La nouvelle programmatrice de la Salle Nougaro fait ses emplettes à Marciac : lors de la dernière édition, elle a été séduite par Keith B. Brown et elle a eu le bon goût de l’inviter dans la belle salle aux teintes bleues créée par le Comité d’Entreprise d’Airbus sous l’impulsion de Gil Pressnitzer. C’est un des lieux de Toulouse où je me sens le mieux comme tous les amateurs de Jazz et de Blues (même si je regrette que l’on n’y entende plus de chanson française d’expression comme disait Jean Ferrat).
Originaire de Memphis, Tennessee, Keith B. Brown porte en lui les gènes de cette Mecque de la Musique afro-américaine. Mais il écoute aussi Tracy Chapman, les Beatles, les Stones… et la musique baroque. Sans oublier Tamla Motown. Ayant absorbé tous les différents styles musicaux, du jazz au country, le rythme & blues, le rock et la soul, il s’est forgé une voix et une voie tout à fait originale, comme une volonté manifeste de dépasser ses origines culturelles et ses racines afro-américaines ancestrales.
Son jeu harmonieux et son éclectisme parviennent à charmer les oreilles les plus exigeantes ; qu’elle que soit la tonalité de ses compositions, blues acoustique, ballades tendres, ou rock endiablé, sa conviction soul est toujours évidente. Dans son dernier album, « Down The Line », il nous offre douze titres d’une parfaite musicalité et d’une rare émotion. Repéré en 1998 par le cinéaste Glenn Marzano, K.B.B incarne alors à l’écran l’une des figures majeures de « L’épopée des Musiques Noires », le bluesman Son House dans le film « Stop Breakin’ Down ». En 2003, c’est Martin Scorsese et Wim Wenders qui le choisissent pour jouer dans leur beau film « The Soul Of A Man » en sélection officielle au Festival de Cannes 2003, où il est Skip James, une de ses influences majeures. Cette deuxième aventure cinématographique le révèle au grand public et accélère sa propre destinée de musicien.
Il se produit aussi dans un « Delta Blues program » avec film, vidéo, concert et master Class pour transmettre son héritage
Ce soir, il rappelle d’entrée qu’il est déjà venu à Toulouse il y a 16 ans, dans le cadre de Jazz sur son 31. Il commence en solo avant d’être rejoint par le guitariste soliste et le bassiste, puis par le clavier et le batteur ; mais il aura soin de faire des pauses électro-acoustiques avant de laisser libre cours aux passages les plus déchainés, toujours avec un grand sens de la nuance, sans aspérités. Le son est parfait et les lumières chaudes au diapason.
Malgré sa renommée internationale, K.B.B reste très simple et discret, s’effaçant souvent dans l’ombre de la scène (même s’il continue à assurer la guitare rythmique) pour mettre en avant ses compagnons de route : Pierre Sibille : claviers (orgue hammond-cabine Leslie-Fender Rhodes et harmonica), Manu Ducloux : basse, Christophe Gallizio : batterie, et le petit jeune du groupe, Etienne Prieuret : guitare électro-acoustique et électrique, qui ne tient pas en place comme un farfadet, prenant des solos échevelés (il a bien compris que la guitare électrique est un instrument phallique), mais assurant impeccablement la rythmique nécessaire à son boss et l’accompagnant avec feeling dans leurs duos.
Celui-ci soigne ses concerts, les écrivant avec finesse. On sent le désir chez cet homme policé, qui a plus l’allure d’un universitaire de Columbia que d’un routier comme Otis Taylor, de faire plaisir à son public : à plusieurs reprises, il lâche en français un « c’est joli, non ? » significatif. Et effectivement, il nous régale de belles mélodies enchainées avec des crescendos rockandrollesques du meilleur aloi, sans jamais oublier le bon vieux tempo blues, « le shuffle ».
Même si je regrette parfois l’absence de ces quelques stridences, de ces quelques éraillements de la voix, qui font courir un frisson sur tout le corps et donnent l’envie de danser ; ce soir, je bats le rythme sur sa cuisse, mais je n’éprouve pas l’envie de me lever pour danser. Même si je passe un excellent moment en compagnie de Mister Keith B. Brown et ses trop parfaits sidemen qui manquent parfois un peu de flamme.
Mais comme disait le grand John Lee Hooker, « Il y a cinquante ou cent ans, la musique était brute, les gens jouaient sur de vieilles guitares déglinguées. Aujourd’hui on fait le ménage, la musique est plus propre, mais c’est toujours la même histoire : Singing the Blues, Noting to loose ! ».
Et je me surprends à penser que cela fait au moins 16 ans que l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau et son compère le guitariste Manu Galvin, qui savent toujours s’entourer de remarquables chanteurs de blues comme le duo Robinson-Smyth et mettre le feu partout où ils passent, ne sont pas revenus à la Salle Nougaro. Une idée de programmation pour 2013-2014 ?
E.Fabre-Maigné
21-XI-2012