Le soliste invité ce soir est un jeune violoniste prodige de 26 ans que les plus grandes salles accueillent, depuis qu’il a obtenu en 2005 le premier prix du concours Reine Elisabeth de Bruxelles. Avec le Concerto pour violon de Brahms, Sergey Khachatryan était certain de séduire son public. Il s’est passé bien d’avantage encore ce soir. La tristesse de l’orchestre était palpable, touché au cœur, chaque musicien semblait d’un air grave se concentrer afin de ne pas s’effondrer. Tugan Sokhiev lui-même semblait ému et le jeune prodige leur a joué un concerto en forme de requiem pour la vie éternelle de la musique. On ne peut aujourd’hui imaginer un violoniste plus sensible et artiste que ce jeune arménien. Son jeu n’est pas totalement académique avec un violon non pas vissé sur son épaule mais suivant les courbes de la partition au gré de la vie du musicien.
Sergey Khachatryan fait pleurer son violon…
De haut en bas, de droite et de gauche, le son est diffusé comme l’encens le plus rare. L’archet est très proche du chevalet et les gestes de la main droite sont toujours d’une élégance rare. Le son que Sergey Khachatryan obtient de son violon est d’une beauté totale jusque dans les nuances pianos les plus impalpables. Le poids exact du son en chaque phrasé lui fait oser des nuances au bord du silence comme des accents fauves revêches. Les nuances sont comme les messa di voce des plus rares chanteurs de lied. Le vibrato est utilisé avec audace, bien peu savent en varier la fréquence et la hauteur en fonction du phrasé. Certains graves vibrent lents et larges, provoquant une émotion insoutenable ; certains suraigus vibrillonaient comme des ailes d’insectes au soleil. La lumière de ce violon a pu être aveuglante, comme sa douleur a pu nous transfixier. Et bien souvent il a semblé que l’instrument pleurait sous des doigts si sensibles. Tant de musique ! Chaque note semblant merveilleusement sculptée dans la matière des songes. Totalement habité par sa vision musicale, Sergey Khachatryan a l’air de jouer pour l’orchestre dont il a voulu soulager la peine. Ce ne sont pas, dans ce contexte, quelques décalages, quelques nuances mal amenées et des moments trop abruptes dans l’orchestre qui ont gâché la musicalité rare de ce concerto porté à bout d’archet par un Sergey Khachatryan totalement inspiré. Sorte d’idéal de virilité sensible, ce jeune violoniste est déjà sinon le plus grand du moins le plus attachant des musiciens.
Deux bis ont répondu aux applaudissements éperdus du public et de l’orchestre. D’abord le final de la deuxième sonate d’Isaÿe dans une maestria sidérante et une pureté de son inoubliable, puis une mélodie populaire d’Arménie subtilement adaptée a ouvert une oasis de pureté et de beauté paradisiaque. Voilà un artiste incontournable qui saura guérir les âmes les plus meurtries.
En deuxième partie de concert l’orchestre a retrouvé son énergie et sa brillance pour la 7 ème Symphonie de Dvorak. On sait que Brahms et Dvorak se sont rencontrés et se sont appréciés. Ces deux oeuvres sont quasiment contemporaines. Tablant sur cette parenté romantique, Tugan Sokhiev a dramatisé la Symphonie. Avec des couleurs saturées, une énergie débordante et des rythmes serrés, cette 7 éme symphonie a respiré la santé. Le mouvement le plus abouti au point d’être irrésistible est le Scherzo valsé avec un sens subtil du ballet. Le final triomphant a emporté toute résistance. Sans pour autant avoir retrouvé le sourire, l’orchestre avait l’air soulagé : la musique est plus forte que la mort.
Toulouse. Halle aux Grains, le 26 Janvier 2013. Johannes Brahms (1835-1897) : concerto pour violon, en ré majeur, op.77 ; Anton Dvorak (1841-1904) : symphonie n° 7 en ré mineur, op.70 (B.141). Sergey Khachatryan, violon ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Tugan Sokhiev, direction.