Chanteur lyrique, Baptiste Bouvier nous dévoile les coulisses de son métier, ses défis au quotidien, sa passion pour la langue allemande, ainsi que le mode de vie et les règles strictes qu’impose sa carrière.

Baptiste Bouvier
« La musique est l’une de seules choses qui me touchent vraiment »
« Schmerz, Leiden, Lust – il faut vraiment exagérer et le ressentir », corrige Baptiste Bouvier, professeur de chant au Conservatoire de Toulouse. En salle de répétition, les émotions se chantent, s’habillent de gestes et s’exagèrent jusqu’à devenir vérité scénique. Douleur, souffrance, désir… en allemand. Une langue exigeante, mais essentielle au répertoire du jeune baryton-basse.
Un chanteur lyrique, explique le jeune homme de 27 ans, est un chanteur professionnel spécialisé dans le répertoire classique, notamment l’opéra, capable de projeter sa voix sans micro dans une grande salle. Et c’est vrai : le volume et la profondeur de la voix basse de Baptiste sont impressionnants.
En ce moment, il travaille Im Spätboot de Strauss. Sous les regards et oreilles attentives de ses deux professeurs, rien ne passe inaperçu : du chant à la mimique, en passant par la posture, tout est observé, corrigé, affiné. Les exercices qui peuvent paraître bizarres aux yeux des visiteurs ne dérangent personne ici : La main sur la tête, le cou ou le ventre du professeur, les étudiants tirent parti de l’expertise de leurs enseignants. L’ambiance est détendue, chaleureuse et rigolote – à mille lieues de l’image parfois rigide que l’on se fait de l’opéra.
« Normalement, je ne suis pas très émotif », confie Baptiste. « L’une des seules choses qui me touchent vraiment, c’est la musique. Sur scène, tu ne peux pas être indifférent ou faire semblant. Tu ne peux pas te cacher ni chanter les yeux fermés. Tu montres ta vulnérabilité, ta fragilité, et tu transmets quelque chose par toi-même — c’est toi, l’instrument. Au début, il faut oser. Mais avec le temps, j’éprouve un immense plaisir à y exprimer toutes mes émotions et à tout donner. Et puis, il y a ces moments particuliers où tu peux te laisser complètement porter par la musique et par l’énergie des autres », raconte-t-il.
Comment devenir un chanteur lyrique ?
Le parcours de Baptiste dans la musique classique commence comme celui de beaucoup de jeunes : par un rejet total. « Je n’aimais pas du tout l’opéra. Même quand il passait à la radio, dans la voiture avec ma mère, je lui demandais de changer de station ! »
À sept ans, il commence le violoncelle, mais pour mieux se fondre dans le moule de son petit village, il interrompt sa pratique entre 14 et 19 ans. Ce sont ses études d’ingénieur à Paris qui lui font rapidement comprendre que c’est la musique qui le passionne réellement. Il s’installe alors à Toulouse pour les études de musicologie et parvient à intégrer le Conservatoire de Toulouse en violoncelle. À ce stade, il n’a encore jamais chanté, ni même envisagé le chant comme une voie possible. C’est un prof qui l’encourage à essayer et à 21 ans, il est admis dans la classe de chant du conservatoire.
Aujourd’hui il travaille en tant que chanteur lyrique à plein temps : Régulièrement, il parcourt de courtes ou de longues distances pour différents concerts, et il est notamment engagé à l’Opéra du Capitole de Toulouse. Une semaine typique ? Ça n’existe pas.
Les sacrifices au quotidien
Bien que chaque semaine soit différente, Baptiste s’en tient à certaines routines. Il commence souvent la journée par un peu de sport, pour réveiller son corps et sa voix. Ensuite, il travaille sa voix entre une et trois heures par jour. Les exercices de relaxation font également partie de son quotidien : « Se détendre avant un concert, ça change tout. Quand on est stressé, le souffle devient rigide, le corps se tend. Il faut trouver des moyens de relâcher la pression. Moi, je travaille souvent sur la respiration. »
Mais cette passion pour le chant a aussi son prix au quotidien : pour protéger et préserver sa voix, Baptiste doit adopter un mode de vie sain. Concrètement, cela signifie pour lui : presque pas d’alcool, éviter de s’exposer au soleil, bien dormir, faire du sport plusieurs fois par semaine et surtout ne pas crier. Même lors des fêtes, quand tout le monde chante à tue-tête, Baptiste se retient.
Comment parvient-il à vivre de sa carrière de chanteur ?
Grâce au statut d’intermittent du spectacle — un dispositif qui soutient les artistes en leur garantissant un revenu régulier — Baptiste peut vivre de son métier. L’État lui verse une allocation calculée en fonction du nombre d’heures travaillées et des cachets reçus de ses employeurs. Pour y avoir droit, il doit justifier d’au moins 507 heures de représentations et de répétitions. Ce système lui permet de bénéficier d’un revenu stable, même durant les mois où il a moins de concerts.
Néanmoins, le milieu reste difficile, comme le souligne Baptiste. En France, la décision de réduire le soutien à la culture a eu des répercussions notables, notamment dans le secteur musical. « Pour l’opéra, c’est encore un peu mieux que pour d’autres styles de musique, mais malgré tout, il devient de plus en plus compliqué de trouver un emploi en tant que chanteur lyrique — bien plus qu’il y a trente ans », raconte-t-il.
Les défis : entre critique permanente, compétition et doutes personnels
Le métier est marqué par une forte compétition : seuls les meilleurs parmi les meilleurs peuvent espérer vivre d’une carrière de soliste. Lors des auditions, il faut sans cesse se démarquer parmi un grand nombre de candidats. La pression est encore plus forte pour les femmes : « À partir de 35 ans, il peut devenir très difficile de construire une carrière », explique Baptiste. « En tant qu’homme et basse, c’est un peu plus facile pour moi, car de nombreux rôles exigent une voix mature pour être crédible sur scène. »
Mais les défis ne sont pas seulement professionnels. Sur le plan personnel aussi, le métier est exigeant : « On voyage beaucoup, ce qui peut être compliqué quand on a une famille. Et ce qui est très intense, c’est la critique permanente : il y aura toujours des gens qui n’aiment pas ce que tu fais. Il faut une vraie force mentale pour encaisser. Moi aussi, j’ai parfois de grands moments de doute, où j’ai l’impression de ne jamais progresser. »
Un pays voisin qui séduit les chanteurs
Face aux défis du métier en France et son rêve de vivre seulement du chant solo, Baptiste s’est tourné vers une autre passion : la langue allemande, qu’il apprend actuellement. Selon lui, il existe davantage de théâtres et de rôles écrits pour les voix de basse en Allemagne qu’en France, ce qui lui donne envie d’envisager une carrière dans le pays voisin.
Déjà aujourd’hui, il interprète régulièrement des œuvres en allemand. L’année prochaine, il sera notamment à l’affiche de La Passagère, un opéra du compositeur Mieczysław Weinberg, à l’Opéra de Toulouse, où il incarnera un officier nazi, ainsi que de Salomé de Richard Strauss, dans le rôle d’un juif — le tout en allemand. Il apprécie particulièrement le style dense et puissant du répertoire germanique, ainsi que l’articulation nette des consonnes propres à la langue allemande.