Françoise Chapuis était une belle jeune femme pétillante, un feu-follet vif-argent, un petit soleil qui brillait, même dans les clairs-obscurs ou les éclipses, pleine d’empathie pour les autres, petits ou grands, qu’elles ne regardait jamais de haut y compris quand la notoriété fut venue avec la musique rayonnante qui irradiait d’elle et qu’elle dispensait joyeusement.
Dès 1992, avec sa complice Rita Macedo, elle a formé un duo explosif ayant choisi avec humour pour nom de scène un « néologisme anglo-occitan », Femmouzes T pour Famous Trobairitz, à savoir « Femmes Troubadours célèbres de Toulouse », qui enregistra trois albums « dopés à la bonne humeur », à l’image de ses deux chanteuses : à Françoise le pandeiro, ce tambourin ibérique qu’elle percussait sans relâche, à Rita l’accordéon ; elles ciselaient à deux textes et musiques de « petites », chansons bien engagées, qu’elles offraient , refrains en harmonie pour danses endiablées, à leur public qui ne se faisait pas prier pour les reprendre en choeur.
Elles ont enchanté les scènes du monde entier, avec le superbe guitariste Serge Faubert et l’efficace percussionniste Eraldo Gomez.
Souvent pour des bonnes causes comme pour ATD Quart Monde Place du Capitole en septembre 2006.
Pas étonnant qu’elles aient gravé un bel hommage à une femme remarquable, Marie Gouze, dite Olympe de Gouges (1), née le 7 mai 1748 à Montauban et morte guillotinée le 3 novembre 1793 à Paris, une femme de lettres devenue femme politique, considérée comme l’une des pionnières françaises du féminisme.
À qui Françoise Chapuis rassemblait quelque part, par sa détermination tranquille et ses idéaux sans concession.
Olympes de Gouges
Et parce que sans ambages, avec Rita Macedo, elles ont réclamé en musique une meilleure application de l’un des articles fondamentaux de sa Déclaration des Droits de la femme et de la Citoyenne (2), la Parité :
On parle de parité
Elle a aussi mis en musique, sur un texte de Magyd Cherfi, cette Femme du Soldat Inconnu que n’aurait pas désavoué Roland Dorgelès, ce poilu auteur du Tombeau des Poètes de la Grande Guerre, pour ses nombreux frères d’armes, dont la plupart n’avaient même pas le certificat d’études, devenus (grands) poètes dans les tranchées. Ad vitam æternam:
Mais elle chantait aussi joyeusement La vie est belle avec Guilhem Surpas…
Et avec son amie Bernadette Mouillerac, elles tricotaient du Brico Dames, allègre et guilleret, avec des instruments de bric et de broc, plus confidentiellement, mais toujours en aussi bonnes musiciennes, et faisaient chanter le public dans des bars conviviaux qui les accueillaient (de même que les super copines de Boudu les Cops dont Bernadette était l’une); comme le Cactus, où j’aimais aller les écouter et chanter avec elles la plus chanson d’amour et de révolte de la langue française : le Temps des Cerises.
Et lors de leur concert à la Pause Musicale dans la cour de l’Ostal d’Occitània, je l’avais imaginée dans une manif, faisant Turlutu Chapeau Pointu, avec son porte-voix récupéré sur un chantier, à ces forces de l’ordre devenues de plus en plus forces de répression dans nos démocratures.
Sur scène, la nuit, devant des grandes foules, cette petite révoltée de la tendresse, dont l’ombre portée par les jeux de lumières sur les murs ou les décors derrière elle était immense, avait gardé son regard d’enfant tourné vers les étoiles de ses rêves, « vers la Grande Ourse défendant férocement ses petits jusqu’à la mort », comme elle me l’a dit un jour de grande colère.
Parfaitement bilingue, elle était enfin Responsable de l’Agenda culturel sur Radio Mon Païs, une « radio pirate », comme l’on disait avant 1981 et la libéralisation des ondes, « une radio portée sur la diffusion des idées et de la parole depuis novembre 1982 ». Et j’aimais aller la chercher dans cette forteresse de la Bourse du Travail, dressée comme un défi en face de la Basilique Saint-Sernin (temple, certes magnifique, mais toujours du pouvoir autant temporel que spirituel), dans la salle de rédaction, où son bureau croulait sous les articles et les enregistrements, pour prendre un pot au Café Saint-Sernin, à l’angle de la rue Saint-Bernard, et échanger nos coups de cœurs musicaux et cinématographiques (l’ABC, cinéma d’Art et d’essai, étant juste à côté).
C’est là qu’elle m’avait dévoilé un projet qui lui tenait particulièrement à cœur : aller dans les écoles expliquer qui était Olympe de Gouges, et ce que cela représentait au XVIIIème siècle d’être une femme, d’avoir des choses à dire dans un siècle où les Femmes n’avaient pas la parole.
« En tant que femme, en tant qu’artiste, en tant que citoyenne ».
« Paroles d’Olympe » !
Elle l’avait réalisé et je la voyais parfaitement transmettre avec facilité des pensées de la Montalbanaise, des extraits de ses écrits, de façon simple et actuelle, illustrant avec des éclats de musiques son récit imagé d’une petite histoire devenue grande. Même si je ne l’ai pas vu dans ses œuvres, je suis sûr qu’elle faisait cela très bien, grâce à ses talents (écriture, musique, scène). Je suis sûr que les enfants lui posaient beaucoup de questions et qu’elle les amenait tout le long de son heure d’intervention à participer à son évocation ; et à réfléchir.
Etant en concert, avec bonheur, le 20 mars 2019 en Ariège avec mes amis musiciens pour le Chant des Brûlés-Lo Cant dels Cremats (qu’elle aimait beaucoup comme Mes Poètes du Rock avec son ami Serge Faubert, mon guitar-hero), j’ai regretté de ne pas avoir le don d’ubiquité pour pouvoir assister, en même temps, à cette « vraie-fausse conférence musicale interactive autour d’Olympe de Gouges », pour adultes cette-fois, avec Isabelle Cirla (une grande musicienne également) au Pavillon République du Conseil départemental.
Jusqu’au bout, elle a gardé chevillé au cœur l’espoir d’un monde meilleur pour tous.
Avant de partir au paradis des musiciens, en ce début d’année 2023, elle a juste eu le temps d’enregistrer le dernier disque des Femmouzes T, avec en particulier, sur une musique de Rita, cet hymne de Résistantes qui lui allait si bien, « provoquant à l’amour et à l’insurrection » comme Léo Ferré en 1993 :
Arrivederci Au revoir Françoise.
Tu étais comme les lucioles, ces petits coléoptères, capables de produire un halo de lumière jaune pour éclairer la nuit la plus noire.
Tu me manques, comme ils manquaient à Pasolini, car sans eux ses paysages intérieurs perdaient de leur poésie.
Avec toi, ce sont des parfums, des guirlandes, des cœurs, des fruits, des griffes, des chimères, des trilles, des arpèges, des papillons, des glaives, des flèches, des éclairs, des sourires, des larmes, des baisers (comme aurait dit Saint-Pol Roux) que j’ai perdus.
Mais rassure-toi, la Résistance continue au quotidien, avec la musique qui marche (pas au pas mais à l’unisson des cris du cœur), cette musique que tu savais si bien rythmer.
Un abraccio forte, petite sœur.
PS : Grazie molto à Jean-François Le Glaunec pour ses belles photos toujours pleines d’amour pour les musiciens.
Pour en savoir plus :
1) Olympe de Gouges
2) Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne