Au Théâtre du Capitole, « Rienzi » de Richard Wagner ouvre la saison de l’opéra toulousain avec le ténor allemand Torsten Kerl dans une nouvelle production du metteur en scène Jorge Lavelli, dirigée par le chef Pinchas Steinberg.
Créé en 1842, « Rienzi » connut un succès retentissant lors de la première à Dresde, où l’ouvrage sera constamment représenté jusqu’à l’aube du XXe siècle. Jamais représentée à Bayreuth, c’est le troisième ouvrage lyrique de Richard Wagner après « Les Fées », achevé en 1833, et « La Défense d’aimer » en 1836″. Il n’utilise pas encore le procédé du «drame musical» théorisé et pratiqué plus tard par le compositeur – dès le « Vaisseau fantôme ». Calibrée pour remporter les suffrages du public parisien, cette fresque historique reproduit le modèle du grand opéra français. Donné pour la première fois à Paris en 1860, dans sa version initiale aujourd’hui perdue, en deux parties (« La Grandeur de Rienzi », « La Chute de Rienzi »), « Rienzi » y a été jugé trop proche des opéras historiques de Meyerbeer considérés comme l’essence du genre français. Fréquemment représenté à Strasbourg alors territoire allemand, « Rienzi » n’a connu aucune production française depuis celle du Théâtre-Lyrique Impérial, où fut créée en 1869 une version traduite et tronquée. Le livret est inspiré d’un roman d’Edward Bulwer-Lytton paru en 1835. On y suit le combat de Cola di Rienzo, plébéien et notaire du Pape, pour l’instauration de la République à Rome, au milieu du XIVe siècle. Wagner en tire de grands effets dramatiques, avec des scènes de bataille et un embrasement final. Les talents d’orateur du héros portent l’avènement de la république. Faisant face à l’opposition de la noblesse, Rienzi finira par être assassiné.
La mise en scène de cette nouvelle production du Théâtre du Capitole a été confiée à Jorge Lavelli. Ce dernier fait son retour à Toulouse après avoir monté « Fidelio », de Beethoven, en 1977 à la Halle aux Grains, puis « Simon Boccanegra », de Verdi, dans la même salle en 2011. La saison dernière, la création française au Théâtre du Capitole de sa mise en scène de « Polieukt » – commande de l’Opéra de chambre de Varsovie au compositeur polonais Zygmunt Krauze – a été saluée par le prix de la meilleure création musicale de l’année décerné par le Syndicat de la critique française. Jorge Lavelli annonce dans un entretien: «Le personnage historique de Rienzi est cité dans le premier acte de « Simon Boccanegra », personnage éponyme de l’œuvre trahi par ses proches, offrant à la population plus de liberté. Pour « Rienzi », j’ai sans aucun doute cherché un même dépouillement que dans mon « Simon Boccanegra », pour servir des fins tout à fait similaires. Rienzi est comme Simon Boccanegra un homme du peuple, plus rustre peut-être, qui s’impose, arrête les agresseurs d’Irène et la récupère. Je vois dans Rienzi une figure proche des syndicalistes, acteurs des grandes réformes du XIXe siècle, et au-delà, une invitation à adopter une démarche en adéquation parfaite avec mon comportement artistique : mon objectif n’est autre que de rendre chaque oeuvre plus ouverte et plus claire, de lui donner plus de chance. Dans « Rienzi », les conflits me semblent néanmoins encore plus subtils, car les choses sont plus larges, plus dialectiques. « Rienzi » retrace l’itinéraire d’un personnage qui surgit d’une autre classe, tel le coup de force politique d’un individu qui réussit en s’imposant et assume son succès. L’idée que Rienzi se fait de la compréhension et du pardon finit par le trahir. Après l’attentat et la confession des coupables, la guerre éclate. Chaque fois que Rienzi veut imposer sa générosité, il n’est plus compris des autres. Je pense à toutes ces sociétés qui se sont transformées sous la pression de ceux qui recherchaient plus de bien-être : ces sociétés, souvent engagées dans des principes socialistes, se sont retrouvées rigoureusement fermées. Après une période de transition, d’espoir, tout se rétrécit, se dégonfle : l’individu qui incarnait le renouveau n’est plus qu’un individu isolé qui ne pense qu’à lui.»
«En mettant en scène cette oeuvre très enthousiaste, qui libère beaucoup d’énergie, d’espoirs, de vie, on doit susciter une réflexion personnelle plus intime, sans allusion et sans recours à un contexte historique précis. La prise de distance à l’égard de la réalité historique introduit un juste recul face à des éléments qui nécessitent une réinterprétation. Le dispositif aussi ne doit pas encombrer ni briser l’imaginaire du spectateur par une évocation trop précise d’une réalité historique. En incarnant les personnages, il faut bien entendu respecter les hiérarchies, favoriser les rapports de forces et montrer les conditions sociales. L’objectif est de permettre la plus grande richesse interprétative. Un chanteur chante des sentiments et ne doit pas se contenter de ne penser qu’aux notes : ces choses doivent vivre ensemble. Cela implique qu’à l’opéra, une analyse doit toujours être accompagnée de l’expression d’un point de vue. Car bien entendu je crois au progrès du public, à son intelligence et à sa sensibilité, au fait qu’un spectateur puisse revenir au théâtre, à l’opéra, en ayant amélioré chaque fois sa capacité à percevoir les composantes du drame. Je veux ouvrir des chemins pour le spectateur, non pas les entraver, ni brider sa propre imagination. (…) Le romantisme wagnérien, celui de « Rienzi » compris, peut atteindre une violence énorme qui devrait être traitée avec moins de prudence, moins de respect et plus de vigueur. Wagner n’est pas une maison de cristal. Dans « Rienzi » la musique entraîne le spectateur grâce à des rythmes militaires qui ajoutent encore plus de flamme à la teneur politique de l’ouvrage. Même avec ces répétitions et ces fanfares, on peut déjà y déceler une tentative de fondation de ce qui deviendra plus tard l’oeuvre d’art total», termine le metteur en scène.
Habitué de la fosse de l’opéra toulousain pour y avoir dirigé plusieurs ouvrages de Wagner (« Le Ring », « Tannhäuser », « Les Maîtres chanteurs de Nuremberg ») ainsi que « la Femme sans ombre », « OEdipe », « Andrea Chénier », puis « Salomé » en 2009, le chef israélien Pinchas Steinberg retrouvera l’Orchestre du Capitole. Grand interprète wagnérien, le ténor allemand Torsten Kerl (photo) tiendra le rôle-titre. On l’entendra ensuite à l’Opéra de Paris dans la reprise du Ring, au printemps 2013, avant de chanter Erik du « Vaisseau Fantôme » à Orange. Le ténor raconte : «Quand j’ai écouté le 1er acte, j’avais l’impression que ce n’était pas du Wagner, c’était plus proche de Bellini ! Par contre, le dernier acte est bien du Wagner, contrairement à ses deux autres opéras de jeunesse. J’ai immédiatement pensé que c’était un défi à relever. La musique de cet ouvrage n’est peut-être pas du niveau de celle de « Tristan », mais est bien supérieure à celles des premiers opéras de Verdi et de Puccini. On peut chanter Rienzi comme du Mozart, mais le caractère est proche de celui de Tristan. De plus, la tessiture ne cesse de monter et son grand air est situé à la fin ! C’est un rôle difficile vocalement car à la fois extrêmement lyrique, mais également dramatique et puissant. Actuellement, la tendance pour les ténors est de favoriser le registre grave, au détriment de la jeunesse et de l’éclat de la voix. Il n’y a pas qu’une façon de chanter un rôle. Nous avons la chance de pouvoir entendre des interprètes très différents capables de bien chanter le même rôle. L’essentiel est de l’aborder avec sa voix.»
Dans le rôle d’Irène, la soprano suédoise Marika Schönberg revient au Théâtre du Capitole après y avoir été Rossane dans « Témistocle », de Johann Christian Bach, sous la direction de Christophe Rousset en 2005. Interprète de Reinmar von Zweter dans « Tannhäuser », en juin dernier à Toulouse, le Gallois Richard Wiegold revient sous les traits de Steffano Colonna. Le rôle travesti d’Adriano est confié, en alternance, à la mezzo-soprano française Géraldine Chauvet et à l’Allemande Daniela Sindram – familière du Deutsche Oper de Berlin où elle tiendra ce même rôle en janvier 2013, aux côtés de Torsten Kerl. Enfin, membre du Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf depuis 1991, Stefan Heidemann fait ses débuts à Toulouse avec le personnage de Paolo Orsini.
Jérôme Gac
Du 30 septembre au 14 octobre, au Théâtre du Capitole, place du Capitole, Toulouse. Tél. 05 61 63 13 13.
Conférence : «Wagner interprète du grand opéra historique et politique», par Corinne Schneider (musicologue), vendredi 28 septembre, 18h00, au Théâtre du Capitole.
Introduction au spectacle, avant la représentation, 18h30.