta Verde » est à comprendre en duologie. C’est une exposition en deux chapitres. Le premier au Pavillon Blanc de Colomiers, lors du Fiat, et le second à la villa Béatrix Enea d’Anglet, en octobre. Il y a l’idée de va-et-vient des pièces présentées qui vont se transformer et se dévoiler de manière différente. Je travaille sur ce projet depuis plus de quatre mois, et j’ai conçu la plupart des œuvres lors de ma dernière résidence artistique à Nekatoenea, sur le domaine d’Abbadia à Hendaye. Les œuvres seront donc toutes récentes, réalisées en 2014 et pensées totalement pour les deux lieux d’exposition. Au Pavillon Blanc, j’initie aussi des pièces in situ. Je tente d’instaurer une complexité de temporalité entre les différentes œuvres. Certaines ne sont pas terminées et le seront au prochain chapitre, d’autres seront détruites et présentées comme des ruines. Toute la question de l’exposition tourne autour d’un lieu fictionnel, Cuesta Verde, qui nous embarque dans le studio de tournage d’un film en deux parties. Pour le Pavillon Blanc, il y aura un home cinéma avec mon dernier film – « SL’ALOM », pièce principale de l’exposition -, une trilogie de sculpture en pierre/ciment et deux grandes installations.»
L’image, le cinéma en particulier semble être pour vous une source d’inspiration primordiale…
« »Cuesta Verde », le titre pour l’exposition du centre d’art de Colomiers, se réfère au film « Poltergeist » de Tobe Hooper. J’aime regarder tout type de film, je ne me formalise pas. Je me gave de films, si bien que j’en entremêle souvent les scénarii dans mes souvenirs. Je comprends maintenant que c’est plutôt la manière dont je regarde le cinéma qui influe sur mon travail, car je me surprends à m’intéresser d’avantage à la manière dont le film est tourné, réalisé, monté, etc. plutôt qu’au film lui-même : je m’intéresse à la façon dont le générique va intervenir, j’essaie de comprendre comment un montage va influencer notre regard, je m’intéresse aussi à la posture physique lorsqu’on regarde un film. C’est pourquoi j’utilise souvent des titres en lien avec le cinéma comme des anecdotes, parfois juste sur des détails du film en question.»
«Certains de mes projets on été pensés comme des réalisations filmiques : « Pimp my crashing car » est en trois parties, le story-board, le making-off et la sculpture à proprement dite. « Poltergeist » m’intéresse aujourd’hui pour son rapport “diégétique tremblant”, comme le définit le philosophe Étienne Sourriau: «Tout ce qui est censé se passer, selon la fiction que présente le film ; tout ce que cette fiction impliquerait si on la supposait vraie». Ce film se passe dans un quartier à la fois réel et fictionnel, et c’est cette dualité qui a dépassé le film – d’où les anecdotes sur certains mystères, dont la mort de l’actrice principale. Je ne rentre pas dans les détails mais j’essaie de penser une exposition qui tendrait à faire chevaucher une diégèse filmique et un temps réellement vécu, où les pièces seraient susceptibles d’être déplacées à loisir dans des flots de poltergeists incessants.»
Quelle place occupe la performance dans votre parcours ?
«Mon diplôme mêlait vidéos et performances. J’ai commencé mon processus de travail artistique en lien étroit avec le monde de la danse contemporaine et de la performance (voyage à Berlin ou Montréal). Aujourd’hui, j’ai totalement laissé tomber le rapport au corps, mais il reste les ruines d’une méthode chorégraphiée dans ma démarche qui est davantage de l’ordre du spectacle. S’il y a du spectaculaire dans mon travail, c’est un faux spectacle qui est donné à voir. J’invoque une certaine illusion du spectacle, ce qui est censé être de cet ordre là ne l’est pas en définitive. Je pense au faux marbre utilisé dans « Pimp my crashing car », au maquillage ensanglanté dans la vidéo « Wrecked », aux pierres tombales qui n’en sont pas (« R.I.P. »), aux poubelles cimentées qui se transforment en maquettes d’architectures (« Coated containers »), etc. Ce sont des projets qui me rapprochent davantage du monde du studio cinématographique que du monde du spectacle.»
«J’imagine que les différentes pièces que je mets en place sont presque de possibles décors d’un film, ou objets d’un décor que l’on pourrait apercevoir le temps d’une nanoseconde dans un plan. Ils font illusion d’une certaine réalité. Je pense à Hitchcock qui agrandissait ou rétrécissait certains éléments pour insinuer de grands espaces et ajouter de la tension. Pour l’exposition au Pavillon Blanc, je me joue de cette notion que je tente de tordre et de plier sous différents aspects, et c’est justement ce qui pourrait devenir spectaculaire qui ne le deviendra pas. L’origine de mon travail pour cette exposition commence avec des objets de divertissement (spectacle du quotidien) à la limite du tour de magie ou du casse tête chinois irrésoluble, dont je révèle les “trucs et astuces” en rendant visibles les méthodes d’illusions (fausses cendres de cigarette incandescente, lévitation d’objets, disparition mais réapparition de certaines formes, etc.). S’il y a du spectaculaire dans mon travail, j’essaie d’en rendre visibles les coulisses en le faisant souvent capoter.»
Propos recueillis par Jérôme Gac
le 16 mai 2014, à Toulouse
« Cuesta Verde », du 23 mai au 30 août, au Pavillon Blanc, 1, place Alex-Raymond, Colomiers. Tél. 05 61 63 50 00.
Rencontre avec l’artiste, samedi 24 mai, 11h00, salle de conférence, Pavillon Blanc.
–
photo : « Carte », 2014 © Rémi Groussin
.