La Halle, archicomble qui, pour une soirée s’est transformée en cathédrale sonore grâce aux musiciens de l’Orchestre national du Capitole placés sous la direction de leur nouveau futur directeur musical Tarmo Peltokoski.

Tarmo Peltokoski © Romain Alcaraz
Le programme de ce concert un peu particulier puisque s’était associé au 50 ans de l’Orchestre, les 700 ans de l’Académie des Jeux floraux, débute par le cycle des Quatre derniers lieder de Richard Strauss chantés par la soprano Chen Reiss (voir mon annonce de ce même concert, pour les détails). On en retiendra le très beau travail du chef pour ce qui relève de l’équilibre entre le grand orchestre sollicité, les qualités de la voix de la cantatrice et l’acoustique de la Halle.

Chen Reiss et le chef
Mais c’est de la Neuvième de Bruckner que vient l’uppercut reçu par chacun, témoin de ce tsunami musical. Osons-le : une Neuvième pure, sans scorie, marquée du sceau de l’infini et de l’éternité. Trois épisodes constituent la lente ascension de ce Golgotha symphonique. Peu importe la version choisie. C’est, de toutes les façons, la plus fréquemment donnée en concert. C’est parti pour environ soixante minutes avec, disons-le d’entrée, une sonorité de l’orchestre claire en permanence. Pas toujours évident pour Bruckner. La voûte sonore est d’une densité exceptionnelle. On dirait que le chef construit une sorte de fresque d’une haute spiritualité. Cette “messe sans paroles“ est dite avec grandeur, foi et humilité. L’orchestre, transcendant (ah, les cordes graves …quel boulot. Mais non, tous les pupitres de cordes : c’est jubilatoire en tant que spectateur) l’orchestre donc, suscite des climats d’attente de la fin du monde et provoque dans les crescendos véhéments, terrifiants même, et dans la coda, des aspirations irrésistibles avec des coloris pourtant jamais saturés. Performance.
Les attaques sont toutes d’une grande fermeté. C’est d’une solennité imprévisible et, pour qui aime, d’une démesure brucknérienne qui m’enchante ! Le chef semble veiller à chaque seconde à la balance sonore entre tous les pupitres et ce, dans les trois mouvements. Il est d’une maîtrise étonnante dans la gestion des moments paroxysmiques tout comme des silences, qui sont aussi ici de la musique. À nous les blocs erratiques de ses tutti qui semblent traduire en musique l’écroulement de pans entiers de calotte glaciaire. On note la prestation extraordinaire de tous les cuivres, comme écrasant de puissance, incandescents, aux attaques foudroyantes dans le Scherzo ; le magnifique rendu aux timbales, un timbalier infaillible, absolument souverain, à la frappe impitoyable. Ne parlons pas des bois ou vents tous talentueux comme à l’habitude (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons). Surtout dans le Scherzo où ils s’accordent ô combien magnifiquement aux cordes. Un Scherzo à la motorique implacable, trépidant d’un bout à l’autre et à caractère disons semi-fantastique.
Quant à l’Adagio, de 25 minutes, sorte d’Adieu à la vie, c’est une sublime déploration d’une grande intensité sur les cordes, une immense célébration de la transcendance et de l’Au-delà. Avec Bruckner, nous scrutons les mystères de l’éternité. Les huit cors, quatre plus les quatre “tuben-cors“, chers à Wagner, sont ici à la fête. Un grand, grand moment de musique, grâce à Tarmo Peltokoski et bien sûr, une réussite possible grâce aux qualités de chaque musicien : cela va de soi.
On remarquera que le public a attendu le relâchement complet du chef après la dernière note ! Sûrement sonné (le public) par ce qu’il venait d’entendre, ou préoccupé par le chemin à prendre pour rejoindre le Golgotha. Un public “capturé“ qui n’a que rarement toussoté de peur d’offenser Dieu. Et qui aura eu la chance d’entendre cette Neuvième de Bruckner, interprétée de la sorte et dirigée de même par un chef à la vision directe, tranchante, impérieuse, où densité et rugosité des timbres ont été au service d’une hargne dynamique parfois même rageuse mais sans excès. Flamboyante ?
Orchestre national du Capitole