Le souffle de l’Esprit
Toulouse. Halle-Aux-Grains. 7 avril 2011.
Magnifiques instants de grâce avec le retour in loco de Tugan Sokhiev, insufflant à son orchestre une énergie généreuse porteuse d’absolu. Un concert récent nous avait proposé la suite pour orchestre Shylock de Gabriel Fauré, belle et agréable mais toutefois inférieure à la sublime action poétique que représente celle de Pelléas et Mélisande. En cinq sections subtilement agencées Gabriel Fauré nous invite à un voyage dans l’univers poétique et délicat de cette histoire d’amour aussi pure qu’impossible. Dès les premières mesures, il est certain que l’évocation de ce couple si touchant va nous faire défaillir. La direction engagée et souple de Tugan Sokhiev, une recherche de nuances les plus infimes et une précision rythmique d’une netteté rare nous subjugue. Ce son si français en sa clarté et son élégance est une vraie bénédiction pour cette musique qui y trouve un épanouissement complet. Héritage du grand Michel Plasson qui en a fait une carte de visite mondialement appréciée cette sonorité si belle, douce et acidulée à la fois s’est développée, l’orchestre y ajoutant à présent une précision rythmique frappante. Dirigée comme la plus subtile musique de chambre, les agencements de timbres, les subtiles nuances associées, les couleurs assumées et la légère retenue du phrasé offrent une interprétation idiomatique. La Sicilienne si délicate en sa mélancolie suggérée est parfaitement réussie avec une harpe et une flûte inoubliables de délicatesse. La fin dramatique est portée par un souffle épique en ses larges phrases sculptées par un Tugan Sokhiev en état de grâce.
Le concerto pour Harpe de Boris Tishschenko est en totale opposition. Ce compositeur pratiquement inconnu en France a été prolixe et semble doué. Capable de diversité de composition tant dans le type de pièce, de la musique de Chambre à la symphonie comme en nombre également. Ce concerto pour Harpe est d’une écriture très personnelle, sorte de longue mélopée de la harpe soutenue, encouragée et bousculée par l’orchestre traité en instruments solistes et par groupes. Pas de folles envolées de perles, ni de virtuosité romantique pour l’instrument préféré de Marie-Antoinette. Une apparente simplicité de petits motifs enfantins sont repris obsessionnellement. Passant du piano à la harpe et à l’étrange vibraphone les surprises sont nombreuses. En fait il y a deux harpes une plus petite, préparée « façon celtique » et une grande harpe. Les traits sont novateurs et exigent une virtuosité avant tout musicale qui refuse tout effet convenu. Le voyage extraterrestre, céleste et également abyssal est déroutant. Un court instant de sublime douceur est apporté par la voix légère et planante de la soprano Julia Wischniewski assise dans l’orchestre à côté des flûtes, dont elle partage les couleurs mordorées. Appui rythmique solide, nuances creusées avec tact et soutient amoureux de la harpiste. Le jeu d’Irina Donskaya est royal. Cette création française, d’une œuvre qui mérite d’être connue, donne envie d’en savoir d’avantage sur le compositeur russe bien trop rare en nos salles.
La deuxième partie du programme offre de Ravel ses Valses nobles et sentimentales. Cheval de bataille de l’orchestre sous l’ère de Michel Plasson, assumant un héritage magnifique Tugan Sokhiev affronte avec panache le souvenir de l’aîné et lui rend hommage. L’orchestre déploie ses plus belles qualités de timbre et de phrasé. Tugan Sokhiev, en état d’apesanteur demande des rubati chavirants, des accents d’humour noir décapants à la manière de la Famille Adams. Un Ravel malicieux, un peu sulfureux, dans des valses méphistophéliques chics.
Le final en forme d’apothéose atteint au grandiose. L’orchestre est poussé dans ses derniers retranchements et donne tout. Au premier violon, Geneviève Laurenceau galvanise les pupitres des violons avec sa présence magnétique. Les cors, les bois, les percussions exultent en des moments extravertis splendides.
Le résultat est enthousiasmant. La direction de Tugan Sokhiev entretient une urgence qui tient tous les sens en éveil. La dramaturgie est transparente et la sauvagerie de ce mythe antique prend toute sa place dans une bacchanale terrifiante et jouissive. Les spectateurs ont fait un triomphe à leur orchestre et leur chef retrouvés en des sommets, jamais atteints cette saison. Que l’avenir s’annonce radieux en cette chaleur estivale ! Le souffle de l’Esprit de la musique nous a emporté bien loin.
Hubert Stoecklin.
article en ligne sur le site: classiquenews.com : cliquer ici
Toulouse. Halle-Aux-Grains. 7 avril 2011.
La Photo est de Gil Pressnitzer